Par Serge Bressan - Lagrandeparade.com / En cette rentrée où paraissent pas moins de 490 romans d’ici la fin octobre, une première sélection de cinq romans indispensables. Bonne lecture !

JOFFRINE DONNADIEU : « Chienne et louve »

Une leçon d’écriture. Bien loin des romans fragmentés- honte à celles et ceux qui veulent nous faire croire que c’est le nouveau nec plus ultra de la chose écrite… Là, avec « Chienne et louve »- le deuxième roman de Joffrine Donnadieu après « Une histoire de France », très remarqué en 2021, ça cogne et ça swingue. L’écriture pétille, il y a du style, on lit : « Un silence, ça s’écoute, ça ne se prend pas à la légère ; ça se brise en une fraction de seconde. Un silence entre deux mots est comme une perle dans son écrin ». Et on suit la vie de Romy, 20 ans. Elle débarque à Paris, avec des rêves de comédienne. Pour payer ses cours au cours Florent, elle se retrouve dans une boîte de strip-tease à Pigalle. Sexe et drogue, il manque juste le rock’n’roll dans ce monde interlope où la solitude est l’ordinaire de vie. Contre un loyer modique, elle loge chez Odette, une vieille fille de 89 ans. C’est la cohabitation du string à paillettes et du crucifix ! Il leur a fallu s’apprivoiser, une chienne, une louve. Dans ce livre impeccable du double « je », il y a de la fascination, de la dépendance, et aussi « une fiction terrible et fabuleuse » comme le définit Régis Jauffret. Formidablement maîtrisé, « Chienne et louve » confirme le grand talent de Joffrine Donnadieu.

Chienne et louve
Auteure : Joffrine Donnadieu
Editions : Gallimard
352 pages
Prix : 21 €

TESSA HADLEY : « Free Love »

Direction l’Angleterre des dernières années 1960 avec « Free Love », le huitième roman de la romancière britannique Tessa Hadley. Au fil du temps et de ses livres, elle qui a publié son premier livre à 46 ans (« Incidents domestiques », 2002) a acquis le statut de maîtresse dans « l’art d’explorer le réseau complexe des vies conjugales, amoureuses et sentimentales de ses contemporains »- comme l’assure son éditeur français. Voici donc Phyllis Fischer, la quarantaine, jolie et mariée. Elle va s’éprendre de Nicholas Knight, le jeune fils d’amis de son mari. Puis elle va quitter le domicile conjugal, ne supportant pas les règles et conventions de l’ordre social. Vite, elle admet que son jeune amant n’est pas l’homme qu’elle imaginait, elle tombe enceinte. Prend la décision de garder l’enfant. Sera heureuse de l’élever… Certes, cette histoire, on l’a maintes fois lue et relue, mais elle prend une dimension autre avec Tessa Hadley qui, avec « Free Love », réussit le mix parfait entre « Une Maison de Poupée » (1879) d’Henrik Ibsen et « La Femme mystifiée » (1964) de Betty Friedan. « Free Love », c’est le roman de la découverte du droit à la jouissance et à la maternité, en jetant au loin les tabous. C’est aussi un grand livre sur la condition féminine, sans jamais tomber dans le militantisme…

Free Love
Auteure : Tessa Hadley
Editions : Bouquins
352 pages
Prix : 22 €

MARCUS MALTE : « Qui se souviendra de Phily-Jo ? »

La proposition de l’éditeur est plus que prometteuse- rien moins qu’emballante ! Ainsi, voici donc l’annonce sur le bandeau : « Quand un génial inventeur se joue du grand capital. LE roman de toutes les manipulations ». C’est « Qui se souviendra de Phily-Jo ? », le nouveau roman du toujours pertinent Marcus Ma lte, romancier grandement apprécié avec, précédemment, « La Part des chiens », « Intérieur nord », « Le Garçon » ou encore « Aires ». Et une fois encore, l’auteur va mettre les nerfs du lecteur à rude épreuve, usant mais n’abusant jamais de moyens rappelant ceux d’« Usual Suspects » (1995), le film de Bryan Singer. Avec Marcus Malte, on s’intéresse donc à Phily-Jo, un inventeur qui a mis au point la FreePow, une machine à énergie libre. Il est mort soudainement- le mystère reste entier. Sa famille et ses disciples veulent savoir : meurtre ou suicide ? y aurait-il eu une conspiration menée par le grand capital tellement soucieux d’anéantir tout projet, toute réalisation favorisant des progrès humanistes ? En 570 pages menant jusqu’au Texas, ses champs de pétrole et ses couloirs de la mort, Marcus Malte déroule un roman aux allures de poupées gigognes. Ciblant le capitalisme, le mensonge et les complots, c’est follement décapant, irrésistiblement saisissant…

Qui se souviendra de Phily-Jo ?
Auteur : Marcus Malte
Editions : Zulma
576 pages
Prix : 26,50 €

JEAN-CLAUDE MOURLEVAT : « Jefferson fait de son mieux »

Catégorique, il affirme : « Je n’écris pas un livre pour défendre des idées ou une cause. Je suis simplement un raconteur d’histoires ». A 70 ans, Jean-Claude Mourlevat en a publiées une petite vingtaine, et nous fait cadeau sa nouvelle production, « Jefferson fait de son mieux ». Il est le meilleur auteur français dans la catégorie « jeunesse » et, en 2021, il a reçu le prix Astrid Lindgren (tenu pour le Nobel pour la littérature jeunesse)… Modeste, il s’est remis à l’écriture et a imaginé une nouvelle aventure pour Jefferson le hérisson et Gilbert, son pote le cochon. Quatre ans plus tôt, ils avaient effectué la mémorable expédition Ballardeau… et là, Jefferson reçoit un appel téléphonique de Gilbert qui lui annonce qu’il est chez leur copine Simone, la lapine dépressive et souffrant chroniquement de solitude, et qu’il y a « un lézard, un truc qui cloche ». Simone a disparu… Le hérisson et le cochon se lancent dans l’enquête- ce qui va les mener à nombre d’ennuis, dont chaque mois une somme importante retirée sur le compte de la lapine dépressive. Y aurait-il, là-dessous, une affaire de secte ? Mystère… Jean-Claude Mourlevat étrille les humains avides et ignorants de leurs proches et voisins, tout en pointant le mal de dépression, dans un livre aussi allègre qu’intelligent, mi-polar mi-fable.

Jefferson fait de son mieux
Auteur : Jean-Claude Mourlevat
Editions : Gallimard Jeunesse
304 pages
Prix : 14 €

MAKENZY ORCEL : « Une somme humaine »

Une voix de l’outre-tombe… Relayée par le toujours impeccable écrivain haïtien Makenzy Orcel, 38 ans. Avec « Une somme humaine »- deuxième tome d’une trilogie après « L’ombre animale » (2016), il nous offre l’autobiographie d’une morte. La voix d’une seule femme, de toutes les femmes. Une voix anonyme et incarnée qui a consigné, dans des carnets dérobés au temps et à la mort, une enfance volée, une adolescence déchirée, une vie et un destin brisés. Les premiers moments de la vie dans un village de province empli de rumeurs et de médisance. L’échappée vers Paris avec l’espoir d’échapper aux fantômes du passé. Les études de lettres à la Sorbonne. Amour avec un homme qui a fui la guerre au Mali. L’expérience du travail. L’abandon. L’errance. Comme peu d’auteur.e.s, Makenzy Orcel sait magnifiquement ancrer ses romans dans le monde contemporain. On y ajoute une langue et un style fulgurants et envoûtants.

Une somme humaine
Auteur : Makenzy Orcel
Editions : Rivages
624 pages
Prix : 22 €