«3 minutes pour comprendre 50 moments-clés de l’histoire de la bande dessinée » de Benoît Peeters : vive le 9ème Art !
- Écrit par : Serge Bressan
Par Serge Bressan - Lagrandeparade.com / Un sacré défi. Présenter plus de deux siècles d’une histoire en cinquante moments-clés. Un défi qu’avec aisance, enthousiasme et érudition, relève Benoît Peeters. A 65 ans, il est l’un des plus brillants connaisseurs de cette Bande Dessinée qu’on présente comme le 9ème Art. Un art à l’égal de la littérature, du cinéma ou encore de l’opéra… Avec « 3 minutes pour comprendre 50 moments-clés de l’histoire de la bande dessinée », l’auteur ne prétend pas à l’exhaustivité sur le sujet. Il a fait des choix subjectifs- et il assume. Son livre est décliné en six chapitres : les précurseurs ; l’âge d’or américain ; la BD belge ; vers l’âge adulte ; le monde des manges ; l’ascension du roman graphique ; la bande dessinée aujourd’hui. Egalement scénariste de BD (dont, avec son complice François Schuiten, la série « Les Cités obscures ») et écrivain, Benoît Peeters précise, en introduction, que « ce livre cherche à faire découvrir la richesse du neuvième art et quelques grands moments de son histoire ». A la veille du 49ème Festival international de la bande dessinée à Angoulême (17- 20 mars 2022), rencontre avec un auteur qui, prochainement, publiera la première biographie de l’écrivain Alain Robbe-Grillet, un des maîtres du Nouveau Roman.
Trois minutes, est-ce vraiment suffisant pour comprendre un des cinquante moments-clés de la Bande Dessinée ?
C’est le cahier des charges de la collection dans lequel est publié 3 minutes pour comprendre 50 moments-clés de la Bande Dessinée. Je me devais de m’y tenir… Alors, j’ai voulu, du moins j’ai tenté, vu la richesse de production dans ce domaine, de rédiger un livre rigoureux, attrayant et accessible. Un livre qui donne des repères. Parce qu’on est tous liés à la BD avec laquelle on a grandi, j’ai souhaité proposer des ouvertures à d’autres aspects…
Inévitablement, il vous a fallu établir des priorités…
Evidemment ! Bien sûr, il y a Hergé ou encore « Blake et Mortimer ». Mais c’est un livre subjectif, j’y évoque la féminisation de la BD ces dernières années… Un auteur américain ou japonais, c’est sûr, ne ferait pas les mêmes choix que moi.
A quel âge avez-vous contracté le « virus » de la BD ?
Enfant, chez mes parents, comme j’étais un grand lecteur de « vrais livres » comme on disait à l’époque, ils me laissaient lire des BD. On me fichait la paix. Et puis, à 12 ans au collège à Bruxelles, j’ai rencontré François Schuiten. Lui, il était déjà fou de BD, il en avait un grand nombre chez lui. Gamins au lycée, nous avons créé notre journal- il s’appelait « Go ». Dans les années 1960, la BD était très présente en Belgique, elle faisait partie de notre univers. François avait acheté, en 1969, la réédition de « Little Nemo » que Winsor McCay avait publié initialement en 1911… On avait aussi le journal « Pilote », avec Astérix, Blueberry, les premiers dessins de Claire Bretecher… Je peux dire que j’ai accompagné l’évolution de la BD.
Quel a été votre premier choc, en tant que lecteur de BD ?
« Tintin au Tibet »… je l’ai eu dans les mains avant même de savoir lire ! Il y avait des pages qui me faisaient peur mais que je revenais voir- comme l’apparition du yéti ! C’était un rapport ambigu avec cet album- entre peur et fascination. J’y revenais sans cesse, je le connaissais par cœur. C’est bien le modèle d’une œuvre qui peut parler aux différents âges de la vie des lectrices et lecteurs.
Plus tard, jeune homme, vous avez rencontré Hergé…
J’étais jeune étudiant à Paris et passionné par l’œuvre d’Hergé. Pour la revue « Minuit », j’ai proposé une interview du créateur de Tintin. Le sujet a été retenu, et me voilà parti en stop de Paris vers Bruxelles pour rencontrer Hergé. Il nous a reçus très simplement, il avait alors 70 ans, il dégageait l’image d’un homme jeune et faisait preuve d’une grande ouverture d’esprit. Lors de notre rencontre, on l’a aussi interrogé sur la partie sombre de sa vie durant la Deuxième Guerre mondiale. Mais nous n’étions pas là pour le charger. Nous appliquions seulement la méthode de Maigret, le commissaire créé par un autre Belge- Georges Simenon : « Comprendre et non pas juger »…
Peut-on dater la naissance de la Bande Dessinée ? Certains évoquent les parois de la grotte de Lascaux, d’autres la colonne Trajane, construite de 107 à 113 sur le Forum de Rome et dont le bas-relief qui s'enroule en spirale autour de son fût commémore la victoire de l'empereur Trajan sur les Daces…
Il y a une certitude : la BD est liée à l’imprimé. Et on s’accorde à dater sa naissance avec les premiers livres du Suisse Rodolphe Töpffer (1799- 1860). On peut considérer l’acte de naissance de la BD en 1833 avec la parution d’ « Histoire de M. Jabot ». Töpffer a ainsi consacré une forme neuve d’expression et réussi une synthèse dynamique. Cette première BD a même été encensée par Goethe qui est bien le premier critique de BD de l’histoire !
Qu’est-ce une bonne BD ?
Elle est bonne quand tous les éléments sont rassemblés pour qu’elle soit d’une forme dynamique et organique. La BD, c’est la liberté. C’est bien la raison pour laquelle toutes les dictatures n’ont jamais aimé, n’aiment pas et n’aimeront jamais la BD…
A l’automne 2020 au Collège de France à Paris, vous avez inauguré une série de conférences sur la Bande Dessinée. Dans ce lieu de haute culture, ce fut une grande première…
J’ai eu cette chance, oui… et j’y ai été accueilli avec bienveillance. C’était aussi et surtout la confirmation que la Bande Dessinée est un moyen d’expression à part entière.
3 minutes pour comprendre 50 moments-clés de l’histoire de la bande dessinée
Auteur : Benoît Peeters
Editions : Le Courrier du Livre
Parution : 10 février 2022
Prix : 21 €
Extrait
« Le 10 janvier 1929, Tintin apparaît pour la première fois dans les pages du « Petit Vingtième »- le supplément pour la jeunesse d’un quotidien belge catholique et ultraconservateur, « Le Vingtième siècle ». A la demande de son patron, l’abbé Wallez, Hergé envoie son petit reporter au pays des soviets, pour dénoncer les méfaits du bolchevisme. Le dessin des premières pages est sommaire, le scénario, à peu près inexistant. Très vite, « Les Aventures de Tintin » sont reprises dans l’hebdomadaire français « Cœurs vaillants », tout aussi catholique.
La série évolue fortement dès le milieu des années 1930. Le dessin gagne en élégance tout en restant immédiatement lisible. Les scénarios deviennent plus complexes, sans perdre leur fantaisie et leur drôlerie… »
Portraits B Peeters (crédit Photo : Térèze Wysocki)