Les Déraisons d'Odile d’Oultremont : vive la vie!
- Écrit par : Serge Bressan
Par Serge Bressan - Lagrandeparade.fr / Dans ses « Cahiers de jeunesse (1926- 1930) », Simone de Beauvoir écrivait : « J’accepte la grande aventure d’être moi ». Ces mots, la scénariste et réalisatrice belge Odile d’Oultremont les offre au lecteur en ouverture de son premier roman, « Les Déraisons » (présent à ce jour sur la liste de deux prix littéraires). Et d’emblée, on l’avoue, on l’écrit, c’est là un livre envoûtant, pétillant sur plusieurs thèmes parmi lesquels l’amour, le monde du travail, la maladie…
Deux personnages. D’abord, Adrien Bergen, agent de liaison dans l’entreprise belge AquaPlus. Quand le roman démarre, on retrouve le jeune homme au tribunal. Il doit s’expliquer sur le fait que, pendant un an, il n’est pas venu au bureau tout en touchant son salaire. Précision : ladite entreprise avait mis un plan social et l’avait « placardisé ». Là ou pas là , Adrien, on ne le voyait pas… On lit : « Adrien conjura le temps de s'arrêter pour une fois, de se figer, de faire une exception, de résister à passer le relais à l’instant suivant; tenir, tenir, tenir. Il bloque sa respiration dans l'espoir que la vie tout entière soit retenue, mais il fut ignoré et, comme de féroce habitude, cette imperceptible seconde versa irrémédiablement dans la suivante »…
Deuxième personnage : Louise Olinger, « jeune femme de taille moyenne… Ses cheveux brun clair étaient relevés en chignon ». Elle habite 14 rue des Acacias, y vit avec son chien, un Jack Russell qu’elle a baptisé Le Chat. Ce matin d’octobre 2005, Adrien vient annoncer à Louise une coupure d’eau de trois jours, pour « rénovation du réseau d’égouttage ». Première rencontre des deux, elle proteste :
« -Non, non, non !
-Laissez-moi vous…
-Je dis non, l’interrompit-elle. Pas pour la coupure d’eau. Je dis non à deux utilisations consécutives de l’adverse « malheureusement » dans une même phrase. Ça, c’est non !
-Pardon ?
-Ce n’est pas joli, ni raffiné, ni très positif, alors si en plus vous le dites deux fois…
Adrien se figea. Quelque chose lui échappait ».
Rencontre de deux mondes. L’employé réservé et l’« ouvrière de l’imaginaire ». Le chaos de la vie- la violence du monde du travail pour lui, la maladie avec ce cancer du poumon pour elle. Voilà , dit et écrit ainsi, on a tout pour un roman noir, anxiogène, qui plombe le moral de quiconque… Mais il en est tout différemment avec Odile d’Oultremont qui signe là une belle entrée en littérature. Certains ont voulu voir dans « Les Déraisons » des airs de parentèle avec « L’Ecume des jours » de Boris Vian ou encore « En attendant Bojangles » d’Olivier Bourdeaut, d’autres on évoqué « Belle de jour » d’Albert Cohen et d’autres encore ont sorti la « belgitude »… Qu’importe ! ces rapprochements littéraires comptent bien peu. L’histoire déroulée par Odile d’Oultremont (à qui on fera un seul reproche : l’utilisation de quelques mots savants mais qui n’apportent rien au récit) se tient seule- pas besoin de comparaison, de rapprochement… L’histoire, résumée par l’éditeur, c’est donc un couple dans la trentaine, formidablement dépareillé et tellement uni ; c’est une jeune femme qui, résumé de l’éditeur, « pendant que les médecins mettent en place un protocole qu’elle s’amuse à triturer dans tous les sens, l’employé modèle est exilé par un plan social aux confins d’un couloir. Sidéré, Adrien choisit pour la première fois de désobéir : il déserte son bureau vide pour se dévouer tout entier à Louise, qui, jour après jour, perd de l’altitude... » Mon bel amour. Rire et pleurer. Prendre la vie à contre-pied…
Avec une écriture élégante et précise (on imagine sans mal le film qui peut sortir de ce livre), Odile d’Oultremont propose une belle promenade en absurdie. C’est léger, profond, enlevé, rythmé, on rit, on pleure. On vit. Et, comme à Adrien désignant les illustrations agrippées au mur, notre Louise nous répond : « C’est mon garde-manger idéal. Je suis nulle en cuisine, alors je peins »… Tous, à l’image de Louise, soyons emplis de déraisons !
Les Déraisons
Auteur : Odile d’Oultremont
Editions de L’Observatoire
Parution : 10 janvier 2018
Prix : 18 €