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« Marseille, essuie tes larmes » : La french déconnection

  • Écrit par : Guillaume Chérel

marseillePar Guillaume Chérel - Lagrandeparade.com/ Dans les années 90, le journaliste François Missen, prix Pulitzer et Albert Londres 1974, avait écrit plusieurs articles et livres sur la « French connection », comme son jeune confrère, plus tard, Philippe Pujol, également prix Albert Londres, en 2014, sans être inquiétés par les narcotrafiquants marseillais.

Alors qu’ils sont issus de la même ville tous les deux. Or, le jeudi 13 novembre dernier, Mehdi Kessaci, un jeune Marseillais de 20 ans (inconnu des services de police et de la justice, militant écologiste, affilié au Nouveau Front Populaire, qui envisageait d’incorporer la police), a été assassiné par des individus à moto dans le 4e arrondissement de la cité phocéenne.

Il s’agissait du petit frère d’Amine Kessaci (22 ans), engagé en politique contre le narcobanditisme marseillais, et auteur d’un livre, récemment publié : « Marseille, essuie tes larmes », publié aux Editions « Le bruit du monde » (en grande partie consacrée à la mort d’un autre frère qui était tombé dans le piège du narco-trafique). Lui-même (l’auteur) faisait l’objet d’une protection personnelle compte tenu des menaces qu’il a reçues.

Ce énième crime, lié au bizness du trafic de drogue, pourrait être le signe inquiétant d’un passage au stade supplémentaire d’une violence extrême, car sans pitié, qui rappelle la mafia italienne, notamment napolitaine (Camorra), voire mexicaine, depuis des années. Il y a de quoi s’inquiéter, quand les écrivains sont menacés. A l’instar de Roberto Saviano, journaliste et écrivain, connu pour avoir décrit et dénoncé la Camorra, dans Gomorra (2006). Autre point commun, la jeunesse des protagonistes, comme à Naples.

« Tu es mort d`avoir cru à un rêve pourri, vendu au détail dans les cages d`escalier, écrit Amine Kessaci. Et si je parle aujourd`hui, c`est pour en finir avec ça. ». Brûlé dans une voiture. C’est ainsi qu`est mort Brahim. Une exécution, aussi brutale (on appelle-ça un « barbecue » dans le jargon des délinquants) que préméditée. En attendant le procès de ceux qui ont tué son grand frère, Amine a pris la plume et entamé un dialogue posthume avec Brahim. Il lui écrit une longue lettre d`amour, de douleur, de révolte, pour rétablir le lien qu`on lui a arraché. Amine refuse que son frère ne soit qu`une statistique, un fait-divers de plus. Il brosse le portrait d`un homme à la trajectoire brisée, malgré les efforts de leur mère pour qu’il ne dévie pas dans la mauvaise direction. Le miroir aux alouettes : l’argent prétendument facile. Beaucoup d’argent. Enormément d’argent, dont il voit à peine la couleur, comme ses potes d’enfance (qui finiront par le trahir) puisque les commanditaires sont ou bien à Dubaï, au Maghreb, ou en prison (déjà pleines).

Amine Kessaci raconte comment on en arrive là. Comment le trafic de stupéfiant a pu prendre une telle place dans les vies et les imaginaires des habitants des quartiers. Pas seulement au Nord de Marseille, à l’Est aussi, mais aussi partout en France (Seine-Saint-Denis, Grenoble, Clermont-Ferrand, Lyon, etc) et en Europe ; dans le monde entier, en réalité, à plus ou moins haute échelle. Il montre le dilemme quand on est « minot » et qu’on veut avoir droit au gâteau. Sébastien Aja avait écrit un bon roman sur le sujet (« Charbon », 2023, Gaussen) et deux journalistes de la Provence, Eric Miguet et Jean-Guillaume Bayard, viennent de publier une enquête (1). Bref, la difficulté de vivre dans contexte défavorable, et qu’on est pris dans un engrenage broie les plus faibles d’esprit, et surtout les plus démunis en tout (monoparentalité, pauvreté, déscolarisation, etc.)

Comme Philippe Pujol, avant lui, Kessaci raconte la résistance de celles (mères et sœurs) et ceux qui refusent de baisser les bras. Car vivre dans les fameux « quartiers » gangrénés par la vente de drogue, c`est souvent mourir jeune, on l’a vu (notamment par des tirs collatéraux), mais c`est toujours lutter pour affirmer qu’il pourrait en être autrement. Il stigmatise le désengagement de l’Etat (donc des politiques) depuis plus de trente ans. La police, qui manque de moyens, ne peut pas tout faire. Cette montée en grade dans l’horreur est de mauvais augure. Rappelons que les premiers touchés sont les habitants de ces cités, déjà stigmatisés. Une pensée pour la mère d’Amine Kessaci qui vient de perdre un deuxième fils dans cette guerre sociétale. Laquelle ne va faire qu’empirer si de véritables mesures de justice sociale, dans ces quartiers excentrés des centres-villes, ne sont pas menées.

Marseille, essuie tes larmes
Editions : Le Bruit du monde.
Auteur : Amine Kessaci
224 pages
Prix : 20 €
Parution : 2 octobre 2025

(1)« Cartel Nord : plongée dans la nouvelle ère du narcotrafic marseillais », au Cherche-Midi.


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