Balzac et la petite tailleuse chinoise : une émancipation en cases fort réussie!
- Écrit par : Julie Cadilhac
Par Julie Cadilhac - Lagrandeparade.fr/ Inspiré du roman de Dai Sijie, « Balzac et la Petite Tailleuse chinoise » le roman graphique de Freddy Nadolny Poustochkine est pertinent à de nombreux égards car il ne se contente pas de transposer en cases cette oeuvre de qualité. Il s’y ajoute la sensibilité d’un nouveau regard.
Nous sommes en Chine, à l'époque de la révolution culturelle mise en place par Mao Zedong qui met à mal les intellectuels. Dans la province du Sichuan, en 1971, deux amis d’enfance de 17 et 18 ans qui se connaissent depuis l'enfance sont envoyés en rééducation, car ils sont considérés comme des « intellectuels ».
Le narrateur est le plus jeune; c’est un garçon discret et timide. Son meilleur ami se nomme Luo ; il est beaucoup plus téméraire, son père est dentiste - ce qui lui vaudra de devoir soigner la dent du "chef" sous la menace. Luo est par ailleurs un bon conteur, il raconte diverses histoires au chef du village, et surtout les films que ce dernier finit par leur demander d'aller voir en ville.
Un jour, Luo part au village voisin pour faire rallonger son pantalon par un célèbre tailleur de la montagne, et il croise sa fille, surnommée la « Petite Tailleuse ». Cette jeune fille est jolie, pleine de vie mais sans aucune instruction. Les deux garçons en tombent amoureux. Luo devient l’amant de la petite tailleuse et le narrateur tait ce secret, par loyauté pour son ami. Il y a un autre garçon important dans ce roman, surnommé "le Binoclard" et qui est lui aussi en rééducation dans un village voisin ; ce dernier prête aux deux amis, pour un service rendu, Ursule Mirouët, le roman de Balzac. Les deux amis décident de voler toute la valise de livres interdits que le Binoclard nie avoir en sa possession et qui contient de nombreux romans des plus grands auteurs occidentaux du xixe siècle. Luo se promet alors : « Avec ces livres, je transformerai la Petite Tailleuse. Elle ne sera plus jamais une simple montagnarde ». Et effectivement, la lecture ( et celle de l’œuvre de Balzac en particulier) métamorphose la jeune fille en une femme épanouie. Elle finit d'ailleurs par confesser : « Balzac m’a fait comprendre une chose : la beauté d’une femme est un trésor qui n’a pas de prix ». Et la Petite Tailleuse s'en va... elle rejoint la ville, au regret du narrateur et de son ami Luo.
Freddy Nadolny Poustochkine a été forcé de faire des choix dans les épisodes de ce long roman; ainsi, s'il en suit fidèlement la progression narrative, lorsque le roman graphique débute, Luo et le narrateur connaissent déjà la petite tailleuse. La fragilité du narrateur est immédiatement mise en exergue lors de la première séquence dans la mine qui s'avère un prologue particulièrement réussi ; en effet, y sont mis en place avec talent le cadre historique et la désolation du narrateur, musicien délicat, condamné à un "cauchemar perpétuel". Chaque planche, n'étant pas présentée sous forme de gaufrier classique, joue de ce fait davantage sur les émotions et les sensations, étourdit d'ailleurs parfois, comme lorsque la petite tailleuse est déflorée par Luo. Usant d'une palette de couleurs réduite et de cadrages optant régulièrement pour les gros plans et très gros plans, le dessin met en valeur le mouvement et les respirations, insiste sur les émotions et rend tout aussi bien hommage à la jeunesse et sa fraîcheur qu'il fait percevoir la détresse du narrateur qui étouffe et se meurt dans cette punition dont il ignore l'issue et le terme.
Une adaptation fort réussie du roman de Dai Sijie où la poésie perce dans chaque case. Une occasion à saisir de redécouvrir une oeuvre littéraire brillante qui rappelle combien la connaissance émancipe !
Balzac et la Petite Tailleuse chinoise
Editions : Futuropolis


Un récit écrit et dessiné par Freddy Nadolny Poustochkine d'après le roman de Dai Sijie


Première parution : 12/10/2017
320 pages
Prix de vente : 32 €