Par Félix Brun- Lagrandeparade.com/ « Je crains que le verbe convenant le mieux à la narration n’est pas écrire un livre mais le commettre comme un délit. »

Neuf textes, lumineux, troublants, intimes, dans lesquels Erri De Luca observe, éclaire, raconte avec poésie les relations entre les parents et les enfants. Quels sont les points communs entre Abraham qui, avec précaution, esthétique et amour, s’apprête à sacrifier son fils Isaac et Marc Chagall qui va peindre avec force et magnificence son père, le marchand de harengs ? Avec simplicité, retenue, candeur même, l’auteur parle de ses parents, de sa condition d’enfant à adulte. « Nous n’avons jamais parlé de ces choses-là, même les soirs où nous buvions ensemble, père, fils et bouteille. Avec l’alcool qui circule dans mon corps, je suis plus silencieux que d’habitude. Lui évoquait des moments du passé, aucun de sa vie de soldat pendant la guerre. Je tiens de lui aussi l’économie des souvenirs. » A propos de ses géniteurs, « Je leur suis débiteur à tous les deux de la meilleure école d’économie, se contenter de ce qu’on a. »
C’est à Naples sa ville natale qu’il évoque ces enfants livrés à eux-mêmes, la misère à portée d’un jet de pierre ; ces petits napolitains pour qui "l'adolescence a été un âge adulte"… "De qui étaient-ils les fils ? De la ville qui avait accouché d’eux par grappes après la guerre et qui les dressait à surmonter la journée." Et puis le récit d’une femme qui découvre que son père est un criminel de guerre : l’obsédante relation entre elle et lui, entre le symbolisme de la langue yiddish, la Kabale et ce monstre nazi… "On croit que l’on décide de ses propres actions, puis viennent des moments où l’on reconnait avoir été conduit par la main comme des enfants d’un trottoir à l’autre. Il existe des forces, des attirances qui démentent la prétention d’être maître de soi."
Un immense trouble avec cette fille qu’on amène depuis la prison au cimetière où va être inhumée sa mère : « Pour sortir, les larmes ont besoin elles aussi de la liberté. » Et Erri De Luca évoque « 1968 fut l’année académique du pavé extrait de sa base et projeté en l’air ». Cette jeunesse révoltée pour qui, "Les pierres qu’ils lançaient étaient contre leurs parents".
L’auteur replonge dans la vie biblique avec Moïse, berger du désert, qui a reçu de son grand-père et de son père le don de trouver, de sentir les vibrations de l’eau. Enfin dans  »Dernière Histoire » il aborde la relation de Dieu à son fils : "Le christianisme se fonde sur l’obéissance extrême et docile d’un fils envers son père".
Erri De Luca gratifie le lecteur de ses thèmes préférés, la nature, l’identité de l’être, les souvenirs et le passé, la transmission et l’héritage, Naples sa ville, la mer, la montagne, l’histoire biblique, la liberté. Un éblouissant et troublant moment de lecture, d’une écriture ciselée, poétique, percutante, qui manie avec art la métaphore et la parabole. Un livre que l’on va relire avec gourmandise et passion, que l’on va partager sans hésiter.

[bt_quote style="default" width="0"]Le vocabulaire est ma machine à traverser le temps.[/bt_quote]

Grandeur nature
Auteur : Erri De Luca
Traduction : Traduit de l’italien par Danièle Valin
Editions : Gallimard
Date de parution : 03/03/2023
Prix : 18€

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