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Premier amour : Souvenirs d’un vagabond céleste

  • Écrit par : Christian Kazandjian

premier amourPar Christian Kazandjian - Lagrandeparade.com/ Portée à la scène la nouvelle Premier amour est une ode au français léguée par Beckett à son pays d’adoption.

Un violoncelle grince dans le noir. Ce n’est pas un instrument qui se plaint, non, c’est une chaise de bureau. S’y assoit un homme, de noir vêtu, chapeau mou ombrant le visage. Il a une confession à adresser à un public de lui inconnu. La voix est calme, hésitante parfois, cherchant un mot ou une approbation qui jamais n’arrive. Il est seul, avec ses souvenirs. Il déroule les épisodes de sa vie qui l’ont marqué, ont tatoué son esprit un peu lent, celle d’un homme resté un grand gosse, gauche, arrimé à quelques idées héritées d’un père qu’il va retrouver sur son tombeau, au cimetière, où il se sent en sécurité, au milieu d’odeurs de mort, loin de la société. Par quelle entorse de l’esprit, l’évocation du mort lui rappelle-t-elle une idylle étrange, vécue, il y a longtemps ? Une drôle de rencontre, avec une prostituée avec laquelle il ira vivre après de multiples rencontres sur un banc. Et en aura un enfant, dont rien ne prouve qu’il pourrait être de lui, et qu’il fuira, pour retrouver cette solitude un rien hébétée qu’il affectionne pour l’avoir toujours connue.

Une langue de liberté

Samuel Beckett a écrit Premier amour directement, pour la première fois, en français, en 1945. Il composera ensuite une œuvre alternant français et anglais. Cette nouvelle traduit l’amour de son auteur pour la langue du pays qu’il adopta. On la dit, en partie autobiographique. Peut-être. On la sent, de fait, écrite de la chair même de ce qui sera l’œuvre de l’auteur d’En attendant Godot : pessimisme et humour, se nourrissant l’un l’autre pour décrire la difficile et dérisoire condition des humains. Pour ce faire, Beckett, comme par la suite, utilise un style et une langue débarrassés de fioritures, mais qui n’en perd rien de sa poésie, jusque dans la trivialité qui, chez ceux qu’on nomme aujourd’hui humoristes, confine le plus souvent à la vulgarité. Des qualités qui lui valurent le prix Nobel de littérature de 1969 et en ont fait un classique de la littérature mondiale. Premier amour marque le départ du Beckett dans une nouvelle langue, une nouvelle liberté, après des années de guerre.

Au bonheur du texte

Pour dire pareil texte, il faut un comédien rompu à l’exercice du soliloque. Car avec Premier amour, tout artifice de décor, de musique, de gesticulation, doit être banni comme l’avait exigé l’éditeur Jérôme Lindon, exécuteur testamentaire de Beckett. Tout doit, donc, être au service du texte, de la nudité du texte, qui forme, tout à la fois, la musique et le décor. Le comédien Jean-Quentin Châtelain l’avait créé en 1999 avec le metteur en scène Jean-Michel Meyer. Les deux complices s’y sont recollés. Châtelain égrène l’histoire, hésite, butte sur des mots et leur acception, étire les silences comme on imagine que le fit Beckett en affrontant pour la première fois en français. L’expression : « peut-être » revient fréquemment. La mémoire est traîtresse, c’est un fait, mais ce doute introduit dans les méandres du récit est celui de l’auteur qui semble ainsi réfuter toute idée de certitude et de rigidité intellectuelle dont s’alimentent les dogmes. Comme toujours chez Beckett, on rit : son humour est caustique. Les pointes d’accent suisse du comédien ajoutent, en touches légères et maîtrisées, accompagnées d’une économie de gestes et de mouvements, au charme d’un texte fait pour être écouter, un texte que le comédien roule en bouche, et qui pénètre profond chez l’auditeur. Jean-Quentin Châtelain incarne, dans de longues digressions loufoques à force de banalité, ce clown céleste, qui sait faire rire et émouvoir, plongé dans une profonde solitude. Ce clown qui traverse toute l’œuvre de Beckett et nous marque au fer rouge du verbe. Quatre-vingt-dix minutes de pur théâtre, de pur plaisir.

Premier amour
Texte : Samuel Beckett
Mise en scène : Jean-Michel Meyer
Avec Jean-Quentin Châtelain

Dates et lieux des représentations: 
- Jusqu’au 27 février 2022 au Studio Marie Bell, Théâtre du Gymnase, Paris 10e (01.42.46.79.79.) du jeudi au dimanche.

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