La villa : la calanque de Robert Guédiguian, berceau de retrouvailles familiales et d’une humanité à sauver
- Écrit par : Julie Cadilhac
Par Julie Cadilhac - Lagrandeparade.fr/ Calanque du Méjean, à 15 kilomètres de Marseille (...là où se mêle un peu, aussi, l’histoire d’une partie de la « famille d’acteurs » de Guédiguian). Angèle (Ariane Ascaride), Joseph (Jean-Pierre Darroussin) et Armand (Gérard Meylan) se retrouvent réunis autour d’un père diminué.
Angèle est une comédienne parisienne renommée, femme écorchée qui n’est pas revenue sur les lieux de son enfance depuis la noyade de sa fille unique, Joseph, l’humour noir et l’humeur dépressive, a été licencié, s’est transformé en être plumitif qui fréquente Bérangère, une très (trop) jeune femme, depuis quelques années qui a « la tête à droite et le coeur à gauche »; Armand, enfin, joue les rocs insubmersibles, resté auprès de son père pour faire perdurer le restaurant familial, maintenant à bout de souffle et d’économies. Après des années de séparation, retrouver l’intimité et la complicité est paradoxalement aussi évident qu’ardu pour le trio mais au fil des heures, au creux de cet hiver adouci par la proximité de la mer superbe, sous le regard perdu du patriarche qui ne peut plus parler, les langues se délient, les secrets se livrent et les rancoeurs se dissolvent. L’occasion, ensemble, d’évaluer aussi ce qu’ils ont conservé de l’idéal que leur père ouvrier leur a transmis, de ce monde de fraternité qu’il avait construit autour de cette villa…jusqu’à ce qu’un matin, Armand et Joseph découvrent trois enfants que la mer a bien voulu épargner et pour lesquels il va falloir vite faire des choix face à la menace des militaires qui sillonnent la zone.
Voilà un film émouvant qui dresse le portrait d’une fratrie à laquelle l'on adhère très vite, campée par des acteurs d’une grande justesse et authenticité. Ariane Ascaride y est lumineuse ; Robinson Stévenin déroutant de tendresse et de pétillance contenue ; Jean-Pierre Darroussin séduit dans son rôle de cynique au grand coeur ; Gérard Meylan incarne à la perfection le stoïcisme admirable de ceux sur qui l’on peut compter ; Jacques Boudet et Geneviève Mnich attendrissent dans ce couple modeste et soudé jusqu’à la mort ; Anaïs Demoustier et Yann Trégouet, enfin, apportent une fraîcheur délicieuse... et qui a l’intelligence de rester en second plan. Robert Guédiguian et Serge Valetti ont composé un scénario réussi dans lequel bat le coeur de la vie qui va qui vient ( cette vie qui circule aussi dans les bruits récurrents du train qui passe sur la voie ferrée, des moteurs des voitures qui ronronnent…), de l’amour qui surgit là où on ne l’attend pas, d’un militantisme qui ne se veut pas agressif mais sensible et actif. Pétri de nostalgie, ce long-métrage ne nous dit pas comme l'exprime Joseph que « c’était mieux avant », même si les deux séquences en flashback -celle de l’arbre de Noël ou encore ( sans doute la plus mémorable) celle de la balade en auto des trois frères et soeur quand ils étaient tous jeunes ( extraite d’un vieux film intitulé Ki lo sa? de 1985 dans lequel jouaient déjà les trois compères) évoquent tout de même une époque regrettée où tout ne se réfléchissait pas en termes de bénéfices (la jeune génération présente dans le film pense ainsi : Bérengère imagine de faire du restaurant familial un endroit hype dont jouirait une clientèle friquée attirée par la beauté du lieu; Yvan est un homme d’affaires avant tout), où le temps que l’on passait à construire un balcon avait plus de valeur que son estimation marchande, où les mots du théâtre réenchantaient le monde et rendaient amoureux. "La Villa" rappelle simplement qu'avant c'était différent. Et face à ces adultes désabusés et déstabilisés dans un monde qui a changé, l’arrivée des enfants migrants apporte un espoir, celui d’un avenir à construire, d’un monde possible à réinventer ensemble. Un cri cinématographique dont il serait rassurant d’entendre des échos…
Comme l’expliquait, en amont de la projection, Gérard Meylan, qui joue le rôle d’Armand, Robert Guédiguian est « l’homme debout, celui qui ne renonce jamais à ses rêves. » Tous ses films ont en commun la bonté, la générosité et une grande fraternité. Engagé, c’est un homme qui dit souvent « l’essentiel, c’est de faire, de ne pas être résigné. » Son nouveau film, « La villa » cherche donc encore et toujours à nous interpeler sur « notre société qui fait faillite. » Sensible au sort des migrants, « c’est un film qui nous met devant nos responsabilités. », nous invite à la vigilance : «Comment aujourd’hui, en effet, dans un état comme la France, peut-on condamner des gens qui aident des migrants? » «Robert est un humaniste. Il met en présence une réalité, pose des questions mais ne donne pas de solutions. »
[bt_quote style="default" width="0" author=" Gérard Meylan"]A la fois réaliste et en dehors du réel.[/bt_quote]
Bernard Sasia, chef-monteur du film, a rappelé de son côté combien l’esthétique de Robert Guédiguian est toujours lié au théâtre : « se priver, quand on raconte un film des artifices du théâtre, c’est se priver des artifices de la représentation. » Aussi, la calanque a été imaginée comme une scène de théâtre. « On n’est pas dans le naturalisme, on est dans la représentation. » Et c’est vrai que les personnages "jouent comme au théâtre". Et c'est un vrai plaisir!
[bt_quote style="default" width="0" author="Gérard Meylan"]C’est un film sur le temps qui passe…et c’est beau de voir le temps passer. [/bt_quote]
- Découvert en avant-première le 24 novembre 2011 au Festival Les Oeillades d’Albi
La Villa
Date de sortie : 29 novembre 2017
Durée : 1h 47min
De Robert Guédiguian
Scénario : Robert Guédiguian et Serge Valetti
Avec Ariane Ascaride, Jean-Pierre Darroussin, Gérard Meylan, Jacques Boudet, Anaïs Demoustier, Robinson Stévenin, Yann Trégouet, Geneviève Mnich…
Production : Agat Films & Cie
Coproduction : France 3 Cinéma
Distributeur France (Sortie en salle) : Diaphana Distribution
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