Les fées de Cottingley : Sébastien Pérez et Sophie de La Villefromoit à l'ombre des fées en fleurs
- Écrit par : Julie Cadilhac
Par Julie Cadilhac - Lagrandeparade.fr/ Juillet 1917. Elsie Wright et Francès Griffiths réalisent une mystérieuse photographie sur laquelle on découvre Francès au milieu de fées qui dansent. Deux mois plus tard, une autre montre Elsie avec un gnome. L'affaire intrigue très vite l'entourage mais aussi la bonne société anglaise...et en 1920 l'histoire arrive dans les oreilles d'un certain Arthur Conan Doyle qui a farouchement envie d'y croire.
65 ans plus tard, Elsie avoue la supercherie et le montage des deux photographies. Sébastien Pérez ( texte) et Sophie de La Villefromoit ( illustration) se sont emparés avec talent de ce fait divers pour faire virevolter une nouvelle fois les fées dans notre imaginaire. Au programme? Un bouquet de sensations poétiques et troublantes où l'on butine aussi bien les fleurs que les yeux de délicieuses héroïnes qui jouent au jeu dangereux de grandir, s'éveillent au désir et à l'émancipation. Un très bel album où les mots se marient à la perfection avec les illustrations ! Ne résistez pas, c'est inutile!
Sébastien Pérez
Comment cette Affaire des Fées de Cottingley, aussi espiègle que fascinante, est-elle arrivée jusqu’à vous? Est-ce parce que vous êtes un lecteur fervent d’Arthur Conan Doyle?
En réalité, l'impulsion vient de Sophie. Il y a quelques années, nous avions déjà monté ensemble un projet jeunesse qui n'avait pas abouti. L'idée de faire un livre ne nous avait pas quittés. Lorsqu'elle m'a alors proposé de travailler sur ces mystérieuses photographies, j'ai tout de suite accroché.
Avez-vous travaillé sur de nombreux documents authentiques et épluché les témoignages de Francès Griffiths et Elsie Wright ou ce fait réel a juste été l’impulsion pour faire décoller votre imagination?
Il y a beaucoup d'inconnu dans cette histoire de Cottingley. Mais de nombreuses études scientifiques ont également été faites à l'époque. Beaucoup ont été orchestrées par Conan Doyle. L'auteur les a regroupées dans un livre, intitulé "Coming of the Fairies". Pour moi, c'était l'unique base fiable et c'est sur elle j'ai construit l'histoire.
Le père d’Elsie était-il réellement pasteur, celui de Francès se battait-il en France? Ou étaient-ce des postulats narratifs pratiques pour expliquer le désir de ces deux enfants de croire en les récits de Kate?
J'ai essayé de respecter la vie des personnages. Frances et ses parents vivaient effectivement en Amérique du Sud et elles ont dû se rendre chez les Wright tandis que le père partait en France pour la guerre. En revanche, je ne crois pas que le père d'Elsie était pasteur. Dans le livre, non plus d'ailleurs. Le pasteur est un autre personnage présent lors de déjeuners ou à l'église. Je voulais jouer sur cette opposition de croyance avec le petit peuple afin d'inventer un contexte psychologique pour les personnages. Il fallait que je définisse ce qui avait pu faire que les fillettes s'étaient engouffrées dans ces histoires de fées puis emmêlées dans leurs mensonges. J'ai donc fait du père d'Elsie quelqu'un de très croyant. Vu l'époque, je pense que je n'ai pas pris trop de risques. Sa mère, quant à elle, croyait aux fées. Elle assistait souvent à des colloques sur ce sujet.
Et d’ailleurs, venons-en à Kate, personnage à l’ambivalence fascinante... On suppose qu’elle est née de votre imagination. Comment s’est-elle imposée à vous?
Kate est un personnage totalement fictif et la clé de voûte de cette histoire. Il y a tellement eu de déclarations contradictoires au fil des années entre les deux cousines que je me suis dit qu'une tierce personne avait dû intervenir dans cette histoire des fées de Cottingley. Un fauteur de troubles... Dans le livre, elle est ambiguë, bienveillante et maléfique comme peuvent l'être les fées. Après tout, elles sont sensées écrire nos destinées et nous réservent parfois des événements bien cruels.
Ce n’est pas votre premier ouvrage sur les fées ( on se rappelle de votre Herbier des fées avec Benjamin Lacombe)…Qu’est-ce qui vous fascine particulièrement dans ces petits êtres? Le fait, peut-être, qu’il suffit d’y croire pour qu’elles existent? Le fait de leur donner un visage un peu moins naïf que celui qui est véhiculé habituellement?
Je pense que j'aime surtout la nature et l'inconnu. J'ai grandi dans une maison avec un jardin. Les fleurs étaient mes jouets. Naturellement, j'ai imaginé des histoires autour d'elles... En grandissant, je me suis aperçu que nous sommes parfois trop virulents avec nos certitudes. Tout est une question d'interprétation et il y a tant de choses que nous ne comprenons pas... ça fait peur alors j'essaie de combler ce vide.
[bt_quote style="default" width="0"]J'ai grandi dans une maison avec un jardin. Les fleurs étaient mes jouets. Naturellement, j'ai imaginé des histoires autour d'elles... [/bt_quote]
Les deux récits décrochés concernant la reine Sydhèle et les Féebulatrices doivent se lire comme des lectures possibles de Kate? D’où viennent ces histoires?
Elles viennent de mon esprit. Ce sont effectivement des légendes que Kate partage avec Frances et Elsie. Elle les tiendrait elle-même des fées. Kate manipule les cousines, s'amuse cruellement avec elles. Jusqu'à essayer de les faire s'entretuer. Ces légendes sont des outils comme des électrochocs psychologiques pour arriver à ses fins.
C’est une histoire de petites filles ...qui ne leur est pas destinée à la lecture : est-ce que cette volonté de "sexualiser" l’expérience de la rencontre avec les fées s’est imposée immédiatement à vous? Rencontrer les fées, ce serait paradoxalement le moment où l’on devient femme et où, donc, l'on va cesser d’y croire?
Ce livre s'inscrit parfaitement dans la collection de Clotilde Vu et de Barbara Canepa. C'est une métamorphose, un passage à l'âge adulte, de la crédulité à l'incrédulité, de l'imaginaire au réel. La découverte de la sexualité en fait partie. C'est une période trouble pour les enfants. Les cousines s'éveillent au monde des adultes fait de certitudes et de rivalités. Avec Sophie, nous vivions également notre passage de la littérature jeunesse à l'adulte. Effectivement, ce n'est pas un livre pour jeunes enfants. Mais je pense que la couverture lève l'ambiguïté, non ? (sourire)
[bt_quote style="default" width="0"]Ce livre s'inscrit parfaitement dans la collection de Clotilde Vu et de Barbara Canepa. C'est une métamorphose, un passage à l'âge adulte, de la crédulité à l'incrédulité, de l'imaginaire au réel. La découverte de la sexualité en fait partie.[/bt_quote]
Lorsque vous avez découvert la vision des personnages selon Sophie de la Villefromoit, avez-vous été surpris ou les imaginiez-vous exactement ainsi?
Avec Sophie, nous avons travaillé main dans la main, du début à la fin. J'ai écrit ce texte, chapitre après chapitre, en en parlant avec elle et en l'adaptant à ses envies, même celles qu'elle n'exprimait pas car nous nous connaissons bien. Je pense que Sophie a fait de même. Elle a créé les personnages pour qu'ils me plaisent et qu'ils correspondent à l'idée que j'en avais. Mais j'ai été impressionné par son travail. C'est titanesque ! Et elle a su mêler du gothique à la douceur enfantine et c'est ça qui est fort. Dessiner une jeune fille et des papillons, c'est une chose. Avoir l'idée de dessiner une jeune fille avec des papillons qui lui "butinent" les yeux, c'en est une autre.
Et, pour finir, Sébastien Pérez est-il à la recherche - ou a-t-il déjà trouvé ?- de nouvelles histoires de fées à raconter? Et plus largement, a-t-il déjà de nouveaux projets éditoriaux en gestation?
Pas de nouvelles histoires de fées à l'horizon. Cette année, j'ai un autre roman qui sort en Espagne. Il est illustré par Ana Juan. Encore une fois, c'est un vrai bonheur de voir se poser un univers singulier sur mes mots. Ana est peu connue en France mais elle mérite de l'être. Son travail est d'une force incroyable. C'est une sorte d'Alice au pays des merveilles mais dans un registre un peu plus sombre. La réflexion d'une jeune fille à la veille de son mariage arrangé. D'une façon générale, c'est un livre sur les traditions qui se perpétuent, parfois cruellement, même par les victimes elles-mêmes. D'autres choses également dans la tête, mais trop tôt pour en parler (sourire).
Sophie De La Villefromoit
Quelles ont été vos principales sources d’inspiration pour illustrer Les fées de Cottingley? Votre jardin et ses jacinthes des bois, mais encore?
Mon inspiration pour ce livre remonte tout d’abord à mes souvenirs d’enfance lorsque je vivais dans une maison isolée au cœur de la forêt de Carnoët en Bretagne. Avec ma sœur Hélène, nous aimions particulièrement jouer près de petits ruisseaux au-dessus desquels virevoltaient des libellules, que l’on appelle demoiselles et qui n’étaient d’autre que des fées à nos yeux. L’inspiration me vient également de mon émerveillement pour la beauté de la nature et particulièrement des fleurs. Ma mère, qui est botaniste, m'a éduqué très tôt à observer et à reconnaitre les plantes. Je collectionnais également les papillons que je trouvais morts et mon premier coup de foudre a été pour un papillon de nuit, le sphinx du troène qui apparait dans mes illustrations.
[bt_quote style="default" width="0"]Mon inspiration pour ce livre remonte tout d’abord à mes souvenirs d’enfance lorsque je vivais dans une maison isolée au cœur de la forêt de Carnoët en Bretagne. Avec ma sœur Hélène, nous aimions particulièrement jouer près de petits ruisseaux au-dessus desquels virevoltaient des libellules, que l’on appelle demoiselles et qui n’étaient d’autre que des fées à nos yeux.[/bt_quote]
Qu’est-ce qui vous a séduit particulièrement dans l’adaptation de Sébastien Pérez?
Ce qui m’a tout d’abord séduit dans cette adaptation, c’est l’univers qu’il a créé en plaçant la nature au cœur du récit, une nature mystérieuse qui est presque personnifiée. Il y a aussi le personnage de Kate que Sébastien a imaginé qui est génial et donne au récit une dimension fantastique. Kate m’a envoutée immédiatement et j’ai vraiment essayé de retranscrire ce sentiment à travers son portrait.
Questions techniques pour les apprentis dessinateurs : avec quelles techniques, matières et outils avez-vous travaillé pour illustrer ce livre?
Il y a plusieurs techniques dans ce livre, les peintures à la gouache que j’ai utilisées pour retranscrire la réalité, les images monochromes que j’ai travaillées au pastel à l’huile représentent les « visions » de Frances qui est le personnage principal du roman ; les cabochons et les enluminures sont réalisés à l’aquarelle dont les contours bruns sont inspirés par le travail d’Arthur Rackham qui est un de mes illustrateurs préférés et une référence dans l’illustration britannique de la fin du 19 ème siècle ; les passages en bande -dessinée qui symbolisent les moments où Frances rêve pendant son sommeil et qui sont travaillés aux crayons aquarelle.
Elsie, Francès, Kate…trois jeunes filles à représenter. Vous faîtes de Francès une enfant tandis que les deux autres sont déjà des adolescentes dont la sexualité naissante perce, notamment dans le regard. Quelles ont été les étapes de leur création ? Ont-elles évolué beaucoup ou vous en aviez une idée très claire dès la première lecture?
Tout d’abord j’ai cherché les photos existantes de Frances et Elsie, à partir de là je savais à quoi elles devaient ressembler. Cependant j’ai décidé en cours de route que ce serait ma fille Félicie qui interprèterait le rôle de Frances vu qu’elles ont le même âge et des similitudes physiques et psychologiques. Ma fille est une immense inspiration pour moi depuis sa naissance, c’est déjà elle qui porte les traits de Sophie dans ‘Les malheurs de Sophie ». Ensuite pour le personnage de Kate nous avons discuté avec Sébastien pour confronter nos visions et surtout pour que le personnage corresponde à ce qu’il avait imaginé. Ensuite il a fallu de nombreux essais qui se sont étalés dans le temps pour obtenir graphiquement un résultat satisfaisant.
Le papillon est un motif récurrent…mais c’est toujours un papillon de couleur sombre, voire un papillon de nuit. Pour ajouter encore au côté éphémère et ( donc lié à la mort) que cet insecte symbolise?
Pour moi, le papillon de nuit est le passeur entre le monde des humains et celui de la nature mystique. Il est aussi une forme de représentation de l’esprit de la forêt, de l’esprit des fées. Ces papillons ont quelque chose d’immortel, une force étrange invincible qui devient puissante dans l’obscurité et guette à l’ombre pendant le jour. Les papillons de nuits sont beaux et mystérieux. Sur la couverture du livre ils deviennent un masque qui rend Kate intrigante et mystérieuse à son tour.
[bt_quote style="default" width="0"]Pour moi, le papillon de nuit est le passeur entre le monde des humains et celui de la nature mystique. Il est aussi une forme de représentation de l’esprit de la forêt, de l’esprit des fées. Ces papillons ont quelque chose d’immortel, une force étrange invincible qui devient puissante dans l’obscurité et guette à l’ombre pendant le jour.[/bt_quote]
Il y a en outre quelque chose de sombre dans votre représentation des fées ; elles sont à la fois de petits êtres ailés adorables dans l’imaginaire de Francès et Elsie ( qui les dessinent naïvement pour créer un montage-photo) mais on les voit apparaître aussi sous la forme de rêves inquiétants, grimacière derrière une fenêtre notamment...Pourquoi?
La représentation des fées, telle que Frances et Elsie les imaginent, est la représentation classique que l’on connait tous, de jeunes filles aux robes vaporeuses avec des ailes de libellules dans le dos. Lorsque j’ai lu le texte de Sébastien, j’ai tout de suite compris que nous allions proposer notre propre vision des fées, subtile et ambigüe. Les fées ont deux visages et ce côté sombre me plait encore plus. Elles sont d’ailleurs présentes tout au long des images à travers la végétation, les insectes et les papillons surtout. En ce qui concerne l’apparition à la fenêtre est-ce vraiment un rêve ? Est-ce une fée ?
L’oeil est également un motif qui revient…que l’on trouve à l’intérieur de l’objectif d’un appareil-photo, au coeur d’une fleur…Pourriez-vous nous expliquer sa présence dans ces deux cas particulièrement par exemple?
L’œil est celui qui observe et qui épie, mais c’est également celui qui cherche à comprendre et à croire ce qu’il voit. Frances a une vision fantasmé du père d’Elsie qui décrit son père comme une sorte de monstre, comme c’est l’appareil de ce dernier qui est utilisé par les deux jeunes filles j’ai représenté le père d’Elsie à contre-jour dont le haut de la tête est coupé car son œil est devenu celui de l’objectif de l’appareil photo. Pendant longtemps les gens pensaient que l’on capturait l’âme de quelqu’un en le prenant en photo, l’œil au centre de cet image est celui dans lequel Frances se perd. Elle ne perd pas vraiment son âme mais elle ne distingue plus la réalité du rêve et puis sans l’appareil photo cette histoire n’aurait jamais eu lieu.
Le père de Frances qui part à la guerre offre à sa femme et sa fille de petits bouquets de campanules qu’il vient de cueillir. Le départ est douloureux, la mère et la fille sont dévastées, les larmes coulent sur leur visage. J’ai symboliquement transposé les yeux de Frances et sa maman dans le cœur des fleurs.
De même, les regards des personnages sont troublants ( ceux de Kate et d’Elsie…ou encore de Francès dans le lac à la fin). Avez-vous travaillé particulièrement en ce sens? Vouliez-vous que le lecteur soit troublé, en quelque sorte, par ces jeunes filles?
Lorsque j’ai lu le texte j’ai ressenti le trouble naissant entre les jeunes filles ; aussi il était indispensable que je tente de le transposer dans mes images. Ce qui était important pour moi c’est qu’on voit à travers les regards la séduction entre les personnages. C’est par les yeux, le regard que l’on communique sans parole, si le lecteur est troublé à son tour c’est que mon dessin a été au-delà de mes attentes ! (rires)
Enfin, travaillez-vous sur d'autres projets en ce moment? ou vous laissez-vous un peu de temps pour vous occuper de votre (vos) petite(s) fée(s) à vous?
Mes petites fées sont en effet au cœur de mes journées, cela dit je travaille en effet sur deux nouveaux projets dont un que j’élabore depuis plus de dix ans et qui prend enfin corps. Par ailleurs j’ai ouvert un studio privé de tatouage, mon univers graphique et le symbolisme que j’intègre à mes images plait beaucoup aux personnes que je tatoue.
Les Fées de Cottingley
Editions : Soleil
Collection : Métamorphose
Auteurs : Sébastien Pérez & Sophie de La Villefromoit
Prix : 22,95€
Parution : 16 juin 2016