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« James » de Percival Everett : Sur l’autre rive du Mississippi....

  • Écrit par : Guillaume Chérel

JamesPar Guillaume Chérel - Lagrandeparade.com/ Même sans avoir lu Mark Twain, tout le monde a entendu parler des Aventures de Huckleberry Finn, paru en 1884.

Plus d’un siècle après, son compatriote américain, Percival Everett a eu l’idée géniale d’écrire une partie de son périple, sur les rives du fleuve Mississippi du point de vue de l’esclave prénommé Jim. Ce dernier travaille pour Miss Watson, avec sa femme Sadie et sa fille Lizzie, à Hannibal dans le Missouri. Il fait semblant d’être analphabète, et de parler en « petit nègre » (chapeau à a traductrice), pour ne pas inquiéter les Blancs – surtout le juge Thatcher, qui possède une bibliothèque dans laquelle il se cache parfois pour lire des livres (notamment Candide, de Voltaire, qu’il cite abondamment). James prétend souvent ne rien savoir, ne rien comprendre. En réalité, il maîtrise la langue et la pensée comme personne. Mieux vaut les conforter dans l’idée qu’il est stupide comme une « bête à manger du foin »

Il est non seulement lettré, mais intelligent, et attend son heure pour sortir de cet enfer, peu avant que la guerre de sécession ne soit déclaré par les Etats du sud. Non pas qu’au Nord on soit moins raciste, mais les abolitionnistes ont moins d’intérêts économiques en jeu… « Huck » et son ami Tom (Sawyer) adorent le taquiner, et lui fait mine d’être naïf : « Ces gamins blancs, Huck et Tom, m’observaient. Ils imaginaient toujours des jeux dans lesquels j’étais soit le méchant soit une proie, mais à coup sûr leur jouet. [...] On gagne toujours à donner aux Blancs ce qu’ils veulent. »

S’il sait lire, et écrire, il doit se battre pour exercer ce droit, dans une société où la possession d’un simple crayon peut provoquer lynchage et pendaison, haut et court. Jim sait qu’il doit se méfier de tous les Blancs, même ceux qui semblent inoffensifs, comme « Huck » et Tom. Surtout de Miss Watson, qui est d’une grande sévérité. Elle traite ses « négros » comme des bêtes de somme. Le jour à elle prévoit de vendre Jim à un homme de La Nouvelle-Orléans, en le séparant de sa famille, il décide de s’enfuir vers les Etats du Nord, censés être « abolitionnistes », pour amasser assez d’argent afin de revenir racheter les siens. Le jeune Huck, qui s’est fait passer pour mort, pour fuir son « père » qui le bat, va l’accompagner. Tous naviguent, de nuit, sur le Mississippi, dans des embarcations de fortune. Ils se cachent le jour, tout en laissant trainer des lignes pour pêcher des poissons chats, afin de se nourrir. Comme dans un western, la tête de « Jim le nègre » est mise à prix. Dans leur fuite, les deux complices improbables (un adulte noir et un gamin blanc) vont croiser deux bonimenteurs violents, menacés de goudron et de plumes, un groupe de chanteurs qui se griment en Noir (blackface) pour faire rire les Blancs, aux dépens des Noirs ridiculisés. Il y aura des coups de théâtre, du suspense, et des dialogues a priori simples mais lourds de sens, quand on songe que les mentalités n’ont pas changé tant que ça aux Etats-Unis, comme ailleurs.

Il fallait oser jouer sur le terrain de Mark Twain, considéré par beaucoup comme le père fondateur de la littérature américaine, et c’est ce qu’a fait Percival Everett avec son roman simplement titré James, en prenant garde de ne pas le caricaturer (au contraire, il lui rend hommage en fin d’ouvrage), ni le « singer ». A dire vrai, on se croirait dans une énième version de « La Planète des singes », avec le postulat que les bêtes sauvages, ignares et stupides, ce sont les Blancs. Jim (diminutif de James), le narrateur, va accomplir un voyage épique qui le mènera à l’émancipation. James a remporté le National Book Award et le prix Pulitzer Fiction 2025. Récompense qui couronne le travail d’un grand écrivain afro-américain auteur d’une œuvre prolifique et éclectique, car il alterne entre livres écrits dans un style exigeant, en mode « laboratoire d’écriture », et des romans plus faciles d’accès.

A contraire de nombre de ses collègues, Percival Everett n’écrit jamais le même livre. Il est audacieux et ambitieux littérairement, tout en restant lisible par tous. En se mettant dans la peau (noire) de Jim, le lecteur s’identifie au héros fugitif. L’effet est saisissant. On tremble et se révolte avec lui, à une époque où la société américaine renoue avec ses heures sombres et inquiétantes. Everett décrit admirablement le « jeu » de rôle entre Blancs et Noirs, au moyen de dialogues simples, répétons-le, apparemment, voire comiques, comme chez Molière, mais révélateurs. Son écriture est à la fois poétique et esthétique.

Percival Everett tend un miroir, tout le contraire de déformant, aux américains, comme à tous les êtres humains tentés de se croire supérieurs à leurs semblables. En changeant de perspective, de point de vue – de rive du fleuve -, il rappelle l’importance du langage et de la connaissance. Mine de rien, en citant Voltaire (et Montesquieu), il remet au gout du jour le Siècle des Lumières, dont nous nous éloignons ici aussi, au pays de la Déclaration des droits de l’Homme (et de la femme). Si Everett semble s’amuser, au début, à emprunter à Mark Twain son ironie humaniste, il bascule progressivement, vers la fin du roman, dans l’enfer de l’Amérique raciste. Ce roman d’aventures, porté par les flots tourmentés du Mississippi, pose un regard innovant sur la question du racisme. James est surtout l’histoire déchirante d’un homme qui tente d’exercer son libre arbitre. Non seulement Percival Everett transforme le personnage de Jim en un héros inoubliable, mais il donne envie de lire, ou relire Mark Twain.

James
Auteur : Percival Everett
Editions de l’Olivier
Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Anne-Laure Tissut
283 pages
Prix : 23, 50 €
Parution : 22 août 2025

 


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