Alexis Saint-Georges : un apprenti-chevalier de la bulle adoubé au concours Jeunes Talents 2018 d'Angoulême
- Écrit par : Julie Cadilhac
Par Julie Cadilhac - Lagrandeparade.fr/ Le 8 décembre 2018, le Jury Jeunes Talents se réunissait pour examiner 460 dossiers afin d’élire les 20 Jeunes Talents du Festival de la Bande Dessinée d'Angoulême 2018. Alexis Saint-Georges est de cette promotion-là. Au Pavillon Jeunes Talents étaient exposées ses planches intitulées "Une histoire de coeurs"(Ici le lien) qui narre les désillusions sentimentales d'un chevalier vaillant. Présenté sous la forme d'un jeu-vidéo dans lequel le héros dispose d'un quota limité de coeurs-vie, le scénario dépeint l'insoutenable légèreté de l'être et l'éphémérité des passions; les jeunes femmes qui fondent d'admiration pour le chevalier courtois l'étreignent, prennent des selfies en sa compagnie puis l'abandonnent au premier nouveau héros qui passe.
Métaphore d'une société de consommation qui a fait de l'amour un nouvel objet de marchandisation? Constat affligé de la surenchère permanente dans laquelle l'humain se sent emporté? Empreinte de poésie et de sensibilité, mais aussi d'humour et d'intelligence, cette histoire séduit par sa capacité à évoquer des thèmes de société contemporain au travers d'une forme simple au graphisme frais et naïf. Curiosité forcément d'aller découvrir la suite de son travail qui nous a séduits. La Grande Parade a donc soumis à la question Alexis Saint-Georges (en espérant qu'il ne nous tiendra pas rigueur de la torture imposée aux méninges que nécessite l'exercice...) et lui souhaite un parcours enthousiasmant dans le monde du neuvième art!
Et si d’abord vous nous parliez de votre parcours?
Alors, mon parcours...j'ai commencé mes études très loin du milieu artistique. J'ai fait un bac S pour ensuite embrayer sur un DUT Mesures Physiques à Bordeaux. Comme ça ne se passait pas trop mal, j'ai continué sur une licence en Chimie, toujours à Bordeaux. Je suis ensuite parti à Toulouse pour faire un Master en Sciences des matériaux. Après une période post-école un peu dure, à coup de recherches de boulot infructueuses, et une semi-dépression, je me suis résigné à bosser quelques mois à Macdo (avec un bac +5, la grande joie!). C'est presque un an après la fin de mon master que j'ai commencé un doctorat, à cheval entre Bordeaux et Barcelone, sur les matériaux pour batteries. Après un an de thèse, j'ai finalement décidé de tout lâcher pour partir en Belgique faire l’École Supérieur des Arts de St-Luc ( à Liège).
Qu’est-ce qui a motivé votre vocation pour l’illustration et la bande-dessinée?
Un peu comme tout le monde je dirais, je suis tombé dedans étant petit. Je lisais beaucoup de BD, je dessinais beaucoup, et j'ai toujours été attiré pour le visuel des choses. Mais plus que tout, j'ai toujours été passionné d'histoires. Un des premiers métiers que je voulais faire, en considérant le fait que dessiner n'était pas un métier (ce que me répétait mes parents!), c'était archéologue (je voulais plutôt être Indiana Jones, j'avoue). J'étais attiré par l'idée de trouver un objet par exemple, et de m'imaginer qui avait pu le toucher, l'utiliser. Que s'était-il passé autour de cet objet, pourquoi, comment. Bref, j'étais attiré par le fait de raconter une histoire. Anecdote drôle d'ailleurs, je me souviens d'un intervenant au lycée qui nous avait demandé ce que nous voulions faire plus tard. J'avais levé la main en rétorquant: Archéologue! Ce à quoi il m'avait répondu : "C'est bien ça, mais il faudra bien compter 8 ans d'études après le bac!". Je m'étais alors dit : "Ok, c'est mort"...et je suis finalement allé jusqu'à la thèse! La vie est drôle parfois. Enfin bref, la BD est le summum de toutes ces envies je crois. Il faut être curieux, se documenter, aimer dessiner et raconter des histoires. C'est une passion, tout simplement.
Si vous deviez citer des auteurs ou des univers qui vous inspirent, lesquels seraient-ce?
Il y en a énormément. La plupart sont liés à des périodes de ma vie aussi. J'ai commencé tout petit avec "Dragon Ball" de Toriyama (ma première grande claque) et "Lucky Luke" de Morris (les premiers tomes, qui n'ont rien à voir avec les nouveaux). Astérix bien sur aussi, pas mal de mangas comme "Naruto ou l'Attaque des Titans" (celui-là est une autre claque). Ces dernières années, je lis vraiment de tout, de la franco-belge aux comics en passant par de la bd indé ou du manga. J'essaie d'être vraiment ouvert à tout. Ces derniers temps, je lis beaucoup de Gipi, comme "Notes pour une histoire de guerre". Il est très énervant d'ailleurs ce Gipi, il est beaucoup trop fort !
Comment s’est déroulée votre épopée « Jeunes Talents »? Quelles opportunités cette récompense vous a-t-elle apportées? Comment avez-vous vécu cette Angoulême 2018?
Cela s'est très bien déroulé, on a été très bien accueilli, et très bien pris en charge par les organisateurs du festival. Le pavillon Jeunes Talents était d'ailleurs vraiment cool. C'était mon tout premier festival, et c'était sympa. J'ai été étonné du monde présent, et de la taille de l'évènement. Bon le truc, c'est que je suis vraiment arrivé les mains dans les poches, et un peu à l'arrache. Du coup, j'ai passé beaucoup de temps à marcher pour finalement ne pas voir grand chose, mais ça reste une excellente expérience. Pour les opportunités, je ne sais pas encore, l'avenir nous le dira. Mais être présent et exposé au festival est indubitablement un plus. Ça veut dire que des gens voient ton travail, et lisent ton nom. Et je suppose que c'est comme ça qu'on commence à exister.
On est allé se promener sur votre profil Behance et…dans votre «Prologue-Le Paradigme », tout semble partir d’une chanson… Est-ce votre manière de construire vos scénarios? Choisir un thème et tisser autour?
Hum, ça dépend véritablement du projet. Sur certains, j'ai l'idée d'un personnage, et de l'univers dans lequel il évolue. J'ai ensuite l'idée des thématiques générales que je veux aborder, et dans quel registre je veux voir l'histoire. Pour d'autres projets comme le Paradigme, je commence par la thématique générale. J'écris des scènes, avec des personnages encore non identifiés. Puis l'histoire se construit au fur et à mesure, et les personnages gagnent en définition, un peu par eux-même. Ici, j'avais vraiment envie d'écrire sur les relations humaines, faire un travail intimiste, un peu personnel. Les personnages ont ensuite pris naturellement leur place.
On y retrouve la question du chevalier et la princesse, thème que vous avez décliné dans les planches qui vous ont valu d’être sélectionné pour les « Jeunes Talents 2018 » d’Angoulême. Un hasard? ou Alexis Saint-Georges a l’âme chevaleresque et romantique?
Non ce n'est pas un hasard. C'est une thématique qui me parle beaucoup, ou qui parle plutôt beaucoup à l'enfant qui est en moi. On dit d'ailleurs souvent que l'on écrit pour l'enfant qu'on était. Il y a un peu de ça je crois, non ? Je sais en tout cas que c'est une thématique qui me touche parce qu’elle est particulièrement opposée à notre société moderne, qui carbure à coup d'applications de rencontres et de coups d'un soir. Et ceci malgré le fait que cet imaginaire "romantique" est présent partout, dans les séries ou au cinéma. Y'a un truc qui me chiffonne dans tout ça, je ne sais pas trop. De là à dire que j'ai l'âme chevaleresque et romantique, je n'irais pas jusque là. Je l'ai pensé un temps, je ne sais plus trop maintenant.
La plage semble être un lieu qui vous inspire…dans « Aigo », l’épisode heureux se déroule en bord de mer...est-ce un hasard aussi?
Non ce n'est pas un hasard non plus. La plage est pour moi un lieu rempli de bonheur. Il est synonyme d'été, d'insouciance, de rire et de ciel bleu à perte de vue. J'ai longtemps habité proche de l'océan, aussi, c'est un lieu qui m'est très familier et j'ai un rapport particulier avec lui.
« Aigo » narre l’histoire d’un jeune garçon qui refuse de grandir…Comment est née l’idée de cette histoire fort sombre?
L'histoire d'Aigo est assez ancienne, et a beaucoup changé. À la base, je voulais partir sur une histoire de vengeance, un truc très classique et simple, histoire de m'entraîner dans la narration. Puis le projet a été un peu mis de coté, et je l'ai repris dans le contexte de l'école d'art. Avec le temps et mes lectures, l'inspiration a un peu changé. Je suis parti sur des histoires d'enfants, qui affrontent le monde réel ("Amer Béton" de Taiyō Matsumoto y est pour quelque chose ). L'univers lui, est resté le même, et a même gagné un peu en profondeur dans toute la phase de recherche du projet. Après je ne suis pas très satisfait de la fin. Je l'avais envoyé pour un concours avec une restriction de 20 pages, et je me suis retrouvé un peu à boucler le tout en quelques pages à la fin, ayant pris trop de temps au début. Quand au coté sombre, j'aime ça je crois, les histoires sombres, qui ne font pas fioritures avec la dureté du monde.
Quels outils et matériaux utilisez-vous pour dessiner?
J'essaie de ne pas me fermer, aussi, j'aime à changer d'outils et essayer de nouvelles choses. Néanmoins, la plume et l'encre de chine restent mes outils de prédilections.
Parlons de Captain Guili ( et son acolyte Miss Chatouille), qui cherche à être le héros qui combat la morosité ambiante et s’avère le maître des mauvaises blagues, comment est-il né?
Dans la fatigue. C'est un projet fait pour les 24h de la BD en 2017 si je me souviens bien. 24 planches en 24h, sans dormir. La thématique donnée par Lewis Trondheim était "les supers-héros rigolos" je crois, ou un truc comme ça. C'est parti de là. Au début, j'ai essayé d'écrire un scénario construit, de me prendre un peu la tête. Puis arrivé vers minuit, je me suis dit "Allez, on s'en fout", et je suis parti en écrivant case par case, sans avoir aucune idée de la suite. Je me suis laissé aller, et c'était vraiment super intéressant. De se dire juste "on verra" et de voir où ça mène...
On dit qu’aujourd’hui la bd d’humour se vend mal, qu’elle doit se renouveler... Quels sont, selon vous, les ingrédients nécessaires pour faire rire en bd?
Bonne question, je ne sais pas trop. La bd d'humour n'est pas vraiment mon domaine de prédilection. Avec Captain Guilli, j'ai essayé de taper dans l'absurde, et de l'associer à un graphisme un peu simpliste mais rigolo. Je pense que le graphisme joue beaucoup. En tout cas, ça m'arrive souvent de rigoler tout seul devant un petit personnage que je viens de dessiner comme Captain Guilli (je les appelle les bouboules). Bon bien sûr, c'est moi qui les dessine, donc heureusement que ça me fait rire
!
Enfin, on a pu voir que vous faîtes également de la recherche de personnages…dans l’idée de faire de l’animation?
L'animation ça serait top, mais je n'ai pas le niveau pour ça. C'est plus pour de la création de personnages, type concept art, dans l'optique de travailler, par exemple, dans le jeu-vidéo. On se rapproche pas mal de la bd en faisant ça, puisqu'il faut inventer des personnages, et ça passe par de la documentation et de la recherche. On verra bien!
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