La marque et le vide : un "roman dans un roman" virtuose
- Écrit par : Catherine Verne
Par Catherine Verne - Lagrandeparade.fr/ ...ça a l'aspect d'un roman. Avec présentation au début d'une "idée de roman", puis mise en scène de personnages de roman, dont un écrivain qui prend des notes pour son prochain roman.
Mais attention: ça pourrait bien ne pas être un vrai roman, ni l'écrivain un vrai écrivain, ni la farce une vraie farce. L'escroquerie rôde car ça a la couleur d'une couv. de roman, mais surtout celle de grosses sommes d'argent - dont on ne verra jamais en vrai la couleur d'ailleurs. L'illusion est partout, le livre brouillant les pistes entre vie et écriture, et fourmillant de vrais personnages -entendez: dignes d'un roman. On s'y prend d'amitié pour des citoyens sans histoire qui rêveraient d'entrer dans un livre pour vivre enfin une vie passionnante, amoureuse, aventurière etc. Ce serait tellement jouissif si on pouvait orchestrer l'amour notamment comme l'acte d'une pièce de théâtre. Bref, on se bat au portillon pour que tout cela, la vraie vie, ait une allure palpitante de roman. Surtout le héros, Claude, un quidam totalement ordinaire, un employé lambda de banque, qui se demande bien pourquoi un romancier a jeté son dévolu sur lui pour écrire sa vie. Mais le sujet principal intéressant le romancier mystérieux semble être la vraie vie de cette banque à travers le quotidien de l'employé. C'est pourquoi ça a l'odeur d'un roman, mais d'argent aussi, une odeur entêtante même qu'on décèle dès le début du roman. Au lecteur de démêler le vrai du faux. Quand à l'ivraie du bon grain, il n'y a pas à se fatiguer: on peut se fier au vrai talent de romancier de Paul Murray, il n'y a rien à jeter, on savoure jusqu'aux miettes d'un jeu romanesque consistant à inventer un roman dans un roman. Si le défi n'est pas nouveau en littérature, certes, il faut en lire le présent et virtuose exercice. La forme et le fond se répondant ici magistralement, le style choisi est d'une formidable pertinence humoristique. La presse a unanimement salué ce livre pour son humour, mais prévenons qu'il s'agit d'un humour décalé, qui relève des intelligences pince-sans -rire et de la finesse anglo-irlandaise, un style d'une subtilité redoutable d'efficacité. Entre ces lignes hilarantes, Paul Murray dévoile une triviale vérité des marchés financiers qui ne prête pas à sourire. C'était ça le vrai sujet du roman: l'homme moderne, béatement dérisoire, et berné par des fumigènes qui lui font miroiter une vie digne de roman.
La marque et le vide
Auteur: Paul Murray
Editeur: Belfond
Traducteur: Choé Royer
Parution: 21 avril 2016
Prix: 22,50 euros