Catherine Verne : "pour un moral d’acier dans un monde sans charbon!"
- Écrit par : Julie Cadilhac
Catherine Verne, philosophe de formation et thérapeute en exercice dans l'Hérault (34), a écrit « Quand tout s’effondre » aux Editions Libre&Solidaire en août 2020...nous l'avons rencontrée pour qu'elle nous parle plus en détails de son ouvrage.
Votre livre est particulièrement en phase avec l’actualité. Peut-on dire que son message tient dans votre formule « pour un moral d’acier dans un monde sans charbon » ?
A l’heure où le dérèglement climatique s’augmente de deux crises, sanitaire et économique, où les rapports scientifiques prévoient la pénurie des énergies fossiles sans que la relève soit assurée, dire que tout s’effondre en effet prend bien son sens. Une menace systémique a pris forme au-dessus de nos têtes pour la première fois de notre histoire. Or nous ne sommes pas mentalement préparés à nous y confronter. On sait que les civilisations meurent de leur inaptitude à dénouer un maillage complexifié de crises. Face à ce nouveau type de péril, il me semble approprié, à titre individuel, de disposer d’outils pour préserver sa santé mentale. En l’absence de guide existant, j’ai décidé d’élaborer un guide permettant au grand public de ménager son équilibre face à l’actualité anxiogène. J’y adjoins depuis peu les ressources d’un blog intitulé vivreleffondrement.com.
[bt_quote style="default" width="0"]A l’heure où le dérèglement climatique s’augmente de deux crises, sanitaire et économique, où les rapports scientifiques prévoient la pénurie des énergies fossiles sans que la relève soit assurée, dire que tout s’effondre en effet prend bien son sens. [/bt_quote]
A qui s’adresse votre livre ?
A ceux que l’idée même de l’effondrement fait réagir fût-ce par le déni. A ceux qui souffrent du désastre écologique, de notre déshumanisation ou du désenchantement du monde, ceux qui refusent de faire des enfants si le futur doit ressembler à « Mad Max », ceux qui ne se satisfont pas d’un mode de vie insensé produit par la fuite en avant de notre modèle civilisationnel. Bref, à ceux qui pressentent le mur vers lequel risquent de nous précipiter nos crises économique, environnementale et sociale ou ceux qui ne le voient pas du tout arriver.
Que ce soit à échelle individuelle ou collective, se relever quand on est à terre requiert le même processus que je développe en trois étapes dans ce guide : il s’agit de se confronter à la réalité, d’accueillir sa souffrance, et enfin de passer à l’action.
Le lecteur dispose donc là d’une sorte de manuel de survie face à la sensation déstabilisante et inquiétante d'un monde qui s'effondre?
Mon objectif était de rendre mes lecteurs autonomes, de les équiper mentalement en optimisant leurs propres ressources résilientes, alors oui, « Quand tout s’effondre » est un manuel de survie mentale. Prenons un exemple que je connais bien pour accompagner des sportifs de haut niveau : à moyens physiques égaux, c’est le mental qui fait la différence face à un adversaire. De même quand il s’agit de se dépasser en cas d’insécurité maximale, les solutions matérielles seules sont insuffisantes si on est totalement déprimé ou paralysé par son éco-anxiété.
D’où mon souci de montrer concrètement dans ce guide comment gérer des peurs invalidantes mais aussi le poids de la solitude, l’épreuve de la privation, la perte du sens de la vie, l’angoissante incertitude, le choc de vivre quelque chose d’impensable etc. Je consacre ainsi un chapitre à la gestion de chaque obstacle à envisager.
[bt_quote style="default" width="0"]Mon objectif était de rendre mes lecteurs autonomes, de les équiper mentalement en optimisant leurs propres ressources résilientes.[/bt_quote]
Ce qui caractérise votre démarche, c’est ce choix d’avoir élaboré un essai théorique en même temps qu’un guide pratique. « Penser et panser l’effondrement », dites-vous. Pourquoi ce double objectif ?
Cela me paraît primordial de comprendre ce qui nous arrive pour mieux adapter notre mode d'action résilient. J’ai la chance de pouvoir développer ce double éclairage à partir de mon cursus professionnel. En effet, si je pratique depuis une vingtaine d’années la thérapie psycho-corporelle, il faut savoir que j’ai commencé à enseigner à 23 ans en classes préparatoires, la métaphysique, les sciences humaines, l’histoire des civilisations... Ma formation est philosophique et psychothérapeutique. C’est sous cette double approche que j’ai élaboré une réponse à la question : comment tenir mentalement le choc des crises actuelles ? On se protège mal en effet de ce qu’on comprend mal. Je voulais d’une part donner des clés simples au lecteur pour penser l’effondrement de notre civilisation, expliquer pourquoi par exemple certains de nos modes de vie sont appelés à disparaître, et d’autre part montrer comment on peut pour autant bien le vivre, plutôt que le subir en s’écroulant soi-même.
D’où cette double démarche, adoptée dans chaque chapitre, qui est similaire à celle que j’adopte en séance : permettre d’accéder à la compréhension de ce qui fait souffrir – désespoir, incertitude, frustration, peurs…- et procurer des outils concrets pour le prendre en charge.
[bt_quote style="default" width="0"]On se protège mal en effet de ce qu’on comprend mal. [/bt_quote]
Si l'on comprend bien...souvent l'humain préfère la posture du déni et ce livre aide à trouver l'énergie pour sortir de la torpeur et agir ?
Le déni de l’effondrement est source d’incompréhension et de désunion dans la relation, voire au sein des familles. Il est important d’en sortir pour deux raisons essentielles : la première est de pouvoir rétablir le lien avec les autres. En même temps le déni est une stratégie psychique qui fait sens pour celui qui y recourt. Il l’adopte pour ne rien sentir, espérant éviter de souffrir. Donc il sait très bien, paradoxalement, que danger il y a, sinon il ne le nierait justement pas. Il convient de comprendre cette motivation si profonde qu’elle reste souvent inconsciente, afin d’aider ceux qui se voilent la face. Dans la première partie de mon guide, je consacre tout un chapitre à ce délicat sujet dans le but d’accompagner les personnes dans le déni vers la reconnaissance de ce qu’elles refusent. Cette partie s’intitule d’ailleurs : « Comment se confronter à la réalité ». La seconde raison pour laquelle il est vital de sortir du déni, et on en mesure l’enjeu à échelle collective, c’est parce que sa torpeur inhibe l’action en affectant le discernement. Comment dès lors prétendre encore assurer sa propre sécurité ou celle de ses semblables ?
On ressort plein d’optimisme de cette lecture, et votre livre est souvent drôle malgré son sujet. Est-ce que cette joie de vivre traduit un positionnement confiant face à ce monde qui s'effondre?
Humour de connivence et style direct ont été mes choix pour donner de la proximité à un ton qui ne se voulait ni universitaire ni catastrophiste. Je ne suis pas scientifique mais intellectuelle, psychopraticienne, et avant tout citoyenne, épouse et maman. Je parle depuis une humanité dont je suis partie prenante. Or il est exceptionnel d’assister en conscience à la fin d’une ère. Voir sa civilisation disparaître, personne n’y est préparé, même pas un thérapeute spécialisé dans le stress. Les prises de conscience qui ont inspiré ce guide m’ont amenée à éprouver mes propres méthodes sur ma personne afin de cultiver plus encore un état d’esprit déjà serein. C’était un préalable évident à la rédaction de mon livre. Certains de mes confrères tombent désormais dans la dépression qui a d’abord frappé des climatologues et autres lanceurs d’alerte. Tout le corps soignant se trouve aux premières loges pour endiguer une crise d’abord sanitaire, et maintenant mentale. De quel soutien serais-je si je n’étais pas en mesure d’accompagner les autres sans sombrer moi-même ? Mon optimisme est quant à lui un choix éclairé mais, en l’absence d’une science exacte de l’effondrement, cette option vaut bien son opposée d’un strict point de vue logique. Et j’estime qu’elle nourrit plus gaiement mes cellules.
[bt_quote style="default" width="0"]Humour de connivence et style direct ont été mes choix pour donner de la proximité à un ton qui ne se voulait ni universitaire ni catastrophiste. Je ne suis pas scientifique mais intellectuelle, psychopraticienne, et avant tout citoyenne, épouse et maman. Je parle depuis une humanité dont je suis partie prenante. [/bt_quote]
Votre attention à cet effondrement psychique auquel expose selon vous notre époque, est-elle inspirée par votre propre pratique thérapeutique dans votre cabinet ?
Hypersensibles et hyper-empathes ont perçu depuis longtemps que l’humanité courait à sa perte et les éco-anxieux complètent leur alerte, tant notre ruine entraîne celle de la biodiversité. J’ai observé une similitude entre ce que nous vivons à échelle collective depuis quelque temps et une parole libérée au sein de mon cabinet. Notre actualité terriblement critique rend pertinente l’étude conjointe de ce qui se trame dans l’intimité psychique d’un individu venant consulter et une certaine nausée affectant la civilisation. Car tous les maux dont nous souffrons ne relèvent pas de la psychiatrie lourde. Notre fatigue dépressive, manifeste à travers burn-out, anxiété généralisée ou éco-anxiété, c’est un peu le taedium vitae de la décadence romaine. Plus qu’une maladie ponctuant un parcours personnel, elle traduit en ce début de XXIè siècle un divorce intime entre le sujet et un modèle civilisationnel dans lequel il ne se retrouve pas. Non que ce modèle soit obsolète, en vérité il n’a jamais été approprié ni à la nature humaine ni à celle qui nous entoure. A la faveur des deux confinements, certains sont saisis de stupeur par cette prise de conscience qui génère, face à un vide angoissant, un sentiment d’absurde. Ce sont eux qui consultent, mais c’est notre civilisation qui aurait besoin d’un check-up.
[bt_quote style="default" width="0"]A la faveur des deux confinements, certains sont saisis de stupeur par cette prise de conscience qui génère, face à un vide angoissant, un sentiment d’absurde. Ce sont eux qui consultent, mais c’est notre civilisation qui aurait besoin d’un check-up. [/bt_quote]
Nous avons chroniqué l’ouvrage collectif « Ce que nous dit la crise du coronavirus », où vous écrivez : « Le bouleversement mondial que provoque actuellement la pandémie du coronavirus fait signe vers une crise de la représentation qui met au défi notre civilisation de se penser autrement. » Bientôt au terme de 2020, ajouteriez-vous quelque chose à vos analyses ?
En cette fin 2020, certains signes sont encourageants, d’autres moins. En particulier, les dernières nouvelles sur notre santé mentale doivent nous alerter : chaque jour, un agriculteur se suicide et les seuls hôpitaux psychiatriques de Paris ont reçu en octobre dernier 2 fois plus de jeunes en extrême détresse qu’il y a un an. Si j’ajoutais quelque chose à mon travail, ce serait en m’engageant à ce sujet. Je trouve par exemple significatif et inacceptable que la jeunesse manifeste les symptômes de notre crise psychique collective. Soulignons qu’elle se hisse déjà plus qu’à son tour en porte-parole de l’activisme citoyen autour de figures comme Greta Thunberg. Cela doit impérativement questionner d’anciennes certitudes concernant notre rapport à la nature, le travail, le lien social ou encore à la culture et l’éducation, entre autres voies avérées sans issues dans lesquelles il devient tant impensable qu’irresponsable de persévérer.
Enfin, "Quand tout s'effondre...comment se reconstruire ?" aide à retrouver un sens à la vie...qui continue quand même, même lorsque tout s'effondre, c'est bien ça ? À offrir donc à tous les optimistes...? Ou les pessimistes s'y retrouveront aussi ?
Comment en effet agir, aimer, entreprendre, désirer, si la vie n’a plus de sens ? Mon guide aide à retrouver un sens à la vie quand on sent que son monde s’écroule, et comment réussir à tenir le choc pour surmonter cette épreuve en bâtissant l’avenir. Il concerne à la fois optimistes et pessimistes, car il aide chacun à repérer où il en est et lui propose un processus de progression tourné vers l’action.
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