Erri De Luca : un court récit superbe sur la souvenance du nazisme et de la shoa
- Écrit par : Félix Brun
Par Félix Brun - Lagrandeparade.fr/Au beau milieu des Dolomites, un soir de juillet, un vieux nazi, criminel de guerre, accompagné de sa fille, sont installés dans une auberge, et se retrouvent à la table voisine du narrateur qui travaille sur une traduction en yiddish. Deux tables, deux récits, deux coïncidences, dans ces lieux insolites, paradis des alpinistes et des amoureux de la montagne.
Le premier récit est celui de l’auteur pour l’intérêt qu’il porte à l’écriture yiddish : "Le yiddish a été mon entêtement. J’ai voulu l’apprendre à mon retour des commémorations du cinquantenaire de l’insurrection du ghetto de Varsovie : avril 1943, avril 1993.[…] Le yiddish a été mon entêtement de colère et de réponse. Une langue n’est pas morte si un seul homme au monde peut encore l’agiter entre son palais et ses dents, la lire, la marmonner, l’accompagner sur un instrument à corde."
Le deuxième récit est celui de la fille du criminel de guerre qui va raconter la vie d’un homme recherché, qui se croit traqué, et dont elle ne connaît même pas le vrai nom, son vrai nom. Ce soldat sans remords retourné dans son Autriche natale, s’est lui-même mis à étudier les textes kabbalistiques, recherchant obstinément à démontrer pourquoi le nazisme a failli : « Il croyait que la kabbale était le noyau ignoré du nazisme. » Ce soldat sans état d’âme "échouait comme avait échoué le nazisme, par présomption de supériorité", considérant que son seul tort était celui d’avoir perdu la guerre. "Le pur, la pureté ont été la divinité nazie, leur but de la perfection. La race, l’espace devaient être assainis de la contagion de communautés inférieures. Ainsi la pureté a creusé les fosses communes et saturé les fours crématoires. L’adjectif »pur » dans la bouche de mon père me faisait sortir de la pièce."
Erri De Luca a une régularité surprenante dans ses ouvrages : on retrouve avec délectation les mêmes décors (la montagne, la mer), une sensualité et une précision des mots et de l’écriture, un jeu de rencontres et de circonstances. Un livre aussi concis que saisissant sur la souvenance du nazisme et de la shoa.
Le tort du soldat
Auteur : Erri De Luca
Traduction : traduit de l’italien par Danièle Valin
Edition : Folio n°6028 - parution: novembre 2015