Cinéma : La vie rêvée des intermittents du spectacle ou Les coulisses du off du Festival d’Avignon
- Écrit par : Guillaume Chérel
Par Guillaume Chérel - Lagrandeparade.com/ Voici le pitch, aurait dit Thierry Ardisson : jeune comédien en perte de vitesse, Stéphane (joué excellement par Baptiste Lecaplain) débarque avec sa troupe au Festival d'Avignon pour jouer une pièce de boulevard.
Il y recroise Fanny (la révélation Elisa Erka), une comédienne de renom, avec qui il avait participé à un cours (de théâtre) et (re)tombe sous son charme. Profitant d'un quiproquo pour se rapprocher d'elle, Stéphane s'enfonce dans un mensonge qu'il va devoir faire durer le temps du festival mais qui va très vite le dépasser. Il joue gros en laissant croire à sa belle qu’il joue Rodrigue dans « Le Cid » de Corneille. Bref, le classique des classiques, dans le « In ».
Le réalisateur, Johann Dionnet, connait bien le quotidien des intermittents du spectacle car il est acteur lui-même. C’est sans doute pour cette raison qu’il ne se focalise pas sur les deux principaux protagonistes mais offre à chaque « second » rôle de bonnes répliques, et la place pour s’exprimer. Comme dans les meilleures comédies, dites romantiques. Celles et ceux qui connaissent l’ambiance si particulière, mi-cour des Miracles, mi-foire aux egos, du mythique Festival d’Avignon, se rappelleront les bons (et mauvais) moments passés dans la touffeur de la Cité des Papes. La dichotomie entre le « off », auquel participe tant bien que mal la troupe de saltimbanques que nous suivons, et les snobs intellos bobos du « In » est bien décrite et ne changera jamais. Il en est ainsi de la condition humaine, semble-t-il.
« Faire » Avignon, ou Cannes (au cinéma), à ses débuts, c’est comme tuer un lion chez les guerriers Massaï. La galère est presque nécessaire pour resserrer les liens. Surtout, quand le premier souci est d’obtenir une salle avec air conditionné. Vient l’affichage sauvage et le « tractage », et autres parades nécessaires pour espérer exister parmi des dizaines d’autres spectacles « vivants ». C’est ça ou la mort, comme dans les arènes romaines. Le public et les critiques (seul bémol au film, il manque les journalistes après lesquels les attachées de presse – quand il y en a – cavalent, pour qu’ils viennent voir la pièce). L’offre est foisonnante. Les troupes se succèdent. La précarité menace. Les recettes ne suffisent pas à tout payer : location d'un théâtre, difficultés d’emprunt pour lancer une production, cachet des acteurs, quand cachet il y a... Dans « Avignon », le metteur en scène (campé par Lyes Salem, crève l’écran, car il a le « mauvais » rôle mais parvient à être touchant parce qu’il est passionné et réglo) doit vendre le camion avec lequel ils ont voyagé depuis Paris.
Le casting est parfait. Connu pour sa drôlerie, Lecaplain est surprenant en amoureux timide et bougon. L’humoriste Alison Wheeler, étrangement mal fagotée, est tout en retenue dans le rôle de la bonne copine confidente, et compagne de bon conseil. On aimerait la voir se lâcher davantage dans un prochain film, parce que depuis Valérie Lemercier ou Florence Foresti, on ne fait pas plus drôle dans la catégorie féminine. Les scènes où Stéphane joue Rodrigue, dans « Le Cid », en lieu et place du rôle-titre (avec écouteur dans l’oreille), et Fanny du « Ruy Blas », devant le fameux Palais des Papes, sont touchantes et filent les poils. C’est aussi l’histoire d’un travestissement, celui d'un valet en noble, par amour pour la Reine d'Espagne. La boucle est bouclée.
Répétons-le, les personnages secondaires existent tous. Chacun tire son épingle du jeu. Serge, le metteur en scène est stressé donc colérique ; la femme, Coralie, est fatiguée de le soutenir ; l’apprenti régisseur (Rudy Milstein), qui s’avère le neveu de « tonton », prend confiance et s’émancipe, et Patrick, dit « Pat », interprété par le réalisateur Johann Dionnet lui-même, est la bonne pâte sur qui tout passe.
« Avignon » est triplement primé au Festival de l'Alpe d'Huez (Prix coup de cœur, Prix des abonnés Canal Plus, et surtout Grand Prix du jury). C’est la comédie (bonne) surprise de l’été, qui rappelle les meilleurs fims des couples Bacri/Jaoui et Nakache/Toledano. A la fois film choral et film de troupe, il redonnera le moral à tous les intermittents du spectacles, et autres « intellos précaires », qui ont des raisons de se décourager et de lâcher l’affaire. Tout est possible dans ce métier pas comme les autres, tant il dépend du désir des autres.
Comme l’amour, l’art est versatile, mais parfois il y a des happy-ends.
Avignon
Réalisation : johann Dionnet
Avec Baptiste Lecaplain, Alison Wheeler, Lyes Salem
Directeur de la photographie : Thomas Rames.
Musique : Sébastien Torregrossa
Production : Mathieu Ageron, Maxime Delauney, Romain Rousseau, Yoann Scherb
Sociétés : Warner Bros. France Distribution, Nolita Cinema Production, TF1 Studio CoProduction, France 2 Cinéma
En salles : 18 juin 2025