Bérengère Warluzel : " Mon moteur, c'est l'être et sa pensée."
- Écrit par : Julie Cadilhac
Par Julie Cadilhac - Lagrandeparade.com/ Accompagnée de Charles Berling pour la mise en scène, Bérengère Warluzel a adapté et interprète Montessori, une pièce éponyme sur la célèbre médecin et pédagogue italienne. Les prochaines représentations auront lieu en novembre à Châteauvallon, la scène nationale de Toulon. L'occasion d'échanger avec Bérengère Warluzel sur ce travail qui rend hommage à cette grande figure intellectuelle du XXème siècle.
Pourriez-vous d'abord nous parler de votre rencontre avec Charles Berling, de la genèse de votre collaboration artistique et de ses concrétisations ?
J'ai rencontré Charles Berling il y a maintenant six ans. Je venais lui présenter mon travail sur Hannah Arendt. À partir de ce jour est née une entente « radieuse » : un cheminement artistique, intellectuel et affectif qui nous rend très heureux. J'ai une grande admiration pour cet homme, pour ses engagements, sa carrière, ses choix artistiques, son don immense pour le théâtre. La première fois que je l'ai vu sur scène, il y a des années de cela, j'ai été subjuguée par son talent, son énergie, son rayonnement : il y avait en lui un véritable génie. Comme metteur en scène, sa vision nuancée, précise et ouverte m'inspire beaucoup. Parfois, les moments de répétition sont éprouvants et difficiles, car il est très exigeant et ne laisse jamais place à la moindre superficialité. C'est décapant, exigeant... mais c'est justement cela que j'aime. Nous avons aujourd'hui de nombreux projets communs : Camus, Blum, Norén, Badinter, Arendt... Nous partageons la même passion de défendre, de transmettre, de nous battre pour faire exister ces figures et leurs engagements.
Charles Berling a dit : "Avec Bérengère Warluzel, qui a fait avec moi Fragments, un montage de textes d'Hannah Arendt, nous nous intéressons aux femmes du XXe siècle qui ont transformé la société." Pourquoi Maria Montessori s'est-elle imposée plutôt qu'une autre ? Parce qu'elle a peu été mise en valeur au théâtre ?
Oui, je comprends ce que dit Charles. Notre expérience autour des textes d'Arendt est à jamais ancrée en nous. En tout cas, pour moi, elle a transformé ma vie, ma vision du monde, affiné mes réflexions et m'a appris à rester vigilante face à chaque événement. Les textes de Hannah Arendt , d'une intelligence et d'une sensibilité inouïes, m'ont littéralement transcendée. En revanche, je formulerais autrement ce que dit Charles : ce n'est pas parce qu'elles sont femmes que je me suis intéressée à l'œuvre d'Arendt et de Montessori. C'est leur parcours, leur quête de liberté, leur vision du monde que j'ai voulu défendre. Ce sont des êtres qui nous parlent de la condition humaine avec une rare honnêteté. Elles sont femmes, bien sûr, et tout est lié : leur vie, leur engagement en sont imprégnés. Je salue d'autant plus leur parcours qu'elles ont dû se battre pour exister. J'aime beaucoup cette phrase prononcée par Maria la première fois qu'elle est entrée dans l'amphithéâtre de médecine, où elle était la seule femme, en réponse aux huées et aux ricanements des étudiants : « Sifflez, messieurs, sifflez ! Plus vous sifflerez, plus j'irai loin ! » Ces femmes ont transformé la société et se sont battues pour nous rendre libres. C'est ce à quoi je m'attache. Mais j'ai travaillé avec autant de passion et de conviction sur l'œuvre de Camus ou, plus récemment, sur celle de Robert Badinter, qui sont des hommes. Mon moteur, c'est l'être et sa pensée.
À partir de quelles matières documentaires avez-vous travaillé pour créer cette pièce ?
Comme pour Arendt, j'ai lu toute l'œuvre écrite de Montessori : celles traduites, mais aussi en italien, car j'ai la chance de pouvoir lire cette langue. J'ai également étudié de nombreux articles de journaux de l'époque, trouvés sur la plateforme Gallica, ainsi que plusieurs ouvrages consacrés à son œuvre. Et, surtout — c'était essentiel — nous sommes allés plusieurs fois observer concrètement une école Montessori, membre de l'AMF (Association Montessori France). Cette précision est importante, car le nom "Montessori" n'étant pas protégé, certaines écoles ne suivent pas toujours fidèlement sa méthode. Nous étions avec Amélie Wendling, très présente sur cette création. Il était indispensable que nous comprenions, de manière concrète, les effets du travail scientifique de Montessori.
Sur scène, cherchez-vous à incarner le personnage de Maria ou à lui rendre hommage à votre façon ?
Je parlerais plutôt d'une évocation de la figure de Montessori.
Qu'est-ce qui vous séduit dans le travail mené par cette pédagogue novatrice ?
J'ai été amenée à travailler sur son œuvre pour plusieurs raisons. La première remonte à longtemps : j'ai fait l'école à la maison avec mes enfants, et j'avais déjà beaucoup lu sur la pédagogie Montessori. Sa méthode, guidée par l'enfant lui-même, repose sur une compréhension fine de la psychologie infantile. Ce qu'elle dit est si pertinent et profond qu'il a transformé ma vision, non seulement de l'enfant, mais aussi de la société en général. Montessori a élargi le travail sur l'enfant à une véritable philosophie. Puis j'ai réalisé qu'on la connaissait mal. Sa méthode a souvent été dévoyée, et la finalité de son travail est largement méconnue. Montessori s'est battue pour les plus démunis, les pauvres, les enfants handicapés — ceux qu'on appelait alors "déficients" —, bien loin de l'image d'une école pour privilégiés. Et puis, peu de gens savent qu'elle a été la PREMIERE femme médecin d'Italie : un titre extraordinaire, porteur d'obstacles et de luttes. Enfin, elle répond, d'une certaine manière, aux questionnements d'Arendt. Dans Fragments, Arendt se demande : "Comment faire naître le désir de penser ?" Montessori, elle, cherche concrètement comment faire émerger une personnalité, une singularité, comment nous rendre libres.
Enfin, pour donner un avant-goût au spectateur : à quoi assiste-t-on ? À un cours de Maria ? À un exposé ludique sur son travail ?
Ma place d'actrice ne me permet pas de répondre réellement à cette question. Je ne sais pas ce que reçoit le spectateur ; je sais seulement ce que je donne et le parcours que Charles a imaginé. Les textes relatent le parcours difficile de Montessori : celui d'une combattante, d'une scientifique, d'une militante pacifique. La mise en scène de Charles Berling, ingénieuse, pleine de vitalité et de profondeur, révèle avec subtilité les problématiques soulevées par son œuvre. La mise en scène recrée une classe imaginaire . on y devine les enfants courants , travaillant ! Les images sont fortes, belles, très vivantes. Charles a été particulièrement foisonnant et juste. Lors de la création, les spectateurs sortaient éblouis. Ce qui m'a marquée, c'est que le public venait de partout : l'enfance est un sujet qui touche tout le monde. C'est notre point commun à toutes et à tous — nous avons tous été enfants !
Montessori
D’après Maria Montessori
Mise en scène, décor et lumières : Charles Berling
Adaptation et interprétation : Bérengère Warluzel
Dramaturgie et collaboration artistique : Amélie Wendling
Création sonore et visuelle : Vincent Berenger
Production : Châteauvallon-Liberté, scène nationale
Pour tous dès 14 ans
Durée estimée : 1h15
Création 2024
Dates et lieux des représentations :
- Du 12 au 20 novembre 2025 - Châteauvallon, scène nationale - Ollioules - Accédez au site du théâtre ici !