Maya Ombasic : le livre de l’exil
- Écrit par : Serge Bressan
Par Serge Bressan - Lagrandeparade.fr/ Un livre-coup de poing. Le texte de l’exode, de l’exil. Un « récit littéraire » écrit par Maya Ombasic, 37 ans ; elle a grandi à Mostar, est aujourd’hui professeure de philosophie à Montréal et a écrit deux romans inspirés par Cuba (« Chroniques du lézard »- 2007, et « Rhadamanthe »- 2009), un essai littéraire (« Paysages urbains et mélancolie chez Orhan Pamuk »- 2016) et des recueils de poésie.
Dans « Mostarghia », texte magnifique de densité, d’émotion, de tendresse, d’amour familial avec un titre inspiré par « Nostalghia » (1985)- le film d’Andrei Tarkovski, elle raconte la nostalgie de Mostar et une histoire qui débute en 1991 avec les premières heures de la guerre des Balkans, cette guerre qui fera exploser la Yougoslavie en plusieurs Républiques. Cette guerre qui fera de la famille Ombasic des migrants, des exilés, des réfugiés. Avec étapes en Suisse où l’auteure adolescente et sa famille sont confrontés au dédain et à l’humiliation permanents, retour au pays puis le grand départ pour le « Nouveau Monde », le Canada avec l’installation à Ottawa. « Mostarghia », c’est un livre indispensable- pour plusieurs raisons. D’abord, parce que l’auteure rend un vibrant hommage à son père, à Nenad, héros aussi magnifique que difficile à vivre, héros magnifiquement slave et qui se sentira éternellement coupable d’avoir abandonné son pays à un moment où, il en était persuadé, on avait besoin de lui. Ensuite, formidablement littéraire, le texte rappelle à tout lecteur les affres, les doutes, les humiliations que connait tout migrant- qu’il vienne de l’ex-Yougoslavie, de Somalie, de Lybie ou de Syrie. Dans « Mostarghia », on lit : « L’exil, la survie, la lutte, ça gaspille l’énergie vitale », ou encore : « Nous savons d’où nous venons, mais nous ne savons pas où ni quand nous allons attacher nos amarres ». Après avoir vécu une histoire rocambolesque, avec des mots aussi élégants que violents, Maya Ombasic prouve aussi qu’aujourd’hui, elle est mue par une « énergie cosmique »- comme elle aime à le confier.
[bt_quote style="default" width="0"]Il me fallait trouver un sens à mon histoire.[/bt_quote]
Un texte littéraire, dense, émouvant. Surtout indispensable…Rencontre avec Maya Ombasic.
Comment définiriez-vous « Mostarghia » ? Document ? Récit ?...
Les personnages principaux sont réels, et pour beaucoup d’autres, j’ai changé les prénoms… Oui, « Mostarghia » tient de l’autobiographie mais affirmer cela me gêne beaucoup : on n’écrit pas son autobiographie à 35 ans ! Alors, je préfère parler d’un récit littéraire…
Pour raconter votre histoire, celle de votre famille, le livre s’est imposé ? Vous êtes aussi cinéaste, ça aurait pu être un film…
J’avais fait un court-métrage sur les funérailles de mon père. Oui, j’aurais pu monter un film… Mais pour moi, l’écriture a été une thérapie. Ça a été très catharsique…
Y a-t-il un événement qui vous a menée à l’écriture de « Mostarghia » ?
Longtemps, je ne me sentais pas moralement digne de raconter tout ce que nous avions vécu. Et puis, quand ma fille est née, j’ai pensé qu’il me fallait trouver un sens à mon histoire. J’ai voulu essayer d’écrire avant de passer à autre chose. Mais ce n’a pas été facile : c’est quand même une histoire rocambolesque. La littérature m’a aidé à trouver un sens à mon histoire.
Où avez-vous écrit le livre ?
A la mort de mon père, j’ai été invitée en résidence d’écrivain à Lyon. Pendant trois mois, j’ai été seule dans le silence face à moi-même. J’ai beaucoup écrit dans les cathédrales. C’était douloureux, il me fallait toucher aux sentiments, revenir en arrière. Ma mère est une gardienne de mémoire, elle m’a beaucoup aidée. Par exemple, sur les transports en Suisse, de Bâle à Genève, je n’ai plus aucun souvenir. Peut-être le trop-plein de déracinements…
Là , immédiatement, si on vous dit Mostar, vous répondez…
... joie de vivre. Insouciance. Soleil. Lumière.
Justement, dans les mois qui, en 1991, ont précédé la guerre des Balkans, à Mostar où vous viviez, y avait-il des signes annonciateurs de ce conflit ?
Au début de l’année 1991, on a vu la ville envahie par les réservistes. Ces soldats venaient tous du Monténégro, de Serbie. On nous disait qu’ils étaient là pour faire des exercices militaires. Puis, ils se sont positionnés et ça a commencé à tirer. Nous, nous ne comprenions rien… Mon père, souvent, quittait la maison la nuit…
Assez rapidement, vos parents décident de quitter le pays…
… d’abord, ils nous envoient, mon frère et moi, dans de la famille à Split. Quelque temps plus tard, ils nous ont rejoints. Alors, on a commencé le périple. L’exode. L’exil.
L’enfant que vous étiez comprenait, réalisait ce qui se passait alors ?
Quand on est enfant, on comprend tout ça. On est plus réceptif, on est comme une éponge. On n’a pas le temps de réaliser, on dit : pourquoi ? Mon père est mort, il n’a jamais compris ce qui s’est passé. Et je crois que, lorsqu’on est athée, c’est encore plus difficile à comprendre, à accepter…
Vous présentez aussi « Mostarghia » comme un hommage à Nenad, votre père mort en 2007 à 54 ans…
La figure du père… Le héros absolu pour la petite fille que j’étais… Oui, j’ai voulu lui rendre hommage et lui redonner son humanité, sa dignité même si c’était très difficile de vivre au quotidien avec lui. Je n’ai jamais voulu oublier l’être humain qu’il était avant la guerre, avant l’exode, avant l’exil. J’ai tenu à l’imaginer dans son entièreté, à ne jamais oublier que c’était un homme dans des circonstances historiques qui l’ont écrasé…
Votre père, il était habité par ce qu’on appelle communément « l’âme slave » ?
L’âme slave, c’est plutôt et surtout une posture qu’il faut garder et ne pas trahir. C’est une attitude, une façon d’être dans le monde. C’est construit… Être slave, c’est ne pas montrer ses sentiments, ne pas tenir sa femme ou sa copine par la main dans la rue… Alors, je peux dire que mon père avait l’âme slave…
Durant votre exode, la Suisse ne vous a pas laissé de bons souvenirs…
On est arrivé dans un camp pour migrants et, là , on nous montre ce qu’est une craie, un séchoir à cheveux,… Mais à Mostar, on avait aussi des craies, des séchoirs à cheveux… En Suisse, on a été confronté à ce qu’est l’ignorance de l’autre. C’est ce que vivent aujourd’hui les migrants syriens, ceux qui viennent d’Alep- une ville avec une civilisation de trois, quatre millénaires…
Vingt-cinq ans après le début de la guerre dans les Balkans, le pardon est envisageable…
…sur le plan personnel, la haine n’a jamais fait partie de moi. Aujourd’hui, après l’écriture de « Mostarghia », je suis passée à autre chose. Mais quand je retourne en Bosnie voir la famille, l’ultra-nationalisme et la bêtise me mettent en colère…
Aujourd’hui, vous êtes professeure de philosophie à Montréal, vous avez la nationalité canadienne. Vous vous sentez Canadienne ou toujours Bosniaque ?
Canadienne, Bosniaque, tout ça ! Au quotidien, je parle le français, l’anglais, l’espagnol, le bosniaque… Je peux m’exprimer aussi en russe, en allemand (pour la philosophie !), en turc- j’ai écrit un essai sur Orhan Pamuk, le prix Nobel de littérature 2006, et en ce moment, j’apprends le japonais… On me dit : « C’est extra ! » Alors, je réponds que je changerais volontiers avec le sentiment d’être d’un lieu. Ça, ça n’a pas de prix. Ça relève presque d’un sentiment métaphysique !
Revivre un jour à Mostar où votre histoire a commencé, vous y pensez parfois ?
A Mostar, peut-être pas. Mais en Europe, oui. A Lyon peut-être, là où tout a commencé pour moi avec l’écriture. Il y a en moi comme une nostalgie européenne…
Mostarghia de Maya Ombasic
Editions : Flammarion
Parution : 8 mars 2017
Prix : 18 euros