« Blaise Cendrars ; le démon du voyage » : l’écrivain monde
- Écrit par : Guillaume Chérel
Par Guillaume Chérel - Lagrandeparade.com/ Que pouvait-on écrire de plus sur l’existence mouvementée de Blaise Cendrars (1887-1961), né Frédéric-Louis Sauser, le plus français des écrivains suisses ?
A part que son style n’a pas vieilli et que cet écrivain complet, qui a traversé le XXe siècle, reste hors norme, hors école, hors petit monde des lettres. Lui qui fut à la fois poète et prosateur, reporter, et mena une vie d'aventurier et de bourlingue, avant d'écrire et de publier ses premiers poèmes : « Les Pâques », en 1912 (qui deviendra « Les Pâques à New York », en 1919), qu'il signe du pseudonyme de Blaise Cendrars – alors que malade, il se voulait renaissant à travers les braises et les cendres, tel le phénix.
Benoît Heimermann, ex-journaliste sportif à la plume « blondinesque » (rapport à Antoine), a eu la bonne idée de proposer une biographie richement illustrée aux éditions Paulsen, spécialisées dans les ouvrages montagnards. Il faut dire qu’avec l’auteur de « Moravagine » on atteint des sommets en matière littéraire. Il est toujours bon de rappeler qui fut le parrain des avant-gardes artistiques, et techniques (des dadaïstes aux surréalistes). Un véritable chantre (solitaire) de la modernité. Inspiré par Guillaume Apollinaire, il a révolutionné la poésie avec « La Prose du transsibérien et de la petite Jehanne de France », publié en 1913. Ou qu’importe la véracité si la justesse du style provoque des émotions…
Qu’importe s’il en rajoutait, édulcorait, du moment qu’il nous fait voyager avec ses romans touffus, comme la forêt amazonienne. Notamment avec « L'Or », en 1925, où il retrace le dramatique destin de Johann August Suter, millionnaire d'origine suisse ruiné par la découverte de l'or sur ses terres en Californie. Ce succès mondial va faire de lui, durant les années vingt, un romancier de l'aventure que confirme « Moravagine » en 1926, avant qu'il ne devienne dans les années trente, grand reporter. Ce qu’il ne cessa d’être, finalement.
Mais revenons au commencement. En 1918, le jeune Cendrars publie un court texte intitulé : « J'ai tué ». Premier livre, illustré par Fernand Léger, s’il vous plait, encore inconnu comme lui, et seul livre illustré des dessins de sa période cubiste. Quelques pages parmi les plus fortes et les plus dérangeantes écrites sur la guerre. L’homme foudroyé (titre d’un de ses livre), par la première guerre mondiale, durant laquelle il perdit un bras, arma l’autre d’une plume libre et toujours surprenante. Comme pour Hemingway, qui fut également gravement blessé, ce fut peut-être le déclic. Dès lors, il (sur)vécut pour deux.
Il avait la bougeotte, déménagea mille fois, mangea des pierres, et préféra toujours faire de belles rencontres plutôt que de courir après les honneurs. De Saint-Pétersbourg à New York, on l’a dit, il prit la direction du Brésil pour y chercher son Eldorado. Le bourlingueur savait faire escale. C’est ainsi qu’il se lia d’amitié avec les Delaunay et Chagall, a influencé Léger et Modigliani, inspiré Miller (Henry) et Dos Passos. Mais fuya le « poète-boxeur aux cheveux les plus courts du monde », j’ai nommé ce diable d’Arthur Cravan, trop grand (1, 96 m), peut-être, ou plutôt trop fou pour lui. Il a également apprécié la compagnie des femmes : Tarsila do Amaral, l’artiste-peintre, Raymone Duchâteau, l'actrice. Puis Raymone, sa fidèle épouse.
Comme l’érudit Rémy de Gourmont, Cendrars s’intéressait à tout, ou presque. Il se passionna pour le cinéma grâce à Abel Gance (et Jean Cocteau), et l'architecture, en compagnie du Corbusier. Il a vogué sur des paquebots, plané en avion, jusqu'aux confins polaires. Du roman d'aventures aux confessions intimes, il a tout osé, tout essayé. Son œuvre littéraire n'est pas seulement foisonnante, elle est demeure innovante.
Cendrars évitait de juger, sachant que chaque être est différent. Il remettait en cause les acquis pour se fier à l’inné, et suivait son instinct, au gré de ses curiosités. Cependant, s’il vivait pleinement la joie de vivre, et se s’enivrer, il s’isolait pour écrire en reclus, face à un mur, pour ne pas se laisser distraire par les paysages, ou les distractions.
Merci à Benoît Heimermann, de nous donner des nouvelles de cet homme-livre, qui demeure plus moderne, et vivant que la grande majorité des plumitifs actuels, trop occupés à vider l’encrier de leur nombril (leur sacro-sainte famille), comme on l’a encore vu lors de la rentrée littéraire de septembre 2025. L’œuvre de Cendrars n'est pas seulement foisonnante, elle est demeure innovante. Tout ça un seul bras.
Blaise Cendrars - le démon du voyage
Editions : Paulsen
Auteur : Benoît Heimermann
200 pages
Prix : 39,90 €
Parution : 16 octobre 2025






