Une semaine de lecture avec Michael Cunningham, Maylis de Kerangal et Alice Zeniter
- Écrit par : Serge Bressan
Par Serge Bressan - Lagrandeparade.fr / Trois suggestions de lecture pour cette semaine de pré-rentrée littéraire d’août 2024. D’abord, on commence avec le toujours impeccable Michael Cunningham qui déroule un jour d’avril en trois temps. On enchaîne avec Maylis de Kerangal pour un séjour-enquête au Havre avec une doubleuse de cinéma convoquée par la police pour identifier (ou non) le corps d’un homme retrouvé sur une plage avec son numéro de téléphone dans ses affaires. On boucle la semaine avec Alice Zeniter qui, pour son sixième roman, envoie sa narratrice en Nouvelle-Calédonie pour un retour aux sources… Bonne lecture !
MICHAEL CUNNINGHAM : « Un jour d’avril »
Un défi pour un livre, ce n’est pas pour dérouter ni impressionner Michael Cunningham, 71 ans, écrivain américain de belle réputation, prix Pulitzer de la fiction 1998 pour « Les Heures ». Avec son tout nouvel et huitième roman, « Un jour d’avril », il s’est donc mis en tête de raconter la journée du 5 avril, mais à trois années différentes : 2019, 2020 et 2021. Avant, pendant, après la pandémie du Covid-19… Le roman va se dérouler autour de cinq personnages : Dan, Isabel, leurs deux enfants Nathan, 10 ans, et Violet, 5 ans, et Robbie, le jeune frère d’Isabel- lequel vit dans le grenier de la maison à Brooklyn et s’offre un avatar glamour en ligne. Entre Dan et Isabel, la vie creuse inexorablement un fossé. L’année suivante, le confinement a fait de la maison une prison, le couple ne communique que par soupirs et Robbie est bloqué en Islande. 5 avril 2021, tout partout a changé, la pandémie a bouleversé les relations sociales et humaines, il faut affronter une nouvelle réalité… Après avoir lu le manuscrit d’« Un jour d’avril », l’éditeur américain de Michael Cunningham lui a dit : « Dans ce roman, c’est la toile de fond, mais il ne s’agit pas de Covid. Tu crées des histoires à partir de petits moments humains, mais tu les opposes à des forces destructrices bien plus importantes »…
Un jour d’avril
Auteur : Michael Cunningham
Editions : Seuil
322 pages
Prix : 22,50 €
MAYLIS DE KERANGAL : « Jour de ressac »
Lors d’un récent « banquet du livre », elle confiait : « Le roman est précisément ce qui m'incite à regarder ici et maintenant. Il donne à voir, il montre, il établit des focales, joue avec des points de vue, il cadre et il laisse voir des hors-champs ». Et d’ajouter : « Pour moi, le roman, c'est un exercice aussi de précision ». Depuis près d’un quart de siècle et avec, entre autres « Naissance d’un pont » (2010) et « Réparer les vivants » (2014), Maylis de Kerangal illumine le monde des livres francophone. Une nouvelle preuve ? « Jour de ressac », son texte de cette rentrée littéraire estivale : on est là dans le top level. La narratrice, doubleuse au cinéma, reçoit un appel de la police : on lui demande de venir au Havre, le corps d’un homme a été retrouvé sur une plage, dans ses affaires il avait noté le numéro de téléphone de la narratrice, on lui demande de venir identifier le corps. Direction Le Havre, là où elle a grandi. A la morgue, elle ne reconnaît pas le corps. Surgissent alors en elle mille et mille faits et gestes, nombreux du temps passé, quelques-uns d’un passé immédiat… Une fois encore, les thèmes chers à Maylis de Kerangal sont là , l’immigration, la condition ouvrière, la banlieue, la violence du monde. On y ajoute une évocation éblouissante de la ville du Havre…
Jour de ressac
Auteure : Maylis de Kerangal
Editions : Verticales / Gallimard
260 pages
Prix : 21 €
A propos de la même auteure:
Dans les poches : Gilles Clément / J.M. Coetzee / Ma Jian / Maylis de Kerangal
Dans les poches : Amélie Cordonnier, Maylis de Kerangal, Alban Lefranc et Andrés Trapiello
Un monde à portée de main : Maylis de Kerangal, l’art du trompe-l’oeil
Une semaine de lecture avec Patrick Chamoiseau, Philippe Grimbert et Maylis de Kerangal
ALICE ZENITER : « Frapper l’épopée »
« Le paysage, c’est de l’histoire », aime confier Alice Zeniter présentant, à 37 ans, son nouvel et sixième roman, « Frapper l’épopée ». Elle qu’on avait tant appréciée avec « L’Art de perdre » (2017) propose, cette fois, un voyage en Nouvelle-Calédonie avec Tass qui y a grandi. Une rupture amoureuse en métropole et, devenue professeure, la voilà de retour au « petit pays ». Dans sa classe, deux enfants kanak, ils sont jumeaux et leurs mystérieux tatouages l’intriguent. Les deux enfants disparaissent, Tass se lance alors dans une quête qui va la mener à appréhender l’histoire de ses ancêtres, aussi complexe que violente. Avec la professeure (et Alice Zeniter), on perçoit amplement la réalité toute en authenticité et en brutalité de l’archipel. Des questionnements aussi- par exemple, cette sensation dans une grande partie de la société kanak de « ne pas être chez soi quand on y est partout ». Dépossession, colonisation, quête de l’identité, héritage culturel et familial, inscription de l’épopée dans la terre… Et au hasard des pages, de belles formules qui illustrent l’art d’Alice Zeniter, comme « Le temps c’est du paysage », ou encore : « Elle a du mal à lui enseigner quoi que ce soit parce que, dans sa beauté, il lui paraît n’avoir besoin de rien »…
Frapper l’épopée
Auteure : Alice Zeniter
Editions : Flammarion
354 pages
Prix : 22 €
De la même auteure:
Dans les poches : Le Bouquin de la mode, Anny Duperey, Paul Verlaine et Alice Zeniter
L’Art de perdre : Alice Zeniter , une fresque algérienne…