Par Guillaume Chérel - Lagrandeparade.com/ Le 11 mars 1985, la Marche funèbre de Chopin résonne dans les postes de radio russes, annonçant la mort du secrétaire général du Parti communiste, Konstantin Tchernenko, ce qui annonce l’avènement de la pérestroïka, et la chute du mur, quelques années plus tard, grâce à l’accession au pouvoir de Mikhaïl Gorbatchev. En attendant, à des milliers de kilomètres à l'est de Moscou, dans l'étendue sibérienne, les habitants d'un immeuble communautaire vaquent à leurs occupations, se confrontent aux petits drames du quotidien, à leurs espoirs et à leurs désillusions.

Il y a Matveï, le collectionneur taiseux, qui travaille à un étrange projet pour le gouvernement communiste ; les Karisen et le vieux professeur ; enfin, la pièce où dorment Krochka, le bébé, Ianka, sa jeune mère, Maria, sa grand-mère et Varvara, son arrière-grand-mère. Les générations cohabitent tant bien que mal, en s’adaptant avec les manies des unes et les caprices des autres. A cause de la promiscuité imposée – il ne s’agit pas de colocation -, est difficile, voire quasiment impossible d’avoir une vie intime, sentimentale, voire sexuelle. D’où les petits drames, le plus souvent silencieux (et pour cause) des existences individuelles dans cette URSS regrettée par la bande à Poutine.

Varvara se sert dans la penderie de sa fille pour aller en secret de sa chambre à celle de son amant ; Maria rêve d’indépendance et à son passé avec un homme passé trop vite dans sa vie ; Ianka songe, elle, aux passé (presque heureux) qu’elle n’a pas su apprécier à sa juste valeur, comme sa guitare qui est désormais cassée. Au moment où Pavel et Andreï tentent de la séduire. Tout est apparemment calme, avant la (nouvelle) tempête.

Avec ce court roman, dense, Katerina Poladjan confirme, une fois encore, après « Ici, les lions » (2023, même éditeur), ancré dans une Arménie envoûtante, qu’elle sait transcrire les sentiments de ses personnages, dans la lignée des plus grand illustres prédécesseurs russes. Il rappellera aux plus anciens l’atmosphère générale de l'Union soviétique finissante, et nous renvoie aux tréfonds de l’âme que l’on dit slave, en particulier, et humaine plus généralement. Laquelle n’a ni frontière, ni dogme politique. Cette journée suspendue entre deux mondes restera gravée dans la mémoire de ses lecteurs (et « trices »).

La petite musique du futur
Editions : Rivages
Auteure : Katerina Poladjan
Traduit de l’allemand par Corinna Gepner
157 pages
Prix : 18, 50 €
Parution: 2 avril 2025