Vitez/Jean-Paul II ou le Débat virtuel entre le Saint Pape et un garde rouge de la raison…
- Écrit par : Guillaume Chérel
Par Guillaume Chérel - Lagrandeparade.fr/ L’idée est bonne. Le 28 juillet 1988, la Comédie Française donnait une représentation privée du Mystère de la Charité de Jeanne D’Arc, de Charles Péguy, devant le pape Jean-Paul II, dans les jardins de Castelgandolfo, au Vatican. Antoine Vitez vient juste d’être nommé Administrateur Général du Premier Théâtre National de France. A l’issue de la représentation, le pape est présenté à la troupe et, contrairement au protocole qui prévoyait son départ rapide, Jean-Paul II s’attarda au milieu des acteurs, entamant de multiples conversations générales et particulières sur le spectacle, la théologie de Charles Péguy, l’art dramatique. Jean-Philippe Mestre, alors journaliste, a enregistré quelques-uns de ces échanges. Lui vint alors le projet d’imaginer un dialogue virtuel entre Vitez le communiste et le pape… polonais.
Dommage que Bernard Lanneau, affublé d’une tenue à l’identique, n’ait pas pris la peine de simuler l’accent polonais. Comme il est plus mince, plus austère que le massif et bonhomme Jean-Paul II, on a du mal à y croire. Et quand on n’y croit pas… au théâtre, c’est embêtant. Surtout avec un sujet pareil. La joute oratoire entre les deux passionnés de théâtre est souvent passionnante, mais ils parlent trop. Jean-Paul II surtout s’exprime trop vite et sur le même ton que Vitez, joué par Michel Bompoil. Ce n’est pas réaliste. On a beau savoir que nombre de répliques, dans « Rencontre à Gandolfo », entre les deux protagonistes sont véridiques, même « recomposées », il y a trop de mots – comme il y avait trop de notes chez Mozart -, trop de phrases, trop d’idées, de souvenirs. On imagine mal Jean-Paul II, si posé, s’enflammer, quand il ne se met pas carrément en colère. Et pourtant… Que ce soit sur le Théâtre, le travail d’Acteur, l’Inquisition, le Pouvoir, le Christ, la Science, le Communisme, l’Eglise. Tout y passe : Tout y passe : l’infaillibilité, le bonheur, la repentance, l’Évangile de Jean, Emmaüs, l’aliénation, la liberté… On est pris par la confrontation des Idées entre le rationaliste athée (on aurait évoqué le « matérialisme historique, à l’époque, voire la « dialectique » marxiste) et le métaphysicien spiritualiste.
Ni décor, ni mobilier, ni musique ne viennent occuper la scène nue du théâtre, c’est le souhait du metteur en scène, Pascal Vitiello. Seuls deux hommes, debout, dialoguent un peu plus d’une heure. L’un, tout en blanc, fut acteur et dramaturge, quand il était jeune. Ce jeudi 28 juillet 1988 en fin de journée, il est pape depuis dix ans. Face à Jean-Paul II, Antoine Vitez, en costume noir, et lunettes d’intello, ancien secrétaire d’Aragon, militant communiste, partisan du « théâtre élitaire pour tous », s’attarde, fasciné par ce pape polonais, venu d’un pays stalinien. La chute du mur de Berlin n’a pas encore eu lieu…
Wojtyla/Lanneau et Vitez/Bompoil illustrent une ère révolue, qui opposait les militants marxistes aux missionnaires chrétiens, alors qu’ils ont tant de points communs. Ce prosélytisme. Cette foi en l’homme nouveau… et/ou en Dieu. Ce regard tourné vers les humbles et la souffrance, si ce n’est la misère. Chacun peut y trouver matière à réflexion personnelle, à défaut de choisir son camp. On peut même lâcher prise, laisser son esprit vagabonder et reprendre la conversation où bon nous semble. Reste un spectacle austère mais d’une haute valeur spirituelle.
Jean-Paul II, Antoine Vitez : rencontre à Castelgandolfo
De Jean-Philippe Mestre
Mise en scène de Pascal Vitiello.
Avec Bernard Lanneau et Michel Bompoil
Théâtre La Bruyère, 5 rue La Bruyère 75009 Paris, du mardi au vendredi à 19 heures.
- Du 6 au 30 juillet 2016 ( Relâche les 11, 18, 25 ) au Festival d'Avignon Off à 13h au Théâtre du Chêne Noir ( rue Sainte Catherine , Avignon)