La Nostalgie des blattes : Vieilles dames (in)dignes
- Écrit par : Christian Kazandjian
Par Christian Kazandjian - Lagrandeparade.com/ Deux solitudes affrontent les déboires de la vieillesse. Deux existences sans fard, mises à nu, d’où ne sont exempts ni l’humour ni la cruauté.
Une femme sur une forme d’estrade, court vêtue : une combinaison, une culotte, assise, attend. Survient une autre dame âgée. Elle se dévêt, arborant la même tenue que l’autre, s’assoit à ses côtés, sur une chaise semblable. Où sont-elles ? Sur une plage, dans un sanatorium en train de prendre le soleil ?; dans un stand de foire, exposée à la curiosité des visiteurs ? Le dialogue ne tarde pas à s’engager : remarques acides, répliques vachardes, le ton exclut toute aménité. Et pourtant. Ces deux solitudes, que survolent des drones de plus en plus fréquents, finissent par limer les aspérités d’échanges amers où perce la nostalgie d’un monde disparu, un enfer sans gluten, sans tabac, aseptisé, et placé sous la surveillance d’une brigade sanitaire. Dans ce désert déshumanisé, elles se prennent, à l’évocation des beaux moments des repas en famille à la campagne, à regretter les piqûres d’insectes et même la vue répugnante des blattes. Les deux septuagénaires ressassent le passé : l’une fut actrice, l’autre danseuse classique ; la première a eu un fils (est-ce lui qu’elle attend ?), l’autre vécut sans enfant. De fil ironique en aiguille blessante, elles vont se rapprocher, s’apprécier, s’aimer en fin, jusqu’à trouver la force conjointe de se lever et partir, refusant le sort qui leur est imposé, résistant en un mot.
Vivre sans plus attendre
La Nostalgie des blattes aborde, sans détour, la question de la vieillesse. Le texte, parfois trivial à souhait, ne laisse rien de côté de ce qu’avec facilité, voire dédain, on nomme « naufrage ». Le texte lève le voile pudique ou condescendant jeté sur les vieux, « le troisième âge » en langage politiquement correct, « l’or gris » dans les sphères économiques prêtes à tout pour faire négoce. Alors les deux comédiennes se dévoilent, au sens propre, exhibant rides, peau ramollie, double menton, sans que cela confine à l’impudique ou n’éveille la pitié. Tout au contraire, on rit souvent avec ce duo au physique dissemblable qui nous rappelle que l’humour peut s’accommoder de tout, tant qu’il ne vise pas à blesser, humilier ou stigmatiser.
Etre seules à deux
Eulalie Delpierre et Marylin Pape qui met en scène, nous régalent dans les joutes verbales acerbes ou les moments de grâce, comme lorsque la première chante du Dalida et la seconde danse un Lac des cygnes quasi statique et éthéré. Le décor ramené à une estrade évoque cette solitude que bien des personnes âgées doivent affronter. Les éléments, tombés du ciel (tutu, boa et plumes, robe lamée) sont autant de déclencheurs de souvenirs heureux, précieusement gravés dans la mémoire. La Nostalgie des blattes offre l’occasion à deux comédiennes âgées de prendre la scène dans des arts, théâtre et surtout cinéma, où les femmes sont renvoyées au rayon des souvenirs, faute d’engagement, ou au mieux, et avec parcimonie, au rôle de figures éphémères. Montrer sur scène des corps vieillis, meurtris, que menacent Parkinson et Alzheimer n’est pas un mince défi. Les deux comédiennes le relèvent avec élégance et grande maîtrise. De la belle et utile ouvrage.
La Nostalgie des blattes
Texte: Pierre Notte
Mise en scène : Marylin Pape
Avec Eulalie Delpierre et Marilyn Pape
Dates et lieux des représentations:
- Jusqu’au 14 octobre 2023 à la Manufacture des Abbesses, Paris 18e (01.42.33.42.03.)
- 10 novembre 2023 - La Chapelle Naude
- 1er février 2024 - Marteau
- 30 avril 2024 - Cluny
- 28 juin 2024 - Lure