L'Histoire d'une femme : Femme au bord de la crise de guerre...ou La main aux fesses de trop
- Écrit par : Guillaume Chérel
Par Guillaume Chérel - Lagrandeparade.com/ C'est l'histoire d'une femme qui reçoit une grande claque sur les fesses, d'un homme qui passait à vélo, au point de tomber au sol. Une fois à terre, elle décide de ne pas se relever, de ne plus lutter, de ne plus jouer le « jeu »... Mais de quel jeu s'agit-il ? De celui des rapports (de force) Hommes/Femmes. Celui de la domination masculine. Encore une pièce post #MeToo ? Pas du tout... L'auteur, Pierre Notte, avait écrit le texte avant l'affaire Weinstein. Et quand bien même, ce serait le cas... Des siècles de domination masculine n'ont pas fini d'inspirer des auteurs sensibilisés par cette infamie. Mot peu usité de nos jours mais qui résume bien le postulat selon lequel une partie de l'Humanité s'est cru le droit de dominer l'autre, sous prétexte qu'il a un phallus, et une puissance musculaire généralement supérieure. Autant dire les choses telles qu'elles sont. Muriel Gaudin est la porte-parole de ce ras-le bol, dans L'histoire d'une femme, beaucoup moins drôle que L'histoire d'un mec, de Coluche.
Rappelons que le texte est écrit par un homme (Pierre Notte, associé et programmateur au Théâtre du Rond-Point). Son nom est écrit en plus grand et plus gros, que celui l'interprète féminine, sur l'argumentaire de la pièce... Comme quoi, le combat n'est pas gagné. Loin de là . Une femme décrirait sans doute différemment sa vision des atteintes à la dignité féminine. Sur les sous-entendus, insultes, coups, baffes et claques qui prolifèrent dans un monde d'hommes. Cette société phallocrate où la parité n'est pas de mise partout. Ou le sexisme perdure. Quand les femmes ne sont pas carrément tuées, comme le rappelle Muriel Gaudin (130 « féminicides », en France, en 2019) avant de jouer sur le plateau. Car le public est accueilli dans la petite salle Roland Topor (86 places) dans une ambiance bon enfant. Muriel Gaudin, himself, pose d'abord des questions, a priori ludiques, sur des propos à connotations misogynes : qui a dit ceci ? (Berlusconi !) Qui a fait cela ? Etc... Pierre Notte, lui-même, distribue des bonbons, et non des notes (ouarf !) à celles et ceux qui donnent les bonnes réponses. L'actrice continue à parler, lumière allumée, de manière posée et amicale puis, dans l'obscurité le ton change.
On sent qu'elle est en colère. Elle a décidé de dire non ! Stop ! De sortir du système, de se taire, et refuse toute relation biaisée (pas baisée) avec les hommes. Elle qui a pourtant envie de vivre, de jouir et d'aimer. Disons-le d'emblée, ce n'est pas le genre de spectacle agréable à regarder, de manière passive. C'est une pièce engagée, donc engageante, qui bouscule, provoque, agace parfois. Car à force de passer en revue les agressions des hommes qui l'entourent, depuis son père jusqu'à son futur ex-compagnon, le buraliste, le collègue de travail, le médecin, ou le passant, cela devient une litanie agressive. Le genre d'attitude qui risque de la voir taxée d'hystérique. La fameuse prétendue « hystérie féminine ». Mais comme le disait superbement le poème de Bertolt Brecht :
« On dit d'un fleuve emportant tout qu'il est violent
Mais on ne dit jamais rien de la violence
Des rives qui l'enserrent. »
La deuxième phrase est moins connue :
« On dit que le vent qui courbe les bouleaux est violent.
Mais qu'en est-il de la tempête qui courbe les hommes
qui travaillent dans les rues ? ».
Le femmes ont des raisons de se fâcher. Le problème, c'est que la colère – logique, légitime, voire utile et nécessaire - est généralement mal perçue (pour exemple, le mouvement féministe souvent caricaturé). Muriel Gaudin incarne avec force et rage cette femme qui n'en peut plus de ce monde d'hommes devenu irrespirable. Mais du coup, c'est le spectacle qui le devient, parfois, irrespirable. Les spectateurs ont l'impression de se faire engueuler pendant une heure : c'est long... L'actrice (en colère) sur scène, finit par passer pour une femme au bord de la crise de nerf. Et cela devient contre-productif. En dosant mieux la montée en puissance de cette révolte, le message passerait mieux. Or, l'actrice est au sommet de sa rage dès le début, jusqu'à la fin du spectacle. Il y a bien quelques passages drôles, plus légers (avec le collégien ou le marchand de journaux) mais le ton général demeure électrique, décapant, ulcérant, si ce n'est plombant. Résultat de la guerre des sexes, il est vrai. Cette femme ne fait que réagir à la violence par la violence verbale, mais du coup elle passe pour une folle... ingérable. Indomptable... En craquant elle perd pied, soit. Mais il n'y a évidemment pas que des c... de phallocrates sur la planète et de nombreuses femmes ne perdent pas leur sang-froid. Arrivent à se préserver, à éviter les « relous ». La preuve, un homme sensible et bienveillant lui a écrit un beau texte qui dit le monde dans lequel nous avons vécu et continuons de vivre. C'est quand elle lâche ses cheveux et danse, pieds-nus, telle une femme sauvage, une sorcière, une femme libre que Muriel Gaudin est finalement criante de vérité. Comme si les mots étaient de trop. Comme si c'était ce corps, le problème... le vrai sujet.
L'Histoire d'une femme
Texte et mise en scène : Pierre Notte
Avec Muriel Gaudin
Lumière : Antonio de Carvalho
Régie son et lumière : Hervé Coudert
Arrangements : Clément Valker-Viry
Le texte est publié aux éditions L'Avant-Scène, Quatre vents.
Durée : 1h10
Dates et lieux des représentations:
- Jusqu'au 1er décembre 2019 au Théâtre du Rond-Point (2 bis, avenue Franklin-Roosevelt – 75008 Paris), à 20h 30, dimanche à 17 h 30, relâche le lundi. Réservation au 01 44 95 98 21 / theatredurondpoint.fr