Celle qui n’avait pas peur de Cthulhu : quand un auteur talentueux et déjanté s’attaque à un monstre de la littérature de genre, ça donne… un truc inclassable mais indéniablement réjouissant !
- Écrit par : Sylvie Gagnère
Par Sylvie Gagnère - Lagrandeparade.fr/ Qu’est-ce qui est vert, pèse 120 000 tonnes, pue la vase, n’a pas vu le ciel bleu depuis quarante siècles et s’apprête à dévaster le monde ? Ingrid n’en a aucune idée. Et elle s’en fout.
Autant dire que lorsque des hurluberlus lui annoncent qu’elle est le Centre du pentacle et que la résurrection de Cthulhu est proche, ça la laisse de marbre.
Après le drapeau anarchiste sur la tour Eiffel, voilà que Karim Berrouka embarque son lecteur en plein univers lovecraftien. Ingrid est au départ un personnage plutôt banal, qui se retrouve plongé au cœur d’un complot dément visant à décider s’il faut libérer ou détruire Cthulhu, rien que ça ! Parce que cette jeune femme, par un obscur concours de circonstances, serait le Centre du Pentacle, et la seule qui puisse accomplir le rituel. Nous voici donc partis pour faire connaissance avec quatre de ces sectes : l'American Dagon Scuba Diving Society et ses hommes-poissons puants, les Satanistes de l'amour qui vouent un culte à Shub-Niggurath et surtout à la fornication sous toutes ses formes, la DUMF et sa musique dodécacophonique à la gloire d'Azatoth et enfin les misogynes (le mot est faible) adorateurs « scientifiques » de Jésus Higgs Dieu-Boson Yog-Sothoth. Chacune d’elle est plus dingue que les autres, mais toutes sont rigoureusement fanatiques !
L’ensemble se lit avec plaisir, c’est émaillé de francs morceaux de rigolade où l’on retrouve le style déjanté de Berrouka et son goût pour les situations et les personnages complètement branquignols. L’amateur (ouvert d’esprit) de Lovecraft s’amusera des nombreuses références qui parsèment le texte ; le néophyte passera sans doute à côté, mais pourra toutefois suivre les aventures rocambolesques d’Ingrid et de ses amis sans trop de difficultés.
Le début est vraiment excellent, avec un rythme effréné et des trouvailles réjouissantes. La construction tourne un chouïa en rond ensuite, avec le même schéma qui se répète pour les rencontres avec les différents groupes. Heureusement, chacun d’entre eux est plus barré que le précédent, et parvient à maintenir l’intérêt. Le scepticisme d’Ingrid, qui résiste vraiment à tous les délires mystiques et ésotériques des croyants de tout poil et à toutes les manifestations quand même un poil étranges auxquelles elle assiste, est remarquable et ce personnage, un peu transparent au départ, prend une véritable dimension au fur et à mesure de cette aventure délirante.
La dernière partie renoue avec un côté satirique très développé, des protagonistes poussés à leur paroxysme et des retournements de situation savoureux. Le style est vif, plein de clins d’œil et de drôlerie, tant dans les titres de chapitres que dans, par exemple, la collection d’injures dont se retrouve abreuvée Ingrid par les plus antipathiques des sectaires.
Au milieu de tous les hommages horrifiques, indicibles et épouvantablement monstrueux que l’on voit fleurir au sujet de Lovecraft et de son univers, le roman de Berrouka fait office d’OVNI et ravira les amateurs de genre foutraque et hasardeux !
Celle qui n’avait pas peur de Cthulhu
Auteur : Karim Berrouka
Éditions : ActuSF
Parution : 15 mars 2018
Prix : 18 €