Perrine Rouillon : " Le hasard se glisse dans la main."
- Écrit par : Julie Cadilhac
Par Julie Cadilhac - Lagrandeparade.fr/ Après une enfance en itinérance entre ottawa, Rabat, Paris, Athènes et un adolescence dans la Grosse Pomme, Perrine Rouillon a fait des études de cinéma puis a publié son premier livre, "La petite personne", en 1994, chez 813 éditions. Ce petit gribouillis aussi attachant que spirituel a ensuite cotoyé pour de nombreux tomes les éditions du Seuil et aujourd'hui "Moi et les autres petites personnes on voudrait savoir pourquoi on n'est pas dans le livre" est accueilli par les Editions Thierry Marchaisse.
La petite personne est un idéogramme sensible dont les humeurs et les aspirations s'expriment dans un dialogue comico-métaphysique avec sa démiurge. C'est littéralement un livre à aimer et à partager : poétique et espiègle, il offre des heures de lecture joyeuse où l'imagination se met en marche. Stimulant et bougrement intelligent.
Nous sommes donc ravis de recevoir Perrine Rouillon qui nous (vous) offre une interview passionnante!
La Petite Personne est née en 1994, c'est bien ça ? Ou un peu avant on imagine…Comment est-elle entrée dans votre vie ? Par le hasard d'un grabouillage heureux ou par nécessité ?
La Petite Personne est née dans mon écriture d'une ponctuation inventée, en forme de spirale, que je traçais pour revenir à moi quand j'étais dans une impasse, que je ne trouvais pas les mots (nécéssité donc). J'appelais ça un point de recentrement. Une petite ligne enroulée sur elle-même qui, nourrie de tout ce que je n'arrivais pas à dire, s'est mué en personnage mi-écrit mi-dessiné, sorte d'idéogramme du moi, avec lequel un dialogue intime s'est noué.
Le hasard, lui, se glisse dans la main. Comme la Petite Personne est dessinée toute petite, un centimètre et demi à peine, le moindre accident de la ligne joue sur l'expression. Je ne sais jamais ce qu'elle va dire, quelle tête elle va faire. C'est comme ça qu'elle peut être une véritable autre qui m'émeut, me surprend, m'épate…
[bt_quote style="default" width="0"]Comme la Petite Personne est dessinée toute petite, un centimètre et demie à peine, le moindre accident de la ligne joue sur l'expression. Je ne sais jamais ce qu'elle va dire, quelle tête elle va faire. C'est comme ça qu'elle peut être une véritable autre qui m'émeut, me surprend, m'épate… [/bt_quote]
Pourriez-vous nous parler de votre parcours ? Qu'est-ce qui fait que Perrine Rouillon est bien Perrine Rouillon et pas une autre ?
Trop long… J'ai un bout d'âge. Peux pas tout raconter. Les pays étrangers, les sept sœurs, le cinéma, l'amour, la Petite Personne et voilà . Finalement c'est très court. Ou alors je peux dire ça : ce qui fait que je suis moi et pas une autre c'est que mon image de moi, celle qu'on m'avait attribuée depuis toujours et que j'avais endossée, s'est transformée à partir du moment où j'ai créé la Petite Personne. Je me voyais comme quelqu'un de réfléchi, un peu distant, cérébral, esthète et, après mon premier livre, j'ai découvert que j'étais une sorte de clown, fragile, despote, comique, et tendre...
Ce dialogue avec la Petite Personne c'est une manière de parler avec soi-même ? Pour échanger avec soi-même quoi de mieux qu'un transfert sur une autre ?
Quoi de mieux que quelque chose de soi qui prend vie sur la page et devient un autre. Et qu'alors on peut aimer, et avec lequel on peut parler ? Sauf que c'est un dialogue entre deux personnages qui ne sont pas de la même espèce. L'une est une écriture et l'autre un dessin. L'une ne pense qu'à s'embarquer dans une histoire ou une pensée, l'autre qu'à être sur la page.
Vous êtes "l'instance narrante ", démiurge qui en découd avec son personnage… qui n'en finit pas de vous remettre en question. Epuisant, non ? Les séances de travails doivent être éprouvantes ! (Sourire)
Oui, parce que tant qu'une page n'est pas bonne elle n'est rien. Il n'y a rien pour la racheter, ni "beau dessin", ni "belle histoire", aucune maîtrise apparente. Ça marche ou ça ne marche pas. Et quand on crée quelque chose et que ça ne prend pas, que la vie ne prend pas, c'est comme si on créait de la mort, même pas : du cadavre. Ça m'arrive d'avoir des gouttes de sueur de honte.
Cette écriture dessinée, comme je l'appelle, tient à un fil. C'est un travail de funambule que fait la Petite Personne, traversant la page pas à pas, mot à mot, pose à pose. Sans case ni bulle. Sans décors. C'est le regard du lecteur qui la tient. Comme pour le funambule, le lecteur n'ose pas la lâcher…
[bt_quote style="default" width="0"]Tant qu'une page n'est pas bonne elle n'est rien. Il n'y a rien pour la racheter, ni "beau dessin", ni "belle histoire", aucune maîtrise apparente. Ça marche ou ça ne marche pas. Et quand on crée quelque chose et que ça ne prend pas, que la vie ne prend pas, c'est comme si on créait de la mort, même pas : du cadavre.[/bt_quote]
Vous jouez en effet aussi sur la question du dessin et de l'écriture. Comment vous vient l'idée de chacun de ces moments d'échange ? Le dessin précède-t-il l'idée ou c'est le contraire ?
Je dessine à partir d'une idée, d'un sentiment, d'une phrase. Et parmi mes dessins, tout à coup, il y en a un, une petite personne, qui me fait sourire. Qui existe. Et là c'est fichu : quelle que soit son expression et même si elle ne correspond pas du tout à la phrase qu'elle est censée dire, elle sera dans le livre. Quitte à ce que toute l'histoire prenne une autre direction. Et à partir de là ça s'inverse, le dessin est premier et il faut trouver sa phrase.
Vous jouez aussi avec les pages. La plupart des versos sont vierges par exemple mais pas tous… Pour ce genre d'ouvrage qui nécessite une grande liberté, je suppose qu'il vous a fallu trouver un éditeur avec lequel vous partagiez le même goût pour les livres dont la matière (le papier) est aussi un cheminement (pas seulement le texte ou le dessin)…
C'est lui qui m'a trouvée. Je ne voulais pas penser éditeur (je savais seulement que je ne voulais plus être au Seuil), j'avais retrouvé le plaisir de dessiner la Petite Personne après un arrêt de presque dix ans et je voulais rester à l'intérieur de mon livre (j'avais eu tellement de mal à y entrer !). " Mais ça a raté " comme dit la chanson, j'ai signé et je suis bien contente parce que j'adore le livre. Le papier, la couverture, le format, l'épaisseur, le fait qu'il soit cousu… Et bien sûr les pages blanches pour laisser résonner. Parce que c'est plus dense que ça n'en a l'air, ce travail. Ça demande beaucoup au lecteur (comme la poésie, qui elle aussi a besoin de blanc). Et c'est ce que j'aime : m'adresser à des gens là où ils sont le plus subtils, créatifs, imaginatifs, intelligents, intuitifs. C'est ce qui rend ce travail heureux, cette confiance totale dans les lecteurs.
[bt_quote style="default" width="0"]C'est ce qui rend ce travail heureux, cette confiance totale dans les lecteurs. [/bt_quote]
Votre dessin est à la fois minimaliste et drôle, philosophique et décalé. Avez-vous des "modèles" en la matière ? Cette Petite Personne a-t-elle des "prédécesseurs" ?
Je n'ai jamais dessiné. Je voulais être écrivain à quinze ans, puis j'ai fait l'Idhec parce que je me disais que l'écriture contemporaine était le cinéma. Mais n'ai jamais pensé faire de la bande dessinée ou du dessin. Donc je n'ai jamais eu de modèle. La Petite Personne est née dans mon écriture, comme si mon style s'était détaché de mon écriture pour devenir un personnage autonome. Au début elle était chauve, muette, encore plus petite et toute raide (à côté celle-là c'est Walt Disney !). Une sorte de représentation intérieure du moi, comme en faisaient les femmes ou les hommes préhistoriques.
Mais j'adore et j'ai été nourrie par Goetlib, Copi, Reiser, Luz, David Shrigley. Mondrian. Montaigne. Francis Ponge. Arno Schmidt. Virginia Woolf. John Ford, Keaton…
Sur la quatrième de couverture on lit un commentaire heureux de Charlie Hebdo qui parle de schizo-philosophie. Une définition qui vous séduit ?
J'aime beaucoup le petit article dans son ensemble (de Jean-Pierre de Lipowski) : rythme, liberté, invention, légèreté… Je ne suis pas sûre que le concept de skizo-philosophie soit vraiment une définition de mon travail mais c'est juste. C'est une manière de dire que c'est philosophique et comique. Genre : "ma tête parle à ma main".
Enfin dans ce tome s'invitent le Prince des Ténèbres (et l'Amoureux), la Mort et toutes les petites personnes qui ont été jetées à la poubelle… Pourrait-on voir dans votre travail une approche psychanalytique ?
Les petites personnes jetées à la poubelles, pour moi, sont plutôt politiques. C'est la première fois qu'il y a une communauté de petites personnes. Qui revendiquent en plus. Ça prouve qu'elles ont vraiment pris leur autonomie dans ce livre. Et là on rejoint peut-être la psychanalyse : qui a pris son autonomie par rapport à qui, puisque tout se passe à l'intérieur de la même personne ? Le moi par rapport au surmoi ? La créature par rapport au créateur (là ce serait plutôt la métaphysique) ?
Pour tout vous avouer, à l'écrit, je me perds très vite dans l'abstraction. D'ailleurs c'est contre l'abstraction, contre le pouvoir désintégrateur des idées qu'a germé la Petite Personne. A une époque, " il y a bien longtemps de cela ", je me levais chaque matin avec une idée géniale sur le monde, la vie, la mort, l'amour… Mais dès que j’essayais de la formuler elle éclatait comme une bulle de savon et je passais en un instant de la toute puissance et de l'exaltation au néant. Et le lendemain ça recommençait. Jusqu’à ce qu’à force de passer du Tout au Rien et du Rien au Tout, sur le chemin se dépose un petit quelque chose… Une sorte de petit grumeau (la Petite personne préfère gru-mot) de matière psychique, insoluble et dans la mégalomanie et dans le néant.
Moi et les autres Petites Personnes on voudrait savoir pourquoi on n'est pas dans le livre

Auteur : Perrine Rouillon

Editions : Thierry Marchaisse

Parution : 6 octobre 2016

Prix : 19€

Dates des rencontres avec l'auteur:
- Au salon Alfort'livres, Librairie L'Établi, Alfortville, 11h-13h, le Dimanche 4 Décembre 2016
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