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Faustus in Africa ! : un brillant réquisitoire contre la vaine humanité et ses désirs intestins dévorants

  • Écrit par : Julie Cadilhac

FaustPar Julie Cadilhac - Lagrandeparade.com/  Comme dans la version la plus célèbre de la légende de Faust, la pièce présente le destin d'un savant qui, déçu par l'aporie à laquelle le condamne sa science, signe un pacte avec Méphistophélès.

Celui-ci promet à Faust une seconde vie ( s'il lui donne son accord écrit), où il pourra posséder toutes les connaissances mais aussi accéder à tous les plaisirs sensibles ; après quoi il laissera son âme à la disposition du diable. Faust tombe amoureux d'une "Marguerite" qu'il abandonne enceinte et rend victime de l'opprobre collective comme dans la première version de Goethe pour vouer toute son admiration ensuite à la femme de l'empereur, une certaine Hélène, clin d'oeil à Hélène de Troie à qui plusieurs versions du mythe donnent un rôle. Là où l'originalité débute, c'est que le décor se plante bien loin de la sombre Allemagne de Goethe. Bienvenue en Afrique...où la folie des hommes empile les cadavres, les douleurs...de manière si zélée que l'envoyé du diable refusera d'ailleurs de quitter ce monde plein de duplicité à la fin de sa mission! Cette "danse d'une insignifiance à couper le souffle" qu'est l'existence humaine, quelle récréation pour le mal!

Cette adaptation scénique du mythe faustien est d'une finesse exquise. Le texte est remarquable. La distribution tout autant. L'espace sonore, fabuleux : parfois aussi éthéré que le gémissement du cristal, parfois bouillonnant de grondements jupitériens, et toujours en résonance profonde avec ce qui se trame sur le plateau. 

Face à nous, un laboratoire paré de grandes bibliothèques et, en fond de scène, un écran sur lequel est projetée une animation filmique d'une virtuose qualité, créée par le metteur en scène lui-même, William Kentridge. Ces projections font tour à tour office de décors, de "paratexte"avisé, d'"entractes" et l'on reste admiratif de la qualité du dessin, de la précision du trait, de la pertinence accrue de leur existence. Et puis, il y a, ensuite, ces extraordinaires marionnettes d'Adrian Kohler et Basil Jones qui prennent vie sous nos yeux, nous éclaboussent de leur puissance évocatrice et servent, bien mieux qu'un être de chair et d'os, le propos. Ne sommes-nous pas, tous et toutes, des marionnettes? Manipulé.e.s, manipulables, soumis à une destinée dont nous ne tirons pas tous les fils? Pantins qui "ne peuvent exister que dans l'éternelle brume de l'illusion"?

faustus"Rien, c'est ce qu'on sait de mieux", affirme Faust. "Notre vie est brillante mais elle reflète la gloire." Sa crise existentielle est le reflet d'un égocentrisme démesuré. Comment un simple breuvage rajeunissant pourrait-il combler un être à l'insatisfaction chevillée à l'âme, un "pervers transcendantal" de cette envergure ? Malgré son apparence émaciée, William Kentridge fait de Faust un ogre, un colon insatiable qui dévore tout ce qu'il convoite. Le monde lui est littéralement servi sur un plateau et il le gaspille, le dilapide, l'assassine sans remords avec un cynisme déconcertant. Peu importe que d'étranges fruits se balancent au-dessus de sa tête, que les masques indigènes explosent, que les cartes de géographie deviennent des cimetières et que les noms s'empilent dans des registres qui débordent des fenêtres. Et la dimension de conte ne s'arrête pas là, on y trouve un oiseau de mauvaise augure et un chien doué de paroles, aussi charmeur qu'inquiétant, un Cerbère à une tête, à la voix de sorcière, qui se nourrit de l'individualisme débridé qui sévit sur cette terre.

On se souviendra d'une journée morose en rase campagne, d'une Hélène éplorée dans le vent de la débâcle, de la nuit de Walpurgis, de billets de banque que l'on compte à l'envi, des parts du monde que l'on se partage entre-soi, d'un canon phallique, d'un démon qui renonce à son dû et préfère jouer aux cartes sur terre avec des complices qui lui ressemblent...

Un très grand moment de théâtre, maintes fois récompensé à l’échelle internationale, qui nous emporte dans un safari trépidant en compagnie d'un être dont la cupidité rivalise avec l'avidité. Une invitation à réfléchir sur la parabole du choix de vie - qui sous-tend le mythe faustien - de manière introspective et contemporaine. Aujourd'hui, les sur-consommateurs que nous sommes balaient d'un revers de la pensée, pour leurs intérêts personnels, des réalités urgentes, à commencer par le déréglement climatique. Arrivera le jour où " il va falloir payer pour (ces) folies"...

FaustusFaustus in Africa

Avec : Eben Genis, Atandwa Kani, Mongi Mthombeni, Wessel Pretorius, Asanda Rilityana, Buhle Stefane et Jennifer Steyn

Mise en scène : William Kentridge
Collaboratrice artistique à la mise en scène : Lara Foot
Conception et direction des marionnettes : Adrian Kohler et Basil Jones (Handspring Puppet Company)
Direction associée des marionnettes et des répétitions : Enrico Dau Yang Wey
Scénographie : Adrian Kohler et William Kentridge
Animation : William Kentridge
Construction marionnettes : Adrian Kohler et Tau Qwelane
Costumes marionnettes : Hazel Maree, Hiltrud von Seidlitz et Phyllis Midlane
Effets spéciaux : Simon Dunckley
Conception décor : Adrian Kohler
Construction décors : Dean Pitman pour Ukululama Projects
Peinture et habillage des décors : Nadine Minnaar pour Scene Visual Productions
Traduction : Robert David Macdonald
Texte additionnel : Lesego Rampolokeng
Musique : James Phillips et Warrick Sony
Conception sonore : Simon Kohler
Eclairagiste et régisseur de production : Wesley France
Régisseuse plateau et opératrice video : Thunyelwa Rachwene
Régisseur son : Tebogo Laaka
Contrôleuse vidéo : Kim Gunning
Régisseuse plateau : Lucile Quinton

© Fiona MacPherson

Dates et lieux des représentations: 

 - Du 5 au 7 juin 2025 à l'Opéra-Comédie de Montpellier dans le cadre du Festival du Printemps des Comédiens

 

 


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