Le Moche : Question existentielle de l’homme coincé entre l’autre et lui
- Écrit par : Philippe Delhumeau
Par Philippe Delhumeau - Lagrandeparade.fr/ Le Moche, une machination montée pour déranger les consciences mûries par la prétention, la réussite et la reconnaissance. Le dramaturge allemand, Marius von Mayenburg est un esthète de la fiction dramatique peuplée de personnages connectés au superflu et déconnectés de la réalité.
Ingénieur expert en fabrication de connecteurs nouvelle génération, la dernière invention de Lette provoque une éruption scientifique encensée par ses pairs. Son assistant, Karlmann, l’informe assurer la présentation du produit au prochain congrés à sa place. Lette se sentant trahi demande des explications à Scheffler, le directeur. Lequel lui dit sans détour qu’il est moche. Une seule solution pour corriger cette grossière erreur de la nature, recourir à la chirurgie esthétique… Sous toute réserve, car Lette est particulièrement hideux. Sa femme, agréable à souhait, l’a épousé par amour dans l’état sans jamais oser lui avouer. Une fois le visage débandé, Lette est un nouvel homme. Le succès est tel que le carnet de commandes de Scheffler ne désemplit pas. Des copies du visage retraduit se promènent dans la ville et plus personne ne sait qui est qui.
L’étrangeté de la situation se situe entre ironie et perplexité, absurdité et invraisemblance. Qui peut dire d’un autre qu’il ne ressemble à rien ? Où commence la liberté d’être soi sans être pointé du doigt ? Qui doit ressembler à qui ? Existe-t-il un archétype socialement idéal ?
Nathalie Sandoz, metteure en scène neuchâteloise, ne s’embarrasse pas de faux-semblants dans la traduction d’écriture de Mayenburg. Potentiel et essentiel concentrent le jeu des comédiens dans une mécanique scénique articulée sur un plateau surmonté d’une structure de panneaux translucides offrant des perspectives multiples. Le texte se décomplexe à l’abord de la métamorphose de l’homme revisité en un autre. L’exigence sociétale nait de la volonté du pouvoir exercé par certains autocrates nombrilistes qui confondent authenticité et liberté. La singularité de la narration se décompose en une galerie de personnages qui sont, ont été et sont de nouveau. Le présent se démultiplie en une conjugaison plurifactorielle d’éléments pris séparément et qui mis bout à bout crée un monde qui n’appartient plus à l’homme, mais à la déraison. Scheffler est un personnage grotesque qui pose un regard obséquieux sur l’autre et impose un masque sculpté à l’identique à tous ceux qui passent entre ses mains. Lette en est la première preuve vivante et désormais, le monde appartient à ceux qui se ressemblent, se mélangent, interfèrent dans des relations conjugales et jouent à tromper les apparences.
Le Moche, une pièce de théâtre d’anticipation qui crée un électrochoc car l’absurde de situation subtilement mis en scène par Nathalie Sandoz et servi par de bons comédiens existe déjà dans le clonage de certaines espèces animales et dans l’agriculture transgénique. Pourquoi ? Le profit, la rentabilité, l’argent, le pouvoir. L’homme n’est pas identifiable à une machine car la différence de chacun est une ouverture à la tolérance et à la liberté.
Le moche
Mise en scène : Nathalie Sandoz
Scénographie : Neda Loncarevic

Lumières et vidéo : Philippe Maeder

Univers sonore : Cédric Liardet

Costumes : Diane Grosset

Maquillages : Nathalie Mouschnino

Médiation : Carine Baillod

Régie technique : Julien Dick

Diffusion : Julie Visinand
Jeu : Nathalie Jeannet, Guillaume Marquet, Gilles Tschudi et Raphaël Tschudi
COPRODUCTION : Théâtre du Passage – Neuchâtel & Théâtre populaire romand, Centre neuchâtelois des arts vivants – La Chaux-de-Fonds
Coréalisation : Théâtre de l’Atalante
Du 4 au 29 janvier 2017 au Théâtre de l’Atalante ( 10 place Charles Dullin, 75018 Paris - Métro: Anvers, Abbesses, Pigalle
Bus: 30 ou 54 (arrêt Anvers))