Temudjin : les secrets des démiurges d'une épopée mongole fantastique
- Écrit par : Julie Cadilhac
Par Julie Cadilhac - Lagrandeparade.fr/ Temudjin est un enfant exceptionnel ; c’est pour cela que le chaman Ozbeg était présent lors de sa naissance et a recueilli le nourrisson dont la mère meurt à la délivrance. Des signes indéniables prouvent que ce nouveau-né a le soutien des esprits et qu’il accomplira de grandes choses pour le peuple mongol. Le premier tome 1 narre la quête initiatique d'un jeune héros qui doit porter avec intelligence et courage un destin qu’il n’a pas choisi. Le deuxième tome le plonge dans la nécessité de l’action au sortir d’une transe méditationnelle qui a duré plusieurs mois; devenu un homme, il doit montrer qu’il a bien hérité de l’étoffe guerrière et politique de Gengis Khan et qu’il saura mettre à mal le Général Blanc. Temudjin cependant s’interroge : en menant son peuple se battre, ne va-t-il pas agir ensuite comme un tyran?
Entre spiritualité et épopée fantastique, ce diptyque est fascinant de bout en bout. Antoine Onazam et Antoine Carrion réussissent à créer un univers aussi singulier qu’envoûtant où l’on côtoie avec un plaisir éternellement renouvelé la merveilleuse Ayami aux courbes sensuellement hypnotiques, le sage Ozbeg aux récits ancestraux passionnants et tant d’autres personnages empreints d’une poésie originelle admirable. L’envie qu’ils nous confient quelques secrets à propos de la genèse de ce récit et éclairent davantage encore notre lecture était si forte….qu’on les reçoit ici pour vous ! Tedmudjin? un incontournable de votre bdthèque assurément!
Antoine Ozanam : scénariste
Comment est née l'histoire de Temudjin?
A la fin de notre précédent album, Antoine m'a parlé de son désir de travailler sur La Mongolie. Comme je potassais déjà le sujet pour un autre projet (Klaw T4), c'est allé assez vite. 

Vous êtes-vous particulièrement documenté à propos des pratiques du chamanisme? ou sur les traditions ancestrales du peuple mongol?
Oui, c'est le but pour chaque histoire : apprendre ! Du coup, je me suis mis en relation avec un vrai chaman vivant en Russie... Et j'ai fouillé tout ce que j'ai pu sur les contes et légendes mongols.
L'esprit de l'arbre, l'Ayami, celle qui apprend à chamaniser, est un personnage fascinant...d'autant plus qu'elle n'existe que dans la tête de Temudjin...ce personnage est-il né du besoin immédiat d'insérer une présence féminine forte dans le scénario, qui viendrait ensuite se mettre en opposition avec la femme bien réelle que le héros rencontre dans le tome 2?
C'est lors d'une recherche sur les pratiques chamaniques que je suis tombé sur "l'esprit de l'arbre". elle est tout de suite devenue une évidence. Elle est à la fois celle qui va lui apprendre à devenir un vrai chaman mais aussi une sorte de version idéale et fantasmée de la femme. C'est pour cette raison que j'ai voulu que Temudjin s'en sépare. Il aspire à être un terrien. Même si la femme réelle va avoir plus de défauts. Mais oui, j'avais vraiment envie qu'il y ait des personnages féminins qui ne soient pas là que pour passer les plats.
Vous avez créé trois superbes rôles de femmes: la mère de Temudjin, l'esprit de l'arbre et Yésugén. Elles symbolisent le courage, l'équilibre et la transmission, c'est bien ça?
Haha. J'avoue que je l'ai fait de façon beaucoup plus instinctive que ça. Mais ça me va plutôt bien. En fait, si on regarde bien, chaque personnage féminin est assez volontaire. Elles savent ce qu'elles veulent. Alors que Temudjin hésite beaucoup. Il n'ose pas. Il a peur...
Le personnage d'Ozbeg est aussi particulièrement attachant : ses histoires créent une mise en abime pertinente à l'intérieur du scénario. Lui aussi s'est imposé immédiatement comme un pilier indispensable à l'équilibre de l'enfant initié. Comment s'est il imposé à vous?
J'avais envie de parler du lien filial que l'on peut avoir avec des enfants qui ne sont pas forcément les nôtres. Les gens qui vous font grandir sans être vos parents. Au début du projet, je savais qu'il y aurait des récits mongols. Ces petits contes expliquent pas mal la philosophie mongole. Du coup, le personnage du père de substitution s'est créé naturellement.
Dans le tome 1, un village, dans la province d'Hovsgol, a un problème avec ses morts qui refusent de mourir ou de partir...un incident que vous avez inventé de toutes pièces ou que l'on trouve dans les légendes mongoles?
Non, ça, ce sont mes angoisses personnelles. Tout comme le sort qui permet de réouvrir toutes les anciennes plaies dans le tome 2. Pour les morts qui refusent de laisser leur place, c'est aussi un clin d'oeil à Antoine Volodine (mais il n'y a que moi pour le voir).
Pourrait-il y avoir un troisième tome de Tedmudjin, même si le héros a accepté de renoncer à ses pouvoirs chamaniques?
Tout à fait. Lorsque j'ai écrit le tome 1, je pensais qu'il n'y aurait qu'un seul tome. Mais j'avais laissé une ouverture dans le cahier graphique à la fin de l'album. Certains éléments ont été repris dans le tome 2. Du coup, en terminant le tome 2, j'ai repris cette ouverture sur un avenir possible. Je vois d'ailleurs très bien ce que je pourrais en faire. Maintenant qu'il a trouvé sa propre vie, il va devoir vivre sa vie d'homme. Il va devenir le passeur puisqu'il a un enfant. Prendre la place d'Ozbeg...
Travailler avec Antoine Carrion a été tout de suite une évidence? Si oui, pourquoi? Qu'est-ce qui vous a le plus séduit dans son adaptation graphique de votre histoire?
Cette histoire a été écrite pour lui. chaque page a été pensée en pensant à son dessin. Comme nous avons fait plusieurs albums ensemble, je sais exactement ce dont Antoine est capable. Mais il arrive tout de même à me surprendre. Le cahier graphique à la fin du tome 2 m'a mis une claque.
Les deux tomes débutent par une séquence très différente. La première bascule le lecteur dans un univers mystérieux de rites et de croyances ancestrales. La deuxième est une conversation, une parenthèse intemporelle entre deux personnages majeurs du premier tome. Pourquoi ressentiez-vous la nécessité de ces deux séquences? Était-ce comme une sorte de passage nécessaire avant de pénétrer dans le récit?
Ce qui est bien quand on ne sait pas si on va faire un tome 2, c'est que l'on ne pense pas à formater ce que l'on raconte et comment on le raconte. Le tome 1 devait expliquer la naissance de Temudjin. Le tome 2 devait un peu permettre de résumer l'état d'esprit du personnage à la fin du tome 1. Et, j'avoue, j'aime les prologues. C'est quelque chose que l'on fait rarement en bande dessinée. D'où l'idée de mettre la page titre après la première séquence.
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Antoine Carrion : Dessins et couleurs
Avec quels outils et matières avez- vous travaillé sur les deux tomes de Temudjin?
Temudjin était la première BD que je travaillais entièrement en numérique. Avant sous Photoshop, je suis passé depuis juillet à Affinity Photo.
Avez-vous des mentors en matière d'illustration? Leurs univers vous ont-ils inspiré de près ou de loin pour dessiner ce récit fantastique?
J'ai beaucoup de maîtres, principalement Milo Manara, Katsuhiro Otomo et Sergio Toppi. Je ne pense pas que l'on évoque ces noms en voyant mes planches, mais j'ai essayé, à mon niveau, de faire un clin d'œil à Sergio Toppi sur une ou deux planches. Quand j'aborde des couvertures ou des illustrations, on pourrait distinguer un peu mieux le coté sexuel de Manara, les ingrédients punk et irrévérencieux d'Otomo et le rendu graphique global qui s'avoisinerait à un dessin de Terada. Je ne dis pas du tout que je me frotte à eux, disons que lorsque j'attaque un dessin et que j'ai un blanc, je me tourne vers ce genre de références et imagine ce qu'ils apporteraient à une pose, ou la manière dont ils traiteraient un thème pour le rendre original.
Quel personnage avez-vous eu le plus de plaisir à concevoir?
Le loup certainement, je pouvais l'imaginer sous un tas de formes et je me suis amusé à le modifier de case en case, il me le permettait vu son rôle symbolique.
Vos personnages ont des teintes de peaux variées et atypiques...souvent qui oscillent entre le vert et le bleu . Une raison particulière à cela?
Je suis un fan des Schtroumpfs. Généralement, ça ne fait pas rire la personne en face, alors j'explique que le bleu est une couleur facile à travailler, c'est aussi un indice sur l'univers abordé. Sans connaitre l'histoire on imagine déjà que ça ne parlera pas d'un ouvrier qui va perdre sa place dans une usine de pneus située dans la Creuse. Bizarrement on ne m’a que très rarement posé la question.
Qu'est-ce qui vous a séduit dans ce projet scénaristique? Les possibilités graphiques multiples qu'autorise un récit qui évoque la magie, les légendes ancestrales et offre des parenthèses amoureuses autant que des scènes épiques de bataille?
Ce qui est confortable avec Antoine, c'est la possibilité de partager des envies. Il sait que je n'aime pas les scénarios trop écrits, trop détaillés. Si je ne m'approprie pas un peu l’univers, j'ai l'impression de n'être qu’un exécutant réalisant la BD d'un scénariste. Le luxe, c'est de créer celle dont on a envie, pas d'être payé pour exécuter la bande dessinée de quelqu'un. Ici, Temudjin est dans le doute permanent, les batailles se devaient donc - pour moi - d'être au second plan ; et le texte d'Antoine laissait la part belle à cette remise en question permanente entre un destin tout tracé et la liberté des choix individuels. La bataille à proprement parler n'est pas visible, mais la lutte du personnage dans ces 72 pages était plus intéressante. C'est amusant de torturer son personnage, avec l'écrit, puis grâce au dessin.
Temudjin, Le voyage immobile (tome 2)
Scénario : Antoine Ozanam
Dessin et couleurs : Antoine Carrion
Editions Daniel Maghen
Date de publication : 27/08/2015
Nb de Pages : 104
Temudjin
Scénario : Antoine Ozanam
Dessin et couleurs : Antoine Carrion
Editions Daniel Maghen
Date de publication : 17/05/2013
Nb de Pages : 102
Prix d’un tome : 18,50€
Crédit-photo Antoine Ozanam : Céline Ozou