Le tour de l’oie : Erri de Luca en confidence
- Écrit par : Félix Brun
Par Félix Brun - Lagrandeparade.com/ Un soir, l’orage a confisqué l’électricité ; seule la lumière pâle du feu de cheminée et d’une faible bougie éclaire la salle à manger. Erri de Luca engage un dialogue imaginaire avec le fils qu’il n’a jamais eu. "Donc le silence que tu perçois est seulement le silence humain. Le bruit du feu, le bruissement du vent dans les arbres, même la foudre qui a coupé le courant, ne sont pas des voix pour toi. Tu as des sens citadins." Dans cet échange c’est toute la vie d’Erri de Luca qui défile, de l’enfance à l’engagement politique et militant, des sommets montagneux à l’usine, de la nature à l’écriture. "J’ai eu les montagnes touchées de la pointe des pieds et des mains, leur immensité effleurée en surface. J’ai eu les mots. Sans eux je me cogne contre les murs. Je me cogne aussi avec eux mais les murs je les vois bien et je me prépare au choc." Le napolitain est un conteur, un raconteur d’histoires… "Elles ne sont pas à moi, elles appartiennent à la vie et au vocabulaire, moi je les mets ensemble ? Seul me revient le droit d’assemblage." Une relation virtuelle qui prend la forme de confidences, d’auto-dissection de son existence, de transmission, d’héritage… ?
Avec ce fils imaginaire l’auteur replonge dans ses années de luttes, de combats ; "A Sarajevo , si on avait faim, on allait écouter les poètes le nuit à la lumière des bougies." Il dévoile ses secrets, ses peurs, ses vérités. "La liberté que j’ai connue a été celle d’aller et de rester là où je ne pouvais faire autrement." Avec pudicité et autodérision, il s’invente une progéniture impossible : "Je bois aux souvenirs de toi que je n’ai pas eu, à la santé de ta mère que je n’ai pas connue."
Ce saltimbanque des mots choisis et des métaphores, cet orfèvre des formules, livre dans ce roman original une confession sincère, intimiste, sans artifice. Erri de Luca s’interroge sur sa vie, ses rapports à la nature, à la montagne, à sa vie d’ouvrier, à sa famille, à Naples, aux langues et à l’écriture, aux histoires, comme sur un jeu de l’oie. « Quel jeu ? Le jeu de l’oie. On lance un dé et on se déplace dans un circuit en spirale. C’est un jeu de parcours, les stations ont des noms communs : auberge, puits, prison, labyrinthe, squelette. Le corps est le jeu, moi je suis le pion. » Un livre émouvant, délicat, empli de poésie ; un très grand moment de lecture d’un immense écrivain… "tant que l’espèce humaine existera, elle continuera à se faire raconter des histoires."
Le tour de l’oie
Auteur : Erri de Luca
Traduction : traduit de l’italien par Danièle Valin
Editions : Gallimard
Date de parution : 7 février 2019
Prix : 16€