Les orpailleurs : les pépites littéraires de la Bibliothèque nationale, entre science-fiction et polar
- Écrit par : Guillaume Chérel
Par Guillaume Chérel - Lagrandeparade.fr/ Les Éditions de la BnF explorent de nouveaux horizons et lancent une collection de littérature, « Les orpailleurs ». Au croisement de la science-fiction et du polar, les textes s’illustrent par leurs accents visionnaires, associant au plaisir de la lecture l’excitation de la découverte.
Révélant des récits injustement oubliés, cette nouvelle collection permet de lire - ou de relire - de véritables pépites littéraires. Trois romans, présentés par Roger Musnik, sont à (re)découvrir. Soit trois récits de science-fiction datant du début du siècle dernier, dont le plus connu est l’œuvre de J.-H. Rosny aîné, l’auteur de La Guerre du Feu, qui avait tant impressionné le grand Jack London, lui-même. L’Énigme de Givreuse, suivi de La Haine surnaturelle, est un court roman datant de 1917.
Fin 1914, des brancardiers découvrent un soldat grièvement blessé sur un champ de bataille et, à quelques mètres du corps, un second militaire, sosie du premier. En possession du même livret militaire, ils portent exactement les mêmes blessures. À leur réveil, chacun affirme s’appeler Pierre de Givreuse. Ils ont les mêmes sentiments, les mêmes souvenirs, les mêmes expressions, comme si Pierre de Givreuse s’était dédoublé d’un coup. Cet ouvrage aborde de multiples thématiques et propose différentes strates de lecture. Tout à la fois récit de guerre, étude de mœurs, allégorie scientifique, réflexion sur l’identité, ce roman méconnu de l’auteur de La Guerre du feu présente une version personnelle du thème du double, motif essentiel de la littérature fantastique. A la guerre, tout peut arriver, suggère Rosny aîné : « L’enfer était dans le ciel et sur la terre. » Alors pourquoi pas dans les têtes des belligérants ? Le style peut paraître chargé voire ampoulé, de nos jours, mais cela reste un récit efficace et rythmé.
J.-H. Rosny aîné (1856-1940), pseudonyme de Joseph Henri Honoré Boex, est l’un des fondateurs de la science-fiction moderne. Né à Bruxelles, il s’installe à Paris en 1883 et publie son premier roman. Outre La Guerre du feu, ses récits fantastiques ont eu une influence considérable sur Arthur Conan Doyle, l’auteur des aventures de Sherlock Holmes. Son nom a été donné à un prix littéraire de science-fiction de langue française : le Prix Rosny aîné.
Albert Robida est moins connu. Un chalet dans les airs en surprendra plus d’un. Cette réédition date de 1925 et comme souvent en science -fiction, il s’agit d’un roman prophétique. Au XXXe siècle, notre planète est en proie à une gigantesque catastrophe écologique. Il faut urgemment entreprendre d’immenses travaux de restauration. Accompagné de ses deux neveux, M. Cabrol fuit la capitale et se lance dans un incroyable tour du monde à bord d’une maison volante équipée de merveilles de la technologie. Leurs péripéties les entraînent des plages de Polynésie à la cohue new-yorkaise, entre chute de météorites et batailles de monstres préhistoriques… Dans ce récit, Albert Robida se livre à un plaidoyer écologique avant l’heure, ainsi qu’à une critique féroce de la société occidentale. Drôle et caustique à la fois, l’un des plus talentueux précurseurs du roman d’anticipation à la française reprend une partie de la structure narrative « vernienne » (rapport à Jules Verne), notamment le thème du voyage ponctué d’étapes plus ou moins agitées et truffé d’inventions visionnaires. Illustrateur, caricaturiste, graveur, journaliste et romancier, Albert Robida (1848-1926) est un artiste aux talents multiples. Né vingt ans après Jules Verne, auquel on l’a beaucoup comparé, il s’inscrit dans la tradition du roman d’anticipation à la française, préfigurant l’avenir en imaginant des inventions intégrées à la vie courante et des développements sociaux.
La Grande Panne, de Théo Varlet, est une réédition de 1930. En voiture, sur la route de Cassis, Gaston-Adolphe Delvart, artiste-peintre, et son ami le Docteur Alburtin assistent à la chute d’une fusée. Ils portent secours au pilote Aurore Lescure qui est la fille du constructeur de l’engin. Aurore a rapporté de son expédition des poussières d’« Alien » qui se nourrissent d’électricité. Alburtin décide d’étudier ces matières cosmiques en les passant aux rayons X, sans se douter de la réaction en chaîne qu’il vient de déclencher. Le micro-organisme se développe, prolifère rapidement, recouvre tout sur son passage, s’infiltre et s’immisce partout, paralysant les villes. L’avenir de l’humanité est bientôt menacé.
Entre romance et fin du monde, ce récit haletant, étonnamment moderne et visionnaire, interroge les dérives du progrès de la science. Théo Varlet (1878-1938), alias Déodat Serval, est un poète, écrivain de fantastique et de science-fiction injustement tombé dans l’oubli. Pacifiste et original, voyageur et marcheur, « perfectionniste du verbe », les critiques de son temps le rapprochent de Blaise Cendrars et de Jules Supervielle. Rendons grâce à Roger Musnik, ancien bibliothécaire à la BNF, spécialiste de la littérature de genre (roman policier et science-fiction), et plus globalement la littérature populaire du XIXe siècle, de nous offrir ces raretés oubliées.
La Grande panne, de Théo Varlet, 205 p, 13 €
Un Chalet dans les airs, d’Albert Robida, 202 p, 13 €
L’Enigme de Givreuse, de J.-H.Ronsy aîné, 164 p, 12, 50 €.
Présentés par Roger Musnik, dans la collection Les Orpailleurs, Editions de la BnF.