Anne Buguet : deux albums pour rendre hommage à la Renaissance italienne et flamande
- Écrit par : Julie Cadilhac
Par Julie Cadilhac - Lagrandeparade.fr/ Originaire de Puteaux, Anne Buguet a suivi les cours de l'Ecole Supérieure des Arts Appliqués Duperré et de la Sorbonne puis est devenue enseignante à l'ESAA Duperré où elle donnait des cours de dessin et d'Arts Plastiques. Aujourd'hui à la retraite, elle se consacre pleinement à ses projets d'édition.
Ses deux derniers albums “La jeune fille au ruban” et “ Les trois princesses” nous ont séduits par la qualité de leurs illustrations et leur volonté de sensibiliser les plus jeunes la peinture de la Renaissance italienne et flamande. “La jeune fille au ruban” raconte l'histoire de Marijke, une jeune servante de onze ans, qui travaille chez les Van de Velde et qui, un jour, trouve une graine mystérieuse qu’elle plante dans le jardin, près du mur. La graine se transforme très vite en une plante tellement solide que l'enfant peut l’escalader; de l'autre côté du muret, elle découvre avec ravissement des tableaux qui évoluent avec les saisons et finit par y reconnaître à chaque fois un même jeune garçon, Gerlof...Quant à "Les trois princesses", il narre l'histoire des trois superbes filles du roi de la province de Ligurie dont l'épouse, sur son lit de mort a formulé : « Sire, une fois grandes, nos filles repartiront au pays de mon père », c'est à dire le Piémont. Le monarque les cache donc dans un palais sous l'oeil bienveillant d'une sage femme mais...peut-on empêcher une prophétie de se réaliser?
Le travail d'Anne Buguet est remarquable...et l'on est étonné qu'il ne rencontre pas plus de succès. Les parents craindraient-ils que les plus jeunes ne soient pas sensibles à l'esthétique picturale de la Renaissance? Nous sommes, nous, persuadés du contraire...d'autant plus que cet univers graphique est accompagné d'histoires attrayantes et originales. Laissez-vous tenter, vraiment!
Vous êtes l'auteure d'une quarantaine d'albums. Qu'est-ce qui vous a donné envie de vous adresser à ce type de public et vous attire dans ce travail?
Peut-être que je m'adresse aux enfants parce que le côté enfant est resté très vivace chez moi ... Depuis mon plus jeune âge je suis fascinée par l'illustration ... J'ai toujours souhaité illustrer des livres: je suppose que c'est une façon de matérialiser des rêves et de magnifier la réalité ... Je suis devenue professeur de dessin car j'ai vite compris qu'il était impossible de vivre de ses pinceaux.
Avec quels outils, matières et supports avez-vous conçu les illustrations de vos livres? Est-ce toujours la même technique?
Ma technique reste globalement la même: Je commence par le dessin en cherchant le cadrage et je me sers beaucoup de la photocopie pour réduire ou agrandir certains éléments. Ensuite je peins les parties photocopiées à la gouache, les reprends au crayon de couleur et les découpe avant de les coller sur le fond au format. Je travaille aussi beaucoup par froissage ou grattage pour obtenir des matières granuleuses ou usées ... Il m'est aussi arrivé de coudre ... Dans tous les cas, je me documente beaucoup sur l'époque, le pays ou les artistes dont je pourrais me rapprocher. Pour ces 2 derniers albums, je suis partie de tableaux de maîtres que j'ai copiés en essayant de rester au plus près de l'oeuvre. J'ai utilisé la technique décrite plus haut. J'ai d'abord choisi les tableaux que j'aimais. L'histoire est venue ensuite...
"Les trois princesses" est un conte andalou: pourriez-vous nous expliquer le cheminement qui vous a amené à l'illustrer en vous inspirant de la peinture de la Renaissance italienne?
J'ai été subjuguée par un livre magnifique sur la peinture gothique italienne que j'ai acheté; et c'est ce livre qui m'a donné envie de faire partager mon émerveillement en me servant des plus beaux tableaux pour illustrer une histoire ... La difficulté a été de trouver un conte qui puisse convenir! Je l'ai trouvé dans "Contes de l'Alhambra" de Washington Irving . J'ai gommé tout ce qui était espagnol ou arabe et je l'ai beaucoup modifié notamment la fin car je ne voulais pas une fin triste.
Si vous aviez un enfant sur vos genoux et que vous lisiez cette histoire, sur quelles spécificités graphiques insisteriez-vous, que chercheriez-vous à lui faire remarquer, retenir?
Cela dépend de l'enfant, j'imagine, de ses intérêts! J'attirerais son attention sur les détails, sur ce qui est différent par rapport à notre monde contemporain et je lui poserais des questions sur ce qu'il en pense, ce qu'il remarque, ce qu'il aime ...
“ La jeune fille au ruban” est né, on suppose, d'une contemplation approfondie des peintres de la Renaissance flamande... Si vous deviez n'en citer qu'un, lequel serait-ce? Représenterait-il en quelque sorte la quintessence de cette esthétique?
Rogier Van der Weyden! Peut-être est-ce parce que, par rapport aux documents dont j'ai pu disposer, c'est lui dont l'iconographie m'a paru la plus vaste et la plus variée ... Mais c'est surtout parce que sa peinture exprime pour moi une sincérité, une tendresse, une observation d'une incroyable acuité et aussi un sens du sacré par la minutie et l'amour avec lesquels il traite l'élément le plus anodin, ne serait-ce qu'un brin d'herbe... Et c'est certainement l'un des meilleurs dessinateurs de cette époque.
Avez-vous demandé à Valère Staraselski de vous inventer cette histoire?
J'avais fait le synopsis pour qu'il cadre avec les tableaux que je voulais reproduire ... Ensuite j'ai demandé à Valère Staraselski qui est auteur, de bien vouloir réécrire l'histoire. Il a accepté : il a modifié et ajouté des éléments mais surtout donné une grâce au style, par rapport à ma propre écriture qui est plutôt plate!
“La jeune fille au ruban” et “ Les trois princesses” sont-ils les deux seuls albums dans lequel vous rendez hommage à l'esthétique d'un mouvement pictural?
Non: dans le passé, et toujours au Seuil, "La Tunique Rouge" se référait à des "couvertures" sur bois de livres de comptes siennois de la Renaissance. "Kanji" (Philippe Picquier), Les Noces du Soleil", "Le Grand Père qui Faisait Fleurir les Arbres"(Flammarion), "La Brodeuse" (Seuil) "La Montagne aux Chats" (Albin Michel) reprennent des estampes japonaises, HoKusaï tout particulièrement, mais aussi Hiroshige et Utamaro. Il y a aussi "Argos"( Le Rocher) qui s'inspire directement de peintures de vases grecs . Dans "Aladin et la Lampe Merveilleuse" (Milan) je me suis servie des miniatures Mogoles persanes ou indiennes, ainsi que pour "Les Perles de la Tigresse" (Seuil).
Enfin, avez-vous d'autres projets d'écriture en cours?
Oui! (du moins des projets d'illustration car je ne suis pas auteur) ... Un autre conte sur la peinture italienne de la Renaissance (qui est d'ores et déjà refusé car les 2 que vous mentionnez se vendent mal) et un autre - encore flou - que j'ai envie de réaliser depuis longtemps et qui exploiterait les enluminures du haut moyen-âge ...
La Jeune fille au ruban
Auteurs : Valère Staraselski, Anne Buguet
Date de parution : 24 septembre 2015
40 pages - 18.00 € TTC
Les Trois Princesses
Auteur : Anne Buguet
Date de parution 23 octobre 2014
48 pages - 18.00 € TTC
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