Et que se taisent les vagues : Chili – La traversée : Chili conne l'armée ou Les mutins de Valparaiso
- Écrit par : Guillaume Chérel
Par Guillaume Chérel - Lagrandeparade.com/ Nous sommes au Chili, en 1973. Sur un navire de guerre, alerté par les discours conspirationnistes de leurs officiers tortionnaires, un groupe de jeunes marins, dont Luis Ayala, alias, « Lucho », issu d'un milieu populaire, est témoin des préparatifs du complot visant à destituer le gouvernement démocratiquement élu. La terreur et l'ordre (fachiste) règne sur le bateau. Peu à peu, la conscience de classe a gagné le cerveau des apprentis marins. Une course contre la montre est engagée pour éviter le coup d'État du 11 septembre. L'enjeu est énorme : la démocratie ou la dictature. La liberté ou la mort.
En évoquant, dans « Et que se taisent les vagues », l'histoire du Chili, par le prisme d'un moussaillon lambda, depuis sa naissance, jusqu'à l'ascension d'Allende à la présidence jusqu'à sa chute, Désirée et Alain Frappier restituent avec humanité cette époque où se mêlent espoirs et tragédies. Nous suivons le parcours de Lucho, à partir de 1959. Son avenir scolaire étant restreint, comme de nombreux jeunes rêvant de voyages et d'aventures, il s'engage dans la Marine nationale, avec pour objectif de poursuivre ses études plus tard. En 1970, il prend la direction de Valparaiso, et son école des mousses. Il y vit des brimades ultra-violentes et découvre la différence de classe frappante entre officiers et sous-officiers. Sans le savoir, il subit l'abus de pouvoir basé sur les codes militaires empruntés aux américains, et aux anciens criminels de guerre nazis, réfugiés en Amérique du Sud.
Rappelons qu'à cette époque, le Chili est sous l'influence de la CIA, en lutte contre l'ennemi communiste, associée au système soviétique. Salvador Allende se présente pour la quatrième fois, et il sera élu par le peuple qui se croit souverain. Après avoir informé Salvador Allende de la préparation d'un coup d'Etat, et tenté d'empêcher les navires de bombarder la ville de Valparaiso, les jeunes marins « constitutionnalistes » sont arrêtés puis torturés. Le jour où le Palais présidentiel est pris pour cible, le président chilien se suicide.
Avec ce dernier tome de la trilogie chilienne des époux Frappier (Désirée et Alain), Steinkis s'affirme comme le meilleur éditeur de BD engagée. « Et que se taisent les vagues » clôt magistralement la description clinique d'une dictature au pays du poète Pablo Neruda. Encore une fois, il s'agit davantage d'un roman graphique, savamment documenté, destiné à la réflexion, que d'un simple album destiné avant tout à se divertir.
Cette trilogie de romans graphiques sur le Chili des années 70, est une véritable ode à l'éveil de la conscience politique. Avec une grande précision historique, les auteurs témoignent du combat des « vaincus », ces « invisibles », à qui ils rendent hommage avec sensibilité, sans mièvreries. Les marines, qui ont tenté d'éviter le coup d'Etat, sont aujourd'hui toujours condamnés pour « sédition et mutinerie ». L'armée a encore beaucoup d'influence au Chili, comme en Argentine, voisine. Dans ce microcosme marin se jouait le sort de l'Humanité... La métaphore est parfaite. Lutte des classes. Rapport de pouvoir. Le Bien contre le mal (et le « mâle », puisque tout est basé sur la prétendue virilité). Les textes, concis, précis, sans fioritures, de Désirée sont mis en valeur par le dessin , en noirs et blancs, tout en sobriété délicat d'Alain. En plus d'être une œuvre d'art (osons le mot), ce récit documentaire, d'autofiction, invite à réfléchir aux conséquences de nos choix politiques, car l'Histoire, comme on le sait, a une fâcheuse tendance à se répéter.
Et que se taisent les vagues : Chili – La traversée
Editions : Steinkis
Auteurs : Désirée et Alain Frappier,
317 pages
Prix : 24 €
Parution : 24 octobre 2024