Le Bourgeois Gentilhomme : Quand Christian Lacroix habille les gens de qualité
- Écrit par : Julie Cadilhac
Par Julie Cadilhac - Lagrandeparade.fr/ "Ah! la belle chose que de savoir quelque chose", s'exclame M. Jourdain devant son maître de philosophie. Réflexion naïve mais ô combien révélatrice de la frustration d'un être qui souhaiterait s'arracher à ce qu'il est et dont chacune des tentatives s'achève par un naufrage. M.Jourdain a des rêves qui le dépassent et dans ses efforts pour les atteindre, il est terriblement touchant.
Dans sa note d'intention, Denis Podalydès dit ainsi: " Le paradoxe magnifique du Bourgeois Gentilhomme tient à ce qu'on y réunit et célèbre les Arts au profit d'un homme qui écoute, voit et pratique les plus belles choses, sans jamais rien n'y entendre." En choisissant de représenter la pièce de Molière dans sa version intégrale de Comédie-Ballet, il fait du public un miroir tout aussi ébloui que Jourdain devant ces merveilles artistiques qui colorent le plancher du revendeur de tissus. Evoquer l'art, la représentation et le goût sur un plateau de théâtre crée une mise en abyme dans laquelle le spectateur se complaît avec plaisir. Christian Lacroix a conçu pour M.Jourdain ,les diverses gens de qualité et ceux de bon sens qui l'entourent, des habits somptueux. Manteaux brodés, culottes bouffantes ,corsets assortis de décolettés pigeonnants ou de cols stricts, bas de soie, pourpoints tailladés de chiquetades, perruques fleuries, chaussures à cric...sont autant de performances cousues de fil d'or et de génie! D'ailleurs, si les costumes n'avaient pas eu la vedette, ç'aurait été un comble pour un fils de drapier, non? Ajoutez à cela la musique de Jean-Baptiste Lully brillamment dirigée par Christophe Coin, les pertinents décors d'Eric Ruf et les chorégraphies tantôt oniriques, tantôt fantaisistes de Kaori Ito et vous commencerez à entrevoir l'écrin délicat dans lequel pouvait s'épanouir la mise en scène de Denis Podalydès. La distribution est juste, le rire dont le premier chef d'orchestre est la prose de Molière - rappelons-le!- s'invite à chaque scène ; l'esthétique et le burlesque, en s'épousant, s'offrent une récréation théâtrale de haut vol. M.Jourdain, le roturier extravagant qui souhaite avoir des airs de noblesse, est ridicule par ses insuccès et son aveuglement vis à vis d'une caste qui n'a de supérieure que ses prétentions. Cette pièce aux problématiques encore d'actualité s'avère d'une grande pertinence tant pour son évocation des maladresses dues au manque d'éducation que pour sa réflexion sur le statut de la culture et de son intérêt. L'Art est pour M. Jourdain l'ascenseur indispensable pour accéder au raffinement et à la reconnaissance. On ne voit que trop qu'il n'est pour les gens "de qualité" qu'une parade, un sujet indispensable pour exclure les indésirables, une façon de se prétendre un être d'importance. Même constat au XXVIIème siècle qu'aujourd'hui, la culture exclue plutôt qu'elle fédère, même lorsqu'elle s'efforce à être accessible... Les premières scènes où font la roue comme des paons et se querellent les maîtres à danser, à chanter, d'armes et de philosophie sont d'ailleurs cocasses par l'ironique et ambivalent discours qu'y déverse Molière car le dramaturge se moque de tout le monde! Si Jourdain est ignorant et fat, les autres sont vaniteux, serviles et agissent par intérêt. Quel rôle est préférable? La bêtise ou le cynisme? Jourdain, par son envie de se cultiver et par ses fautes d'intelligence n'est-il pas plus à plaindre qu'à blamer? Ce portrait juste des différentes classes de la société française, encore vrai aujourd'hui malgré toutes les révolutions traversées, est admirablement mis en exergue grâce aux différents arts de la scène dans cette création.
Denis Podalydès et la structure dramaturgique même de la pièce de Molière soulignent deux moments forts dans ce portrait du bourgeois benêt : l'une a été cousue avec l'aide des ciseaux talentueux de Christian Lacroix, l'autre est volontairement de haillons, assemblage de bric et de broc, et pourtant l'exaltation de M.Jourdain est portée à son apothéose lors de ce deuxième volet, extasié par son couronnement en Mamamouchi.On dit que le Bourgeois est une "oeuvre de circonstance" commandée par le roi pour répondre à la mode du moment de l'exotisme oriental ; si le roi Soleil n'aurait peut-être pas été ravi de la volonté de Denis Podalydes de prendre le contre-pied de cette attente d'exotisme, l'oeil contemporain l'accueille avec enthousiasme. Les costumes, lorsqu'entre le fils du Grand Turc , sont sommaires et le comique l'emporte volontairement sur le faste... c'est la folie du Bourgeois qui fait de cette cérémonie honorifique un moment d'exception et Pascal Rénéric se fond à merveille dans l'excentricité de ce personnage. On applaudira aussi la mise en scène du double dépit amoureux ( hérité des Comédiens Italiens!) où la danse vient se mêler aux mots, l'espièglerie. régnant en maître, la scène du cours d'orthographe et du mot d'amour à composer pour la marquise ....ou encore l'arrivée impromptue d'un serviteur turc nain aux incongruités extra-terrestres...
Une pièce délicieuse pour tous les amoureux du théâtre classique! Un spectacle où tous les arts se réunissent pour offrir ,grâce à un travail d'orfèvre, un frisson dix-septiémiste mémorable!
Le Bourgeois Gentilhomme

Auteur: 


Molière



Compositeur: 


Lully




Mise en scène : 


Denis Podalydès




Direction musicale : 


Christophe Coin




Scénographie : 


Eric Ruf




Costumes : Christian Lacroix




Lumières : 


Stéphanie Daniel




Collaboration artistique 


: Emmanuel Bourdieu




Chorégraphie : 


Kaori Ito



Durée : 3h environ
Crédit-photo: Pascal Victor–ArtComArt
Dates des représentations :
- Les 3, 4 et 5 juin 2016 au Château de Versailles
- Le 5 janvier 2017 au Grand Théâtre et Gérard Philippe - Calais
- Le mercredi 25 janvier 2016 au Théâtre Jacques Coeur ( Lattes 34)