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Mathieu Bonhomme : "Mon histoire avec Lucky Luke est une histoire intime."

  • Écrit par : Julie Cadilhac

Mathieu BonhommePar Julie Cadilhac - Lagrandeparade.fr/ Originaire de Paris, après un bac technique option dessin et un BTS d’arts appliqués, Mathieu Bonhomme met un pied à l’étrier en travaillant dans des journaux et un peu dans la publicité. En 2002, paraît son premier album, "Victor & Anaïs", chez Carabas, sur un scénario de Jean-Michel Darlot. Parallèlement à cela, il rencontre Fabien Vehlmann et Gwen de Bonneval avec lesquels il fonde l'Atelier du Coin.

2003 : il remporte le prix du premier album au festival d'Angoulême avec "L'Âge de raison", récit des errances d’un homme de Cro-Magnon. 2005 : il débute "Esteban", qui narre les aventures d’un jeune homme qui s’embarque sur une baleinier, une série plus personnelle pour Mathieu Bonhomme, passionné par la mer (l’auteur travaille d'ailleurs actuellement sur le tome 6). 2006 : début du travail sur "Le Marquis d'Anaon", chargé de légendes et de superstitions, au scénario de Fabien Vehlmann ( éd. Dargaud) et en même temps, il dessine "Messire Guillaume" ( scénario : Gwen de Bonneval, éd. Dupuis), une épopée fantastique qui se déroule au Moyen-âge. Quelques années plus tard, avec Lewis Trondheim, il conçoit "Texas Cowboys", une série pleine d’humour dans laquelle l'heureux duo joue avec les topoi du western. Enfin en 2016, paraît le one-shot "L’Homme qui tua Lucky Luke" ( éditions Dargaud) pour les 70 ans du cow-boy créé par Morris.
En février 2015, la galerie Daniel Maghen avait consacré une exposition à la série "Esteban". Du 1 au 25 juin 2016, elle a voulu en proposer une nouvelle sous le signe du western. L’occasion d’y découvrir une série de couvertures, vingt illustrations couleur et noir et blanc et une centaine de planches originales issues de "Lucky Luke" et "Texas Cowboys". Foncez-y à bride abattue!

Bon...une question simple, pour se mettre en selle : quels sont vos premiers souvenirs liés à Lucky Luke ?

Ils sont flous puisque très lointains. J’ai toujours eu des Lucky Luke dans ma bibliothèque. Morris, c’est l’auteur avec lequel j’ai appris à lire, puis à dessiner. Je ne l’ai jamais lâché. À chaque âge, à chaque période de ma vie, il y a eu de nouvelles relectures et de nouvelles découvertes.

Aviez-vous des personnages secondaires de prédilection ? des albums relus des dizaines de fois?

Bien sûr. Pour moi il y a deux types de Lucky Luke. Ceux avec les Dalton et ceux sans. J’adore les Dalton, ils sont cultes. Mais parmi les albums sans, il y en a qui sont particulièrement savoureux. J’adore ceux dans lesquels Lucky Luke se fait des amis. Le Pied-tendre, le 20ème de cavalerie, des barbelés sur la prairie…Et des albums que j’ai relu des dizaines de fois ? Oui, TOUS ! Parfois des centaines… Mais j’ai décroché progressivement de la production à partir de l’arrêt de la clope, et définitivement, peu d’albums après la mort de Goscinny. Ceux qui me viennent, qui restent vraiment importants (hors ceux cités plus haut)… Ma Dalton, Tortillas pour les Dalton, Dalton City, Fil Defer, Billy the Kid…  C’est dur, de se limiter, à une période, ce sont vraiment des purs chef-d’œuvres qui se succèdent sans cesse.

Votre album débute par ...la mort de Lucky Luke....Evidemment l'idée d'abord est de désarçonner le lecteur : celui qui tire plus vite que son ombre se fait tuer en moins de deux, quelle perte d'éclat ! Ce choix se justifie-t-il aussi parce que, somme toute, l'idée la plus forte que vous aviez de ce héros éponyme c'est qu'il était invincible? (plus que solitaire, flegmatique etc.?) Avez-vous eu plusieurs galops d'essai pour l'ouverture... ou s'est-elle imposée immédiatement ainsi ?

L’idée s’est imposée assez vite, dès mes premières notes. En fait, le chemin est le suivant : Je suis en réunion avec l’équipe éditoriale au sujet de ce projet. Je cherche les limites de ma zone de liberté. Ma première question est : ai-je le droit de faire fumer Lucky Luke ? La réponse est non. J’ai l’autorisation de tout faire, mais pas ça. C’est important pour moi, alors j’en ai fait mon sujet. Je note dans mon carnet : « Lucky Luke arrête de fumer Â». Une phrase me revient alors. Je l’avais entendu à l’époque de la sortie du premier album de Lucky Luke SANS cigarette (Fingers), et je l’écris aussitôt : « Lucky Luke est mort le jour où il a arrêté de fumer Â». Alors oui, j’ai eu envie de mettre sa mort en scène. Ça se justifie parce que je voulais montrer un Lucky Luke humain, donc mortel, dans un univers plus réaliste et plus crédible de Western. Un homme qui a vécu avec un 6 coups à la ceinture en permanence, qui fait un duel pratiquement dans chaque album, il y a bien UNE fois, ou ça risque de mal se passer non ? Et puis oui, c’est de la provoc’ pure. Un super moyen, un poil racoleur, pour accrocher le lecteur. J’assume.

Quelle a été la genèse de cet album ? Publiée pour les 70 ans du personnage, ça, on sait, et à l'occasion de l'exposition-hommage à Angoulême en 2016...mais pourquoi vous ? Dargaud vous l'a proposé et vous êtes parti au triple galop ? Ou on a dû vous éperonner ?

Il faut remettre les choses dans un autre ordre. D’abord, imaginez que pendant 7 ou 8 ans j’ai frappé à la porte des éditions Dargaud pour savoir ce qui serait possible de faire avec ce personnage. Et puis, il y a deux ans, j’ai frappé un peu plus fort. Il faut dire que pendant tout ce temps, j’avais vu fleurir des albums de reprise, des hommages parfois réussis qui devenaient des succès de librairie (je pense au Spirou d’Émile Bravo, par exemple), et qu’on m’avait proposé de réaliser quelques projets de ce type que j’ai régulièrement refusés pour la raison que ce n’était jamais vraiment mon univers. Donc il y a deux ans, j’insistais à nouveau sans savoir que je m’adressais à la personne en charge de développer un programme pour l’année anniversaire de Lucky Luke à venir. Ça tombait bien. Mais c’était un hasard. Pourquoi moi ? Parce que je l’ai proposé, que mes premiers dessins les ont encouragés et que j’avais fait peu de temps avant deux westerns avec Lewis Trondheim, qui me montrait à l’aise dans le genre…

Lucky LukeVous avez choisi de faire cavalier seul : pourquoi ?

Mon histoire avec Lucky Luke est une histoire intime. Il paraissait alors logique que ce soit mon histoire. C’était plus simple, plus évident, plus cohérent. Mais aussi plus stressant, puisque que c’est tout seul que je devais gravir cette montagne !

D'ailleurs, vous gérez aussi la couleur...Morris inimitable dans son traitement de couleurs, c'était une manière de le provoquer post-mortem en duel ?

L’héritage de Morris est en moi. Dilué parmi d’autres. Sa façon de gérer la couleur est un modèle et une voie que je suis depuis toujours. Déjà, dans l’un de mes tous premiers album (L’Âge de Raison, sorti en 2002), j’optais pour une mise en couleur directement issue de lui. Récemment dans Texas Cowboys, j’ai aussi pris un chemin dans ce sens. Il s’agit de raisonner de façon graphique et non réaliste. Il s’agit de placer les couleurs de façon simple et contrastée. Séparer les plans, limiter le nombre de teintes, etc. Tout ça pour être le plus lisible possible, pour diriger l’œil et au final, évidemment, raconter l’histoire au mieux.

Bon...bon...on apprend -enfin- dans ce tome pourquoi Lucky Luke a troqué sa clope contre une brindille...Pensez-vous que Morris aurait du l'expliquer auparavant? Histoire de justifier au niveau de la fiction cette démarche récompensée ensuite par l'OMS ? Pourquoi l'avoir fait, vous ? Etait-ce un clin d'œil au "sanitairement correct" d'aujourd'hui ?

Je ne sais pas si Morris aurait du le faire ou non. Cela aurait paru peut-être un peu bizarre qu’il le fasse. C’est bien parce que je fais un hors série que je peux me le permettre. Mais je ne suis pas militant pro ou anti-tabac. J’ai raconté cette histoire puisqu’elle m’amusait, que j’ai moi-même arrêté de fumer, et que j’ai donc pu la charger d’éléments vécus. Non, sur un autre plan, plus en profondeur : quand Lucky Luke a arrêté de fumer, il n’a plus été le même. Non pas que la clope était un attribut tellement important, mais que le personnage que je sentais vivre en moi, dans mon imaginaire, comme un réel être vivant, devenait symboliquement une marque. Et c’est ça qui m’a fait bizarre. En expliquant pourquoi Lucky Luke arrête de fumer, j’espère expliquer que cet arrêt est le choix personnel d’un personnage plein d’humanité, afin de prendre ma revanche sur cette horrible sensation que ce fut un choix marketing.

Laura Legs irise autour d'elle le monde de rose...Elle est la seule, non, à avoir cette primauté sur une couleur ?

Ah le rose de Laura… Oui, ce n’est que pour elle dans l’album. C’est une couleur qui est très « Morrissienne Â», si on peut dire. Il n’y a qu’à voir la couverture de L’Empereur Smith (excellent album !) ou de La Fiancée de Lucky Luke. Mais c’est une couleur spéciale. C’est une convention. Le rose est attribué, dans l’inconscient collectif, au féminin. C’est con mais c’est amusant. Je voulais qu’elle irradie. Où qu’elle aille sa féminité, sa présence imprègne. C’est ce qui se passe en vrai avec certaines personnes parfois, non ? C’est du graphisme, c’est un jeu. Je suis content que vous l’ayez noté.

Lorsque Lucky Luke croise pour la première fois Laura Legs, alors en diligence, Doc Wednesday et lui-même sont représentés en orange...la couleur de l'expression d'une situation qui surprend, c'est bien ça? Les couleurs manifestent des émotions, des états de fait ? Et du coup, le rose, ce ne serait pas Laura Legs mais "le sentiment de légèreté amoureuse" ?

Oui… et non. Il ne faut pas chercher un sens dans chacune des teintes que j’ai posées. La plupart sont choisies par une espèce d’alchimie instinctive d’équilibre, de jeu de contraste, de priorité, d'ambiance, etc… Autant le rose est chargé de sens, autant là, le orange non. Le fond est dans les verts, ils sont oranges. On les voit mieux. Ma case est lisible. C’est tout.

lucky lukeQuestion sur votre méthode de travail : avez-vous relu tous les Lucky Luke avant de vous atteler à la tâche ? Étudié le style de Morris ? Revu quelques westerns ?

Je devais faire différent de Morris, amener ma propre vision du personnage. Je me suis interdit de rouvrir un Lucky Luke. Je ne voulais pas être parasité par ce que j’y aurais relu ou revu. Je me suis basé sur mon émotion, mon souvenir et ma connaissance intime du personnage. C’est tout. Pour le Western, en revanche, je m’en suis nourri à fond. J’ai vu et revu pas mal de films, et surtout lu quelques magnifiques romans. C’est vraiment là que j’ai bossé le fond de mon envie et ma documentation.

Dans votre travail de scénariste et de dessinateur, vous êtes à cheval sur quel(s) principe(s) ? Avez-vous des dadas particuliers ?

Oh lala, j’en ai plein. Je ne peux pas approfondir tout ici. Ce qu’il faut absolument faire ou ne pas faire… Il faut être simple. Il faut se faire plaisir. Il faut être humble et culotté. Il ne faut pas recopier le travail d’un de ses contemporains. Il faut nourrir sa BD de choses qui ne viennent pas de la BD. Il faut être prêt à bosser comme un malade. Il faut se relire… Allez, on s’arrête là.

Enfin....qu'exposez-vous à la Galerie Maghen ? Avez-vous créé d'autres pièces pour l'occasion ?

À la galerie, sont exposés pleins de dessins de Lucky Luke et de Texas Cowboys. On est vraiment sur la thématique Western. Principalement il s’agit d’une sélection de planches originales en noir et blanc, mais aussi quelques illustrations qui ont été réalisées pour des affiches, ou autres produits dérivés. Il y a également quelques grands dessins en couleurs que j’ai faits spécialement pour l’expo. Ça fait pas mal de choses à mettre au mur! Haha !

Copyright Photo Mathieu Bonhomme : Dargaud / Rita Scaglia

Planches : Mathieu Bonhomme - Galerie Daniel Maghen ( Lucky Luke - Editions Dargaud / Texas Cowboys - Editions Dupuis)

L'homme qui tua Lucky Luke
Éditions: Dargaud
Auteur : Mathieu Bonhomme
Prix: 14,99€
En librairie le 1 avril 2016

L'homme qui tua Lucky Luke : un bel hommage de Mathieu Bonhomme à Morris

En exposition à la Galerie Daniel Maghen ( 47 Quai des Grands Augustins, 75006 Paris) du 1er au 25 juin 2016

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