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Friday Black : une série de nouvelles de qualité de Nana Kwame Adjei-Brenyah

  • Écrit par : Sylvie Gagnère

friday blackPar Sylvie Gagnère - Lagrandeparade.com/ Nana Kwame Adjei-Brenyah est un jeune auteur américain, d’origine Ganéenne. Avec ce premier recueil de nouvelles, il s’impose d’emblée comme une voix qui compte. Dystopie, fantastique, satire, imaginaire, horreur ou veine intimiste, il utilise tous les genres pour donner à voir le monde et dénoncer les travers d’une Amérique contemporaine redoutable.

Le premier texte est d’une incroyable puissance : Les cinq de Finkelstein. Un blanc a massacré à la tronçonneuse cinq enfants noirs. Il invoque la légitime défense, la peur que lui ont inspiré ces jeunes et obtient l’acquittement. Emmanuel, un jeune Afro-Américain, lutte chaque jour pour contrôler son « degré de noirceur », pour ne pas sembler dangereux aux yeux des blancs. Cet acquittement absurde le fait basculer. Les noirs se révoltent et se vengent. La vengeance sur des personnes innocentes, mais complices inconscientes, peut-elle effacer le crime, ou changer les choses ? L’auteur pousse ici jusqu’à l’absurde l’argument des blancs qui ont peur des noirs, parce qu’ils sont noirs. Et même s’il va très loin, le sentiment de malaise du lecteur est intense, tant cette histoire atroce est parfaitement vraisemblable.

Avec Zimmerland, c’est encore le racisme qui est au cœur du récit : des clients blancs (enfants et adultes) viennent dans un parc d’attractions pour tuer (pour de faux) du noir. Si le parc a initialement été conçu pour faire réfléchir les joueurs, il s’avère être surtout un formidable défouloir pour les pulsions racistes.

Dans les trois nouvelles autour du Friday Black, l’auteur met en scène cette explosive journée de soldes, qui tourne au carnage zombiesque pour s’approprier des doudounes. Un univers de décervelés prêts à mourir et s’entretuer pour un bien de consommation. Le ton est satirique, mais derrière le rire grinçant se tapit l’effroi. Ses personnages gardent malgré tout une humanité qui provoque plus de pitié que de haine. Les quelques lueurs de compassion qui éclairent ces moments dantesques en sont d’autant plus précieuses.

Avec L’ère, Nana Kwame Adjei-Brenyah explore un mode dystopique où les gens sont séparés entre personnes optimisées, qui s’injectent du « bien », et ne mentent sous aucun prétexte, quelles qu’en soient les conséquences, et les autres, ceux qui ont conservé leurs émotions, dépeignant avec une acuité remarquable une société profondément inégalitaire.

Cracheuse de Lumière s’inspire des tueries commises par des adolescents. Ici, un jeune homme, un étudiant solitaire et rejeté, tue au hasard une jeune fille à la bibliothèque de la fac. Il meurt lui aussi, et les deux morts, l’assassin et sa victime, vont s’unir pour tenter d’empêcher d’autres meurtres. La nouvelle est empreinte d’une humanité sensible, en ne jugeant pas son personnage, juste en lui donnant une profondeur et une finesse qui nous amène à comprendre.

Dans Lark Street, c’est la culpabilité qui est au cœur du texte, celle d’un père dont la compagne a avorté. Profondément dérangeant, flirtant avec le fantastique horrifique, c’est une histoire qui ne laissera personne indifférent, qu’on l’aime ou qu’on la déteste.

Après l’éclair conclut le recueil avec une nouvelle terrifiante, où une communauté entière se retrouve coincée dans une boucle temporelle après une explosion thermonucléaire. Les protagonistes oublient toute moralité, pour laisser libre cours à la violence et au sadisme, puisque tout recommencera.

Le talent de Nana Kwame Adjei-Brenyah, c’est de créer en quelques phrases un univers, une atmosphère intense où tout est possible. Il porte un regard acéré sur les maux qui gangrènent nos sociétés, un regard d’autant plus fort que toutes les histoires qu’il nous raconte, même science-fictives, sont parfaitement plausibles. L’écriture est incisive et percutante. Le style dépouillé laisse la place à l’authenticité du message. L’auteur excelle à disséquer les souffrances, les remords, la culpabilité, la solitude, la violence dans lesquels baigne les États-Unis – et tout l’occident. Malgré tout, l’humanité et l’espoir ne sont jamais loin, dans le questionnement d’identité, dans le désir de justice qui perdure. Nous sommes dans un monde dominé par les blancs, dévoré par la consommation à outrance, déchiré par des enfants perdus, peuplé de victimes et de bourreaux, qui sont parfois les deux à la fois. Un monde qui ressemble furieusement au nôtre…

Friday Black
Auteur : Nana Kwame Adjei-Brenyah
Éditions : Le Livre de Poche
Parution : 22 février 2023
Prix : 8,40 €

 


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