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« Après Dieu » de Richard Malka : ma nuit au Panthéon

  • Écrit par : Serge Bressan

Après DieuPar Serge Bressan - Lagrandeparade.fr / Le principe est tout simple : proposer à une personnalité de passer une nuit, seule, dans un musée pour ensuite raconter, en un livre, son expérience.

A ce jour, vingt-et-un ouvrages ont été publiés, avec des réussites variables, les plus notables étant « Ephémère » de Bernard Chambaz, « Nu avec Picasso » d’Enki Bilal ou encore « King Kasaï » de Christophe Boltanski. Et puis, voici le vingt-et-unième, certainement l’un des meilleurs, si ce n’est le meilleur de la collection « Ma nuit au musée ». Le titre : « Après Dieu ». L’auteur : Richard Malka, 56 ans, avocat (entre autres, de « Charlie Hebdo » depuis une trentaine d’années) et auteur (romancier, essayiste et scénariste de BD). D’emblée, il précise que, comme les autres, il aurait pu choisir un musée, il y en a partout. Il ajoute : « J’ai préféré un cimetière. A Paris. Ma nuit au musée, je la passe avec des morts. Un truc d’adolescent ou alors c’est l’habitude, depuis 2015 » (date de la tuerie à Charlie Hebdo en janvier 2015, NDLR). Ainsi, le « musée » de Malka est le Panthéon parisien, originellement une église sur la montagne Sainte-Geneviève- depuis la Révolution française, c’est le lieu de mémoire dédié aux grands personnages de la nation, dont la fonction est de « cimenter le consensus national autour de personnalités incontestables ».

Auteur en 2021 d’un essai retentissant, « Le droit d’emmerder Dieu », Richard Malka est un militant de tous les instants de la laïcité et de la liberté, plus précisément de la liberté d’expression. Il se présente férocement athée, est fan absolu de SF et devenu avocat par hasard, formé par les grands Georges Kiejman et Robert Badinter. Première impression d’une nuit au Panthéon : « Ici, il y a ce qui est en haut et ce qui est en bas. En haut, il y a la vie ; les fresques révolutionnaires, les couleurs chatoyantes ; en bas, il y a les morts et leurs sépultures minérales, rien d’autre ». Son lit de camp, il l’a installé au pied de la sépulture de celui avec qui il veut parler toute une nuit : François-Marie Arouet, dit Voltaire (21 novembre 1694- 30 mai 1778), tenu pour le plus brillant intellectuel français du XVIIIe siècle, la figure emblématique et centrale du Siècle des Lumières et le précurseur de la laïcité en France… Malka : « Je n’aurais pas d’autres occasions de m’assoupir à tes côtés, François-Marie. On est en paix parmi vois. Ici-bas, tout est calme. Les passions ont quitté ce sous-sol depuis longtemps. A chaque marche descendue, l’humeur abandonne la colère et la révolte et j’accepte un peu plus les morts qui n’auraient pas dû l’être. Morts pour cause de fanatisme ».
malkaCette nuit passée au Panthéon, auteur d’un délicieux « Eloge de l’irrévérence » (2019) et d’un « Traité sur l’intolérance » (2023), Malka n’a pas dormi. Il a donc parlé avec Voltaire. A l’intellectuel du XVIIIe siècle, il a raconté ce monde d’aujourd’hui, tel qu’il va (assez mal), ce « dieu vautour qui se repaît des chairs des hommes libres », ces hommes qui « veulent l’imposer à tous »… Avec le grand précurseur de la laïcité qu’il verrait bien siéger en buste de Marianne dans les établissements publics de France, il a évoqué cette famille où il a grandi avec un père tailleur payé au SMIC et partagé cet avis selon lequel « être choqué, c’est mieux que vivre en dictature ». Toutefois, cabossé à jamais par la mort de ses amis de « Charlie Hebdo » en janvier 2015, l’avocat-auteur ne s’est pas gêné pour dire ses quatre vérités à Voltaire qui, esprit de Lumière, n’en fut pas moins esclavagiste, homophobe, antisémite et proche des puissants de Cours européennes…
En fin de nuit, après tant et tant d’échanges, il faut envisager le départ, quitter la crypte du Panthéon. Alors, Malka tire une salve et lance : « Il est temps d’affirmer sans relâche que le renoncement à la liberté au profit d’un dieu qui ne demande rien est une lèpre qui viole notre conscience collective ». Et bousculer le livre en deux chapitres : « risquer sa vie pour ne pas croire » et « remplacer Dieu »… Car, pour Richard Malka, voici bien la grande question : après Dieu ? Il écrit : « Reculer face à l’hystérie religieuse et identitaire, c’est exprimer la peur et la faiblesse qui mènent à la guerre alors que seule la fermeté garantit la paix. L’humanisme est un combat, non une complaisance ». Voltaire et Malka, même combat : ne jamais renoncer à une seule parcelle des libertés, dont celle d’expression…

Après Dieu
Auteur : Richard Malka
Editions : Stock
Parution : 8 janvier 2025
Prix : 19,50 €

Extrait

« N’est-il pas étrange de dormir ici quand on n’est pas mort, pourrais-tu me demander.
Ce qui est étrange, c’est que je ne trouve pas que cela le soit. Avec un vrai lit et un chauffage, je reviendrais avec enthousiasme.
Je m’aperçois que tu es le seul panthéonisé à disposer d’une statue au pied de ta tombe. Tu es en majesté ici avec, en réalité, trois versions de toi : une dans ta sépulture, ta statue et l’ombre impressionnante projetée par celle-ci sur le pilier de pierre, juste à ta droite. De ces trois versions, c’est l’ombre qui est la plus vivante. Inquiétante et troublante. Je suis désolé de te le dire mais elle est étrangement identique à celle du comte Dracula, dans la romantique version de Coppola… »

Crédit-Photo : Térèze Wysocki

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