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« La collision » : le Big Bang socio-culturel

  • Écrit par : Guillaume Chérel

GasnierPar Guillaume Chérel - Lagrandeparade.com/ Quand deux mondes, qui s’ignoraient jusque-là, se croisent – voire se percutent -, ça peut occasionner de violents dégâts.

Mais aussi une prise de conscience. Rappel des faits. En 2012, en plein centre-ville de Lyon, la mère de Paul Gasnier est percutée par un jeune garçon en moto, qui faisait une « roue-arrière (à 80 km/h) dans une ruelle a priori tranquille. Âgée d’une cinquantaine d’années, elle venait d’ouvrir une école de yoga et vivait dans un quartier bourgeois. Après quelques jours de coma, elle décède.

Le « motard », à peine majeur, lui, était fils d’immigré magrébin, et habitait dans une cité HLM. Paul Gasnier, brillant étudiant féru de rock, est de la même génération. Le drame l’a profondément marqué, évidemment. De la sidération, il est passé à la colère. Notamment quand il apprend que deux camarades du fautif se sont empressés de récupérer le véhicule, sans porter assistance à sa mère. Depuis ce jour, des années durant, dès qu’il croise un jeune « beur » en jogging, bref une « caïra », son sang bout. S’il est juché sur un deux-roues, c’est encore pire. Il a des envies de meurtre et on le comprend.

Dix ans plus tard, devenu journaliste (de talent, à Quotidien, sur TMC, où il officie comme reporter), il est toujours hanté par « l’accident », lequel a tout d’un homicide « routier ». Le déclic a lieu lorsqu‘il « couvre », comme on dit dans le jargon du métier, des rassemblements du R.N, notamment quand des sympathisants du parti nationaliste de Marine Le Pen lui rétorquent qu’il ne sait pas de quoi il retourne (sous-entendu, c’est un journaliste, supposé bourgeois, membre du « 4e pouvoir »). Il faut dire qu’en son for intérieur, il n’était pas loin d’arriver aux mêmes conclusions : jeune des quartiers, issu de l’immigration = délinquance. L’équation est simple, démago. Il suffirait de les « karchériser », pour reprendre les propos d’un ancien président, « repris de justesse », comme dirait Coluche, pourtant responsable de la diminution des effectifs de police de proximité dans les quartiers dits « sensibles ». Des pétaudières, en réalité.

En bon journaliste qu’il est (ses reportages, en Ukraine, et ailleurs, sont toujours objectifs et pertinents), Paul Gasnier analyse la manière dont ce genre de « fait-divers » est utilisé quotidiennement, sur CNews entre autres, et la presse aux mains du groupe Bolloré, pour fracturer la société et dresser une partie de l’opinion contre l’autre. Malgré la souffrance – et la colère, légitime, toujours présente -, il décrypte les multiples raisons pour lesquelles un « accident » de ce type a pu arriver. Il retrouve les traces du jeune motard, qu’il détestait jusque-là, pour comprendre d’où il vient (that is the question), quel a été son parcours (élémentaire, mon cher confrère…) et comment un tel événement a été rendu possible. Nous y voilà.

En décortiquant les indices (symptômes), comme un détective, qui ont mené à ce double drame familial (car les dégâts sont collatéraux), Paul Gasnier révèle deux parcours (plutôt que « destins », car il n’y a pas de fatalité) qui s’écrivent en parallèle, dans la même ville, le même pays, lesquels s’ignoraient jusque-là. Le fait qu’il ait fallu le pire des drames (une violente collision) pour que ces deux familles (ces deux composantes de la France) se découvrent, se regardent enfin, est révélateur de la fracture (sociale et culturelle). A défaut de se comprendre, il y a eu une tentative de communication (avec la sœur du délinquant récidiviste). C’est un premier pas. Non pas vers la résilience, mot galvaudé, mis à toutes les sauces, mais comment on en est arrivé là. Les raisons sont nombreuses.

Il ne s’agit pas ici d’excuser, mais de comprendre le pourquoi du comment (qui, où, quand, etc… le béaba du métier). Ce récit, qui n’est pas un roman (ça manque de souffle, il n’avait rien à faire sur la liste du Goncourt, soit dit en passant), en forme d’enquête littéraire, est de bonne facture. C’est pro, concis, sans pathos, ni fioritures. Le style est efficace. Mais il manque l’expertise sociologique, voire politique, des spécialistes de la question, qui n’est pas nouvelle (des essais ont été publiés sur le sujet). Ça fait quarante ans que des lanceurs d’alerte, écrivains, journalistes, sociologues, répétons-le, médiateurs, éducateurs, profs, partenaires sociaux, bénévoles, membres d’association caritatives, curés, et quelques politiques, tirent la sonnette d’alarme, sans que rien ne bouge. Hormis des ravalements de façade (il faut voir dans quoi logent ces populations, déjà). La situation, au contraire, se dégrade. On le constate avec le développement du trafic de drogue (économie parallèle) et la délinquance de plus en plus violente.

Mieux vaut tard que jamais, cher confrère. Paul Gasnier a eu le courage d’aller à rebours de son ressenti (la fameuse colère) de fils éploré, traumatisé. Il a eu l’intelligence de chercher à comprendre comment de telles « collisions » peuvent arriver. En partie grâce à sa mère, sans doute, qui était prof de yoga, rappelons-le, il a eu la force de pardonner à ce jeune en dérive perpétuelle. Et en bon journaliste, et auteur d’un livre poignant et plein de bon sens, il lui reste à continuer de montrer comment la haine ne mène à rien de positif. En rappelant les manquements collectifs (de tous bords politiques), qui créent l’irrémédiable, il a conçu une œuvre pédagogique salutaire. Si ça peut ouvrir les yeux (et les méninges) de certains lecteurs aveuglés par le populisme, il aura rempli sa mission et rendu le plus bel hommage qui soit à sa défunte mère.

La collision 
Editions : Gallimard
Auteur :  Paul Gasnier
176 pages
Prix : 19 €
Parution : août 2025

 
 

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