Gunks - chroniques du temps insouciant : Doigts de fer et cœur tendre
- Écrit par : Guillaume Chérel
Par Guillaume Chérel - Lagrandeparade.com/ Les Shawangunks (ou « Gunks », pour les initiés) est une des plus anciennes zones d'escalade, située à 80 miles au nord de New York. Les voies difficiles ne manquent pas, mais elles sont également connues pour leurs ascensions plus abordables. Pour les non-spécialistes de la varappe, imaginez un mix entre la forêt de Fontainebleau et les gorges du Verdon.
Or donc, au milieu des années quatre-vingt, l’orléanais « Méduz », et ses amis, Manuel et Claire (deux étudiants), décident de vivre leur passion au cœur des Appalaches. Le narrateur principal, en rupture de ban, rapport aux études, est surnommé ainsi parce qu’il est « médusant de péchon ». traduisez, en langage de la montagne, qu’il a un sacré « péchon » au bout des doigts… Autrement dit, ses doigts crochus sont pêchus, ce qui lui permet de pallier son manque d’expérience, et de technique.
C’est l’époque de l'insouciance et de l'initiation à la grimpe, mais aussi aux sentiments amoureux.. Ayant l’impression d’avoir fait le tour des possibilités en France, le trio traverse l'Atlantique pour se mesurer aux fameuse falaises mythiques des Gunks. « Méduz », qui est franco-américain, en profite pour retrouver son oncle Jacques (et pas Jack), dont le frère (le père de Méduz) est un vétéran du Vietnam.
Outre le récit du road-trip, au cours duquel les jeunes « héros » vont vivre des péripéties, quand ce sont ne sont pas carrément des aventures (forêt menaçante, attaque d’ours, chute mortelle…), façon Tom Sawyer, de Mark Twain, il est beaucoup question de Claire, qui tient son journal de bord, libre et indépendante (sexuellement notamment), laquelle dicte ses règles, imposant des remises en question à ses compagnons : « Je me demande pourquoi je me retrouve là avec ce très bon grimpeur et cette excellente grimpeuse, et je tente de me convaincre qu'il y a trois bonnes raisons à cela. Primo, Manuel est mon super copain, on s'entraîne ensemble depuis longtemps, et on rêve de ce voyage depuis un bail ; secundo, je parle anglais ; tertio, mais un tertio qui est peut-être un primo, Claire est ma petite copine – enfin, je crois. »
Si l’on met à par la « romance », et la relations SM, qui frise la prise de tête, inhérente à cet âge, c’est le jargon des « climbers » qui intéressera les amateurs de littérature et de langage, donc de style (d’écriture). L’auteur, qui est également éditeur, n’est pas traducteur pour rien. Il fait souvent référence à ce qui est devenu son métier. Méduz passe en effet son temps à traduire de l’anglais au français, et réciproquement, et à tenter de comprendre ce que veulent ses amis Manuel et Claire : « Il tambourine (…) pieds à plat sur de toutes petites prises.
"Tous les grattons sont sur-zippatoires.
Et pour les mains ? je demande.
Monodoigts cruels. Bidoigts qui charcutent."
Sur ce, débarque David Chambre, qui se fait « chambrer » (il échoue sur une voie prenable, a priori) : « Je grimpe, je tombe, je grimpe, je tombe, je grimpe, je tombe, je tombe toujours ». Alors que c’est son vrai nom et effectivement une figure de ce microcosme (il est un des meilleurs grimpeurs des années 80/90 et a beaucoup publié sur le sujet). Un peu notre Laird Hamilton gaulois, si l’on se réfère au surf (nous y reviendrons). Patrick Edlinger, de la même génération, si vous préférez : le « Rahan du Verdon », disparu tragiquement en 2012.
Il est aussi question d’être bien « assuré », de « descendeur », de baudriers, « deux-pattes » (tente 2 places), tridoigts, réchaud, boites d’aloufs, magnésie, café soluble, camping-gaz, friends, stoppers, sangles, moulinettes, Inherent Vice, sans oublier la Vineland. Encore une fois, les initiés reconnaitront le titre d’un roman de Thomas Pynchon, mais ça n’est peut-être qu’une coïncidence. Méduz arrivera-t-il à bout de Supercrack ? Se fera-t-il piquer sa petite copine par son grand ami ? Tata tiiiin !
Gunks : chroniques du temps insouciant rappelle un peu Jours Barbares, de l’américain William Finnegan, qui raconte comment le surf devient une obsession pour des milliers de bourlingueurs, hors système, post-beatniks, on the road again… En quête de la bonne vague, toujours meilleure que la précédente. C’est « le » livre culte que tout surfeur doit avoir lu. Gageons que le roman de Nicolas Richard, qui se rapporte à des aventures qui se sont réellement produites, dont certaine personnelles, connaîtra le même succès dans le monde de l’escalade : « Attention, grimper peut-être addictif ». Un peu comme la littérature.
Gunks : chroniques du temps insouciant
Editions : Arthaud
Auteur : Nicolas Richard
265 pages
Prix : 19, 90 €
Parution : 15 janvier 2025