Peur(s) : Lorsqu’une démocratie outrepasse ses lois
- Écrit par : Victor Waque
Par Victor Waqué - Lagrandeparade.com/ Comment réagit-on en situation de peur ? Quelles sont les conséquences d’un état de stress ? La réponse se retrouve dans notre quotidien autant que dans l’Histoire : l’Homme perd sa lucidité et ses moyens. Le spectacle « Peur(s) », accueilli par le théâtre « L’étoile du nord », traite des conséquences de la peur, à l’échelle individuelle autant que collective. Que se passe-t-il lorsqu’un État et ses hommes politiques perdent leur clairvoyance, acculés par la menace ? Ils jonglent avec leurs lois. Et les dépassent. « Peur(s) » est un spectacle admirable qui nous transporte dans l’engrenage de l’effroi à travers un exemple très actuel. Celui de la prison de Guantánamo. A l’aide d’une belle mise en scène et d’un jeu d’acteur de qualité, nous réfléchissons sur le devenir d’une démocratie en état de crise.
C’est l’histoire d’un détenu de la prison de Guantánamo qui vit dans des conditions de vie exécrables. Un détail nous serre la gorge. Cet homme est totalement innocent. Plus gênant encore, aucun jugement n’a été fait avant qu’il n’atterrisse dans cette prison. Mais la suspicion des États-Unis l’ont amené ici. Car le pays craint une nouvelle attaque terroriste après le 11 septembre 2001. Son incarcération durera 6 ans.
Un avocat va tout faire pour l’en extraire. Cela prendra des années. Il portera devant la justice un fait incroyable : l’État ne respecte pas un principe fondateur de sa constitution : l’habeas corpus. Le droit fondamental d’être jugé avant toute condamnation.
Sur scène le détenu est enchaîné et vêtu d’une combinaison orange. Malmené par les gardiens, yeux bandés, un casque acoustique sur la tête le pauvre homme est isolé, renié de sa condition d’Homme. Avec brio le comédien nous transmet les émotions d’un innocent incarcéré. Courageux dans un premier temps, il va progressivement tomber dans une lassitude béante, bloqué dans un système plus fort que lui.
Le pays a peur et fait en sorte qu’aucune nouvelle menace ne puisse émerger. Quitte à enfermer des innocents. Outrepasser sa constitution. La peur engendrera la peur. Comme un engrenage. Les hommes politiques enferment des innocents. Les détenus subissent des sévisses inadmissibles. Les citoyens craignent un nouvel attentat. L’avocat est effaré devant le scandale qui s’étend devant ses yeux. Une peur au pluriel.
Une peur qui va jusque dans l’échine du spectateur : devant lui des pays « démocratiques » agissent comme des dictatures. N’y a-t-il pas d’autres solutions face à la crainte d’une attaque terroriste que le contrôle de masse ?
Par ailleurs le spectacle « Peur(s) » se focalise sur la place de l’avocat. Un avocat besogneux, motivé par des valeurs humanistes. Un rôle brillamment joué, où sourde autant une impuissance qu’une détermination à obtenir justice. Rien d’évident, car personne ne le soutient. Sa famille lui reproche de défendre un terroriste. Ils affirment naïvement ; si l’État emprisonne c’est qu’il y a une raison. Et comment peut-on défendre l’indéfendable ? Un terroriste qui a tué des compatriotes ? Sauf que le terroriste présumé n’est pas toujours terroriste. Les qualités d’un bon avocat sont posées. Et sa place dans la société.
A partir d’un jeu de lumière ingénieux et de musiques qui s’imbriquent avec l’histoire, nous assistons à de nombreuses scénettes sur le grand thème des conséquences de la peur dans notre société. Et les stratégies mises en place pour l’éloigner de sa propre conscience… Parfois au détriment d’autrui. Ainsi pendant que des couples d’amis de l’avocat s’amusent autour d’un verre en chantant des chansons, les prisonniers continuent leur pénitence. Enfermés. Menacés. Agressés. Deux mondes se superposent. Mieux vaut-être du bon côté...
Finalement, « Peur(s) » nous met en garde : « A quoi bon la loi si la peur nous la fait oublier ». Un rappel à l’ordre qui s’adresse à tous, du simple citoyen aux politiques qui dirigent le pays.
PEUR(S)
De Hédi Tillette de Clermont Tonnerre
Mise en scène de Sarah Tick (artiste associée)
Collaboration artistique : Anne Laure Gofard
Avec : Julie Brochen, Gwenaëlle David, Milena Csergo, Vincent Debost , Frédéric Jessua, Raouf Rais, Lucas Bonnifait
Scénographie : Anne Lezervant
Lumières : Mathilde Chamoux
Son : Pierre Tanguy
Regie générale : Julien Crépin
Costumes : Elysa Masliah
Aide musique : Matthieu Boccaren
Dates et lieux des représentations:
- Du 12 février au 2 mars 2019 ( Mardi, mercredi et vendredi à 20h30, jeudi et samedi à 19h30) à l'Etoile du Nord (16 Rue Georgette Agutte, 75018 Paris)