Claude Clément : "Je crois à l’éducation par imprégnation."
- Écrit par : Julie Cadilhac
Par Julie Cadilhac - Lagrandeparade.fr/ Née dans l'Atlas marocain, Claude Clément a passé ensuite quelques années près de Montpellier avant de devenir parisienne. Elle réside aujourd'hui dans un petit village aveyronnais. Détentrice d'une licence en droit et d'un diplôme supérieur de tchèque, elle est devenue traductrice et auteure pour la jeunesse. Harmonia Mundi, entreprise indépendante arlésienne de production de disques, spécialisée dans la musique classique et les musiques du monde, a créé le label jeunesse Little Village et la collection "Le Petit Tourneur de Pages" dont elle est devenue l'auteure de tous les contes. Nous souhaitions mettre en lumière ces albums jeunesse aussi attractifs que pertinents que vous invitons vivement à lire et à écouter!
Si vous nous racontiez d'abord comment est né " Le petit tourneur de pages"?
Voilà longtemps que la musique occupe une place importante dans nombre de mes ouvrages pour la jeunesse. Cela est dû au fait que je suis née dans une famille de musiciens. Mon grand-père maternel était restaurateur-accordeur de pianos, organiste et chef d’orchestre, ma mère pianiste et artiste lyrique. J’ai moi-même beaucoup chanté, enregistré un disque lorsque j’étais plus jeune, et mes enfants ont pris le relais, ainsi que mes gendres… J’ai tourné pas mal de spectacles issus de mes contes, en compagnie de musiciens. L’un de mes albums, « Le luthier de Venise » a fait l’objet d’un opéra, joué au Théâtre du Châtelet en 2004. Plus tard, j’ai publié un livre documentaire sur les instruments de musique aux éditions Milan et une biographie de Chopin aux éditions du Jasmin. C’est donc assez naturellement que les producteurs délégués d’harmonia mundi ont pensé à moi lorsqu’il a été question de créer le label jeunesse Little Village et la collection « Le Petit Tourneur de Pages », dont je suis devenue l’auteure attitrée de tous les contes.
Si vous deviez ensuite en définir la ligne éditoriale, que diriez-vous?
Il s’agit d’une collection de livres/CD grand format. Dans chacun des contes, le héros est un instrument de musique ou une famille d’instruments. C’est par l’imaginaire d’une histoire que l’intérêt de l’enfant est stimulé, ainsi que par des images réalisées par un illustrateur différent chaque fois et par des extraits de musique soigneusement choisis et minutieusement dosés. La partie documentaire se réduit, volontairement, à une double page, dans laquelle le personnage du Petit Tourneur de Pages (créé par Élisabeth Schlossberg) répond aux questions que peuvent se poser les lecteurs-auditeurs. Les extraits qui illustrent musicalement l’histoire sont issus du catalogue d’harmonia mundi.
Des mots et de la musique : deux ingrédients indispensables de votre vie que vous souhaitiez transmettre à la jeune génération?
Oui. Comme je vous l’ai déjà dit : je suis née dans une famille où la musique était constamment présente. Ma mère jouait du piano et chantait lorsqu’elle était enceinte de moi. Je l’ai toujours entendu vocaliser à la maison en compagnie de ma grand-mère qui avait, elle aussi, une voix magnifique de contralto. Toutes deux m’ont emmenée très jeune au concert, à l’opéra ou à des spectacles de cabaret. Je connaissais par cœur des airs de Gounod, de Bizet, de Mozart, de Puccini… J’ai donc été plongée d’emblée dans la musique classique et l’art lyrique, même si mes goûts se sont élargis au jazz, à la chanson, aux musiques actuelles et aux musiques du monde. J’ai fait de même avec mes enfants. Je me souviens qu’à 6 et 3 ans, ils nous ont accompagnés, leur père et moi, pour assister à un opéra de Verdi dans les arènes de Vérone. Je crois à l’éducation par imprégnation. Les enfants ont droit au meilleur dans tous les arts. Et c’est ainsi qu’ils deviennent capables de les apprécier toute leur vie. Le but de la collection « Le Petit Tourneur de Pages » est donc de leur apporter le meilleur de ce que nous avons nous-même reçu et que des interprètes de haut niveau, tels qu’Alexandre Tharaud, Franck Braley, Javier Perianes, Kristian Bezuidenhout (pour le piano), Maurice Steger (pour la flûte), ou Wu Wei (pour le sheng) peuvent aussi leur donner.
Charles Berling, Didier Sandre, Karin Viard ou encore Guillaume De Tonquédec...vous ne manquez pas d'invités prestigieux pour raconter ces histoires pétillantes et intelligentes. Comment avez-vous choisi vos voix?
Cela a fait l’objet de séances animées au sein de l’équipe de production. Nous avons émis des idées, des préférences. Certains choix se sont imposés d’eux-mêmes, comme celui de Yolande Moreau pour narrer l’une de nos prochaines publications : « Big Mama Trombone ». Son humour et sa voix inimitable ont fait le reste. Bien sûr, en plus de nos choix concertés, il y a eu aussi la question de la disponibilité de ces artistes. Je me souviens que Karine Viard est venue enregistrer « Le sheng amoureux », juste avant de se rendre à la soirée des Césars où elle faisait partie des nominés. Charles Berling a pris le temps de prêter son timbre chaleureux au conte du Piano d’Argent entre deux séances de tournage d’un film. Et, après avoir offert la sienne à mon "Fou de Flûte", Guillaume de Tonquédec s’est rendu au théâtre où il jouait le soir… Tous ont été d’une rigueur et d’un professionnalisme épatant, n’hésitant pas à recommencer certaines prises de leur propre gré pour nous laisser le choix entre plusieurs interprétations.
« Le piano d'argent », « Le fou de flûtes », « Le sheng amoureux » sont des contes musicaux dont un instrument est le héros... pourriez-vous nous dire un mot personnel sur chacun de ces trois ouvrages? D'autres existent-ils ou sont-ils en préparation dans la même collection?
Nous avons décidé de commencer par des instruments très connus et très pratiqués : le piano et les flûtes à bec. Pour le piano, j’ai également fait mention dans le conte du piano forte. Le piano a tellement fait partie de ma vie que je savais déjà beaucoup de choses à son sujet. Quant aux flûtes, le grand-père adoptif de mon lutin « fou de flûtes » étant lui-même fabriquant, j’ai pu montrer au fil de l’histoire qu’il en existait de toutes sortes. Quant au sheng, je ne savais pas moi-même qu’il existait. Les producteurs souhaitaient ainsi faire connaître des instruments du monde aux enfants. Or, ils venaient de recruter l’un des plus grands maîtres chinois de cet orgue à bouche, Wu Wei, qui a d’ailleurs composé tout spécialement des musiques pour mon conte. Cet ouvrage m’a permis d’apprendre beaucoup de choses sur le sheng, car j’ai besoin d’une documentation solide avant de me lancer dans une histoire. C’est précisément ce qui me passionne dans cette collection ! J’apprends autant que je transmets. Le prochain livre/CD à paraître, « Big Mama trombone » évoquera davantage l’univers du jazz. En préparation, nous avons « Le luth andalou » et « Awa, batterie et compagnie ». Un conte sur l’accordéon se profile à l’horizon… Cela dépend parfois des rencontres et des projets avec les musiciens.
" Je serai le Roi Soleil" se distingue des autres livres/CD par sa teneur historique notamment...y aura-t-il d'autres ouvrages dans la même veine?
Il s’agissait là d’une démarche précise : celle du directeur de l’ensemble baroque Correspondances, Sébastien Daucé. Il a retrouvé les partitions originelles du Ballet Royal de la Nuit, commandé par Mazarin pour imposer le tout jeune roi Louis XIV aux Seigneurs de la Fronde. Ce ballet durait effectivement toute une nuit. Le livret en était donc très long et touffu. Sébastien Daucé en a fait une excellente adaptation pour adultes sous le titre de Concert Royal de la Nuit. Mais il désirait aussi en faire profiter le jeune public. C’est pourquoi la production a fait de nouveau appel à moi pour écrire un conte, afin d’en offrir une version « jeunesse » hors de la collection du Petit Tourneur de Pages. Étant donné la taille et la complexité du livret du ballet, j’ai préféré écrire une histoire qui amènerait à la représentation finale de ce ballet grandiose et inhabituel. Didier Sandre, de la Comédie Française, a prêté sa voix à la narration. Ainsi, avec les musiques et les chants baroques ressuscités par Sébastien Daucé et son ensemble Correspondances, le tout fut pour moi d’un bonheur infini, que j’espère faire partager aux enfants ainsi qu’à leurs parents.
Ce sont des livres à forte ambition pédagogique. Il n'y a qu'à jeter un œil en fin d'album pour découvrir les ajouts de pages documentées et illustrées qui permettent d'approfondir et de mieux comprendre les histoires ou les morceaux écoutés. D'où est née l'idée d'ajouter ce matériel pédagogique?
Comme je vous l’ai dit, la démarche était avant tout de jouer sur l’imaginaire et l’émotion. Mais on ne peut éviter les questions techniques ou historiques des lecteurs-auditeurs sur les instruments ou les musiques employés. Les pages documentaires étaient donc indispensables. Fruits de recherches approfondies, il est néanmoins exigé de les rendre intelligibles et « digestes » pour les enfants. Ce qui n’est pas une mince affaire ! Elles font donc l’objet de nos soins attentifs, bien que nous privilégions toujours le « ressenti » par rapport au « savoir ».
Un mot pour conclure sur les illustrations. Avez-vous choisi des dessinateurs dont l'univers s'adaptait à l'univers musical de chaque récit...ou bien avez-vous donné carte blanche à des illustrateurs en lesquels vous faisiez confiance et qui ont dessiné en s'inspirant des musiques égrenées dans chaque album?
Nous avons procédé à une sorte de « casting » d’illustrateurs et d’illustratrices qui correspondaient à l’esprit de la collection et à celui de chaque ouvrage. Pour le personnage emblématique du Petit Tourneur de Pages, le choix collectif s’est assez vite porté sur Élisabeth Schlossberg. Ensuite, l’ambiance générée par chaque conte a déterminé des décisions collégiales enthousiastes : Xavière Devos pour « Le piano d’argent », à cause de la tendresse de ses personnages, des détails à la fois oniriques et légèrement humoristiques qui créent l’ambiance romantique portée par le thème principal du piano ; Barbara Brun pour « Le fou de flûtes » et pour sa capacité d’adaptation à des univers différents, l’humanité profonde de ses personnages, leur poésie ; Amélie Callot pour « Le sheng amoureux », pour son expérience des sujets situés en extrême orient, son goût des costumes et son extraordinaire vélocité au dessin ; Lucie Vandevelde pour « Big Mama trombone », pour et univers hyper coloré, drôle et disjoncté ; Nathalie Novi pour sa maîtrise de l’art du pastel, son élégance et sa connaissance de la musique baroque… Il me semble que chacun et chacune avons trouvé notre place et un enrichissement personnel au sein de cette collection. J’espère que les jeunes lecteurs-auditeurs y trouveront aussi leur compte et que, chaque mot lu, chaque note entendue, chaque image vue participera à la construction de leur être profond.
La page facebook du Petit tourneur de pages
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