L’amour est aveugle : William Boyd, quel virtuose !
- Écrit par : Serge Bressan
Par Serge Bressan - Lagrandeparade.fr / Un jour, en veine de confidence, il se laissa aller : « Je me demande combien de romans j’ai encore en moi… » Depuis quarante ans, il publie romans, essais, scénarios ou encore articles pour la presse britannique. A 67 ans, William Boyd partage ses jours et ses nuits entre le quartier de Chelsea à Londres et sa maison en Dordogne. Et vient de publier un quinzième et nouveau roman, « L’amour est aveugle ». Bien sûr, on pourra regretter la banalité du titre mais, bonheur renouvelé depuis 1971 et son premier roman (« Un Anglais sous les tropiques »), Boyd demeure un maestro de la chose écrite.
Cette fois, il propose une variation entre amour et musique. Dans « L’amour est aveugle », flottent des airs respirés chez Anton Tchékhov (1860- 1904)- une autre confidence de William Boyd : « J’ai imaginé un roman que Tchekhov aurait pu écrire ». Il y a ajouté un autre ingrédient, précisé par la citation tirée d’un texte de Robert Louis Stevenson (1850- 1894) : « Tomber amoureux est l’aventure illogique par excellence… » Et le romancier britannique, d’embarquer ses lecteurs en 1894 dans un roman au grand souffle. Avec un jeune homme écossais prénommé Brodie, nom de famille : Moncur. Il est accordeur de pianos et doté de l’oreille absolue,.. On sait qu’il travaille chez un réputé fabricant de pianos à Edimbourg- lequel lui propose d’aller travailler dans la filiale parisienne, ce qu’il accepte. Ça lui permet, pense-t-il, d’échapper à la grisaille quotidienne locale et à son père pasteur au tempérament volcanique. Dans la capitale française, il va rencontrer John Kibarron, surnommé « le Liszt irlandais ». Et aussi la maîtresse du pianiste, la soprano russe Lika Blum. Evidemment, Brodie tombe fol amoureux de Lika, et sa vie va en être totalement chamboulée, bouleversée. Dans un premier temps, il suit Kibarron partout où les concerts mènent l’artiste, de Paris à Saint-Petersbourg. C’est là dans la ville russe que le frère du pianiste, l’aussi diabolique que maléfique Malachi, va révéler la liaison qu’entretiennent clandestinement Brodie et Lika…
Conséquence de la révélation : se sentant traqué, Brodie s’éloigne. Passe d’une ville à l’autre en Europe. Ce sera Nice, Genève, Trieste ou encore Vienne. Et finalement, c’est l’exil au large des côtes de l’Inde. L’exil dans les îles Andaman, là où va se jouer son destin. Malin comme un bon raconteur d’histoires, maître dans l’art de la technique d’écriture, William Boyd déroule avec agilité le récit au long cours, y mêle de l’amour fou et un polar enthousiasmant, y ajoute l’Histoire de l’Europe au carrefour des 19ème et 20ème siècles (« Sur le plan artistique et culturel, je trouvais intéressant de suivre un homme ayant vécu dans cette période charnière », explique l’auteur de « L’amour est aveugle »), y plonge dans les coulisses du monde de la musique… Dans l’art du foisonnement et aussi du romantisme, William Boyd est un maître - mieux : un virtuose. Et maintenant, musique, Maestro !
L’amour est aveugle
Auteur : William Boyd
Editions : Seuil
Parution : 2 mai 2019
Prix : 22 €
[bt_quote style="default" width="0"]Le mot « fébrilité » ne convenait pas, non. Il ressentait plutôt l’imminence d’un bouleversement, en bien ou en mal. Une « fébrimminence », s’il pouvait oser ce néologisme. Il sirota son vin en essayant d’ignorer sa fébrimminence. Il sentait bien que se profilait une chance, une occasion, si seulement il arrivait à gérer la situation avec assez de doigté. Il sentait, fébrimminemment, que ce qui allait se passer dans les deux heures à venir allait peut-être changer sa vie, pour le meilleur ou pour le pire .[/bt_quote]