Philippe Lechermeier : "la Bible, une source fictionnelle puissante"
- Écrit par : Julie Cadilhac
Par Julie Cadilhac - Lagrandeparade.fr/ A l'hiver 2014, Rebecca Dautremer et Philippe Lechermeier - qui n’en sont pas à leur premier ouvrage commun- ont eu envie de créer une bible singulière, leur bible, d’après La Bible. Dans un esprit à la fois de respect et d’entière liberté, les mots habiles d’un brillant conteur et les dessins empreints d’authenticité d’une talentueuse dessinatrice se sont unis pour raconter La Genèse, L’Exode, Le Livre des Juges, Le Livre des Rois, Le Livre de l’Exil et même un nouveau testament. La Bible, constituée de centaines d’histoires qui ont façonné notre civilisation, sont pour chacun d’entre nous, croyant ou non, la promesse d’un voyage aussi enrichissant que passionnant. Cette bible est un superbe ouvrage qui ne devra pas seulement faire office de majestueuse décoration dans une bibliothèque mais qui exige d’être parcouru, repris et admiré tout au long de ses pages pleines d’audace narrative et graphique. Voilà qui est dit!
Vous formulez dans la préface : «En voulant écrire ce texte, j’ai voulu que chacun puisse reprendre ce qui lui appartient»....Dites-nous en plus!
Ce que j’ai voulu dire c’est que les histoires de la Bible appartiennent à chacun, croyants et non croyants. Qu’importe son rapport à la foi et à la religion, ces histoires, tout comme les récits mythologiques et les contes traditionnels, constituent l’héritage fabuleux sur lequel notre civilisation s’est bâtie. Et je trouve dommage que, toujours pour des questions de foi et de religion, l’on se détourne de cet héritage et l’on se prive d’une source fictionnelle puissante.
Quelle est votre histoire avec la Bible? Êtes-vous croyant? Quelles anecdotes personnelles se lient pour vous à ce livre universel?
J’ai eu dans mon enfance une éducation religieuse de laquelle je me suis détourné en grandissant. Ma relation au texte est assez particulière. En fait, comme j’étais un gamin plutôt rêveur, ce que j’entendais à l’église me passait un peu au-dessus de la tête ou était sujet à rêveries. En fait, c’est surtout ma grand mère, grande pourvoyeuse d’histoires qui me racontait les histoires de la Bible. C’était une conteuse exceptionnelle et ces histoires, même si elle en gardait la trame, prenaient dans sa bouche des allures d’épopées qu’elle arrangeait à sa manière, en fonction de ses préférences pour tel ou tel personnage, de son humeur et de mes réactions.
Vous avez travaillé sur la mise en page de vos propos et choisi diverses formes littéraires pour raconter l’ancien et le nouveau testament ( avec la mise en avant de certains connecteurs logiques dans la genèse par exemple ou la pièce de théâtre des songes de Joseph...)... L’objectif était de faire ressortir du texte ces spécificités, de ne pas les trahir et en même temps de les rendre peut-être plus accessibles?
J’ai travaillé très librement et mon objectif n’était pas de proposer un simple «toilettage» stylistique des textes originaux. Il s’agissait de se saisir d’une belle matière et de la travailler à ma manière, un peu dans l’esprit de ce que faisait ma grand mère. Cependant, j’avais besoin de rentrer en résonance avec l’histoire des ces textes. L’ancien testament s’est écrit sur une période de deux mille ans environ. Ses origines, ses influences, ses auteurs sont multiples ; le mot» bible» vient d’ailleurs du grec «biblos» qui signifie les livres. Proposer différentes formes littéraires me permettait de garder cette multiplicité d’écritures. Et puis, il y a une part ludique dans mon travail et cela m’amusait de transformer les spécificités du texte en une contrainte d’écriture et une réflexion sur la forme.
Travailler avec Rébécca Dautremer pour cette Bible, c’était une évidence? Cette idée a-t-elle germé entre vous?
En fait, cela faisait un certain nombre d’années que je travaillais sur ce projet. Quand j’ai parlé de mon texte à Rébecca, elle m’a immédiatement proposé de l’illustrer ce que j’ai accepté avec enthousiasme. Après Princesses oubliées ou inconnues et le Journal secret du petit poucet, Une bible est notre troisième collaboration et nous avons toujours veillé à éviter la répétition et l’exploitation d’un «filon». La constance de notre travail est d’explorer des formes nouvelles tout en réfléchissant à l’interaction entre le texte et de l’image.
Quel récit de la Bible affectionnez-vous en particulier? Et pourquoi ?
Ils sont nombreux et cela correspond déjà aux choix que j’ai faits dans mon livre. J’ai cependant beaucoup d’affection pour plusieurs personnages féminins. Eve, Judith, Marie-Madeleine sont des femmes à qui j’ai donné une place de choix. Je me suis aussi appliqué, dans la mesure du possible et sans trahir le texte initial, à porter un nouvel éclairage sur leur rôle ou leur action. Eve devient ainsi un personnage emblématique de la condition humaine et ses actes une quête identitaire. Elle est aussi celle par qui tout commence : le départ du jardin d’Eden marque le début de l’aventure humaine. Sans cela, pas de peine, pas de douleur mais pas non plus de joie et de plaisir...
On imagine que ça a été un travail titanesque...combien de temps pour la réalisation de cette réécriture?
J’y ai passé à peu près cinq années mais pas de façon continue. J’écrivais de temps à autres d’autres ouvrages. En fait, j’ai pris mon temps, c’était pour moi comme une longue promenade. Je n’ai pas procédé en spécialiste et même si j’ai interrogé au fil de mes recherches et de mes lectures des théologiens et des universitaires, je me laissais guider par mes envies. Je vagabondais, je faisais coïncider l’écriture d’un texte avec un voyage où j’allais admirer un tableau de Bruegel ou du Caravage. En fait, notre culture est tellement liée aux récits bibliques qu’il y a une infinité de chemins qu’on peut emprunter quand on se plonge dans ce texte. Pour moi, cette période a été un double chemin vers les origines : les miennes, celles de mon enfance et celles de notre civilisation dont les récits bibliques forment en grande partie les fondations culturelles, artistiques, littéraires et psychologiques.
Voilà un Livre que le monde entier connaît, dont beaucoup de lecteurs français ont lu des extraits au collège en sixième mais que peu ont lu par eux-mêmes et en entier : souhaitiez-vous, justement, écrire une bible et pas la bible pour la rendre moins sacrée, pour qu’elle devienne un récit riche en personnages et en rebondissements et non plus un texte religieux?
Disons plutôt que le monde entier connaît son existence mais rares sont ceux dont les connaissances dépassent quelques récits ou scènes célèbres : Adam et Eve, Noé et son arche, la mer qui s’écarte devant Moïse, la nativité, la crucifixion. Mais qui connaît Esther, Tobi, Jephté, Joseph ? En tant qu’écrivain, je me suis saisi de ces récits, de cette matière faites des passions humaines - amours, trahisons, meurtres, passions, fratricides - pour en proposer une nouvelle lecture. Mon texte ne cherche en rien à se substituer à la Bible. Dans Une bible, on ne trouvera pas les nombreux passages qui traitent de lois divines et de prophéties. Ce changement d’article et de majuscule, une bible plutôt que la Bible, résume tout le projet. De même que la Bible débute par «Au commencement...», une bible commence par «Il était une fois...»
Quand on manipule un texte sacré, a-t-on peur de faire une maladresse « impie»?
Mon livre n’est pas un livre religieux mais ce n’est pas non plus un livre anti-religieux. Avec Rébecca, dès le départ, nous avons refusé d’être dans la caricature ou la dénonciation. Nous avons essayé de proposer les plus belles histoires. Après, la question de la foi, cela ne nous appartient pas, c’est le choix de chacun. Et puis, en même temps, l’idée d’un texte qui serait arrivé jusqu’à nous intact, n’est que le fait d’ignorants qui ne possèdent aucune culture biblique. Les multiples traductions et copies, la notion de canon montre à quel point la Bible est un ensemble mouvant qui s’est longtemps discuté au sein même de l’église : d’Athanase d’Alexandrie à Luther en passant par Jérome, la Bible a connu de nombreux changements.
A quoi ressemblent-ils les lecteurs de votre bible?
Les rencontres avec les lecteurs sont particulièrement riches et intéressantes parce que souvent les personnes que je rencontre me parlent de leur rapport à la Bible et de leur histoire personnelle. Et ces histoires sont aussi multiples que le monde dans lequel nous vivons. Du croyant enthousiaste à l’athée militant, de la lectrice qui s’interroge sur la façon de transmettre un héritage culturel à l’amateur de beaux-livres, c’est chaque fois un peu l’histoire de chacun que je partage. Il n’y a pas de lecteur «type», ce texte appartient à tout le monde et raconte l’histoire de chacun. Chacun peut s’y trouver ou s’y retrouver.
Une Bible
Texte : Philippe Lechermeier
Dessins : Rebecca Dautremer
Album jeunesse dès
6 ans (relié).
En librairie depuis novembre 2014
Prix : 45€
Pour redécouvrir "un ancien testament", raconté comme un roman par Philippe Lechermeier - A paraître le 2 novembre 2016. "Une bible ancien testament". 368 pages. Prix: 18,90€
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