Célébration : un miroir du cynisme de notre société contemporaine
- Écrit par : Xavier Paquet
Par Xavier Paquet - Lagrandeparade.com/ Que célèbre-t-on dans ce restaurant huppé ? La réussite professionnelle d’un couple ou plutôt l’annonce progressive de leur infidélité réciproque dans un flot de paroles où chacun parle sans s’écouter?
L’anniversaire de mariage fêté par deux autres couples ou plutôt le déchirement familial – les deux hommes sont frères, les deux femmes sont sœurs – dans la bonne humeur et avec le sourire de façade. Le marié, séducteur violent, annonce qu’il est amoureux d’une autre face à sa femme soumise et frustrée. Son frère semble, lui, sous l’emprise de son ainé. En première couche, la réussite professionnelle et sociale. Sous le vernis qui craquèle, le mensonge et la superficialité de leurs vies.
Pour sa dernière pièce, Harold Pinter a utilisé les ingrédients d’un huit-clos prenant, mettant à table les errements des bourgeois. Nantis, nos protagonistes affichent leur bonne situation (banquier, conseillers en stratégie) avec un certain dédain et un grand mépris. Leur bonne éducation masque la vulgarité et la cruauté de leurs mots pour panser leurs maux. Derrière leur apparence bourgeoise et leur communication raffinée, se cachent de profondes blessures que ce restaurant va révéler.
Ce mal-être collectif ressurgit derrière des situations anodines et des conversations superficielles où pouvoir, argent et sexe se côtoient comme étendards de faux-semblants sociaux. Avec cynisme, ils se mentent et font éclater leurs vérités : l’infidélité, l’amour transi, l’absence de sentiments… Le poids des non-dits explose.
Les restaurateurs écoutent sans sourciller, symbole de notre société qui approuve et se tait avec complaisance. Personne ne s’écoute et les échanges sont déshumanisés : sauf quand le serveur prend la parole, apportant poésie, humour et humanité dans ce monde dépravé.
D’un point de vue scénique, l’espace se divise en 3 : la table du couple à cour, le petit salon de la restauratrice à jardin, la table façon buffet du quatuor en fond de scène. Les jeux d’ombre et de lumière, au propre et au figuré, nous font passer de l’un à l’autre. Les plans se resserrent et se dézooment façon cinéma.
La mise en scène surprend : les comédiens ont des sourires de façade qui tranchent avec le mouvement de leur corps qui exprime leur intériorité (le désir, la blessure, le cri). La psychologie des personnages dans l’expression corporelle.
Le sens du sous-texte se traduit visuellement avec des actions à tous les plans et un esthétisme millimétré et chorégraphié comme sur cette danse d’anniversaire qui finit en danse de l’adultère.
Les intermèdes musicaux et les scènes muettes apportent de la respiration et de la sensibilité pour mieux apprécier la cruauté et l’humour noir du texte.
Les comédiens deviennent burlesques quand ils finissent enfarinés tel le clown blanc et l’auguste. Une situation absurde qui colle à leur situation de jeu.
Ecrite à l’orée des années 2000, Célébration est le miroir de nos sociétés contemporaines dans ses fausses valeurs, sa quête identitaire et son individualisme décadent. La faire jouer par une jeune troupe, pleine de fraicheur et de promesses, un joli pied de nez.
Célébration
Texte : Harold Pinter
Texte français : Jean Pavans
Mise en scène : Jules Audry
Création lumière : François Duguest
Collaboration artistique : Anne-Sophie Lombard
Avec Quentin Dassy, Francesca Diprima, Léa Fratta, Faustine Koziel, Orane Pelletier, Garion Raygade, Ulysse Reynaud, Marco Santos et Florence Vidal
Durée : 1h
Dates et lieux des représentations:
- Du 5 au 28 avril 2019 au Théâtre de Belleville ( 94 Rue du Faubourg du Temple, 75011 Paris ) Téléphone : 01 48 06 72 34