Par Romain Rougé - Lagrandeparade.com/ François Gremaud poursuit sa relecture de grandes œuvres et s’attaque cette fois à Carmen avec, dans le rôle-titre, la chanteuse du groupe Moriarty Rosemary Standley. À voir au Printemps des Comédiens de Montpellier, les 16 et 17 juin 2023.

Rosemary Standley, qu’est-ce qui vous a donné envie d’accepter la proposition de François Gremaud ?
C’est vrai que j’ai d’abord refusé le rôle ! Mais François Gremaud a insisté parce qu’il ne voulait pas forcément une voix d’opéra, mais une voix qui le touche. Il avait très envie de travailler avec moi malgré les obstacles que j’ai pu mettre ! N’étant ni comédienne, ni chanteuse lyrique, ni une Carmen dans la vraie vie, c’était un challenge ! Finalement pour François, l’important était d’obtenir une interprétation de Carmen avec ma propre personnalité.

Justement, qu’est-ce ça signifie pour vous d’interpréter Carmen ? Quel rapport entretenez-vous avec ce personnage ?
J’entretiens un rapport très fusionnel depuis quelques temps, assez compliqué aussi… Je me suis nourrie de toutes les Carmen, qu’elles soient d’opéra, littéraires ou cinématographiques : il y a tellement de Carmen différentes ! J’étais à la recherche d’autres facettes du personnage, éloignées de celles qui sont habituellement montrées à l’opéra : ce sont souvent des femmes très fortes, des tragédiennes, des grandes voix qui impressionnent dès le départ. Tous ses amants la cherchent avant son entrée en scène car son mythe la précède : c’est un personnage avant d’être une personne. J’ai lu la nouvelle de Mérimée, lu des interprétations, assisté à des conférences… Je souhaitais vraiment comprendre ce personnage et cette histoire.

Qu’en est-il ressorti ?
Beaucoup de questionnements. Est-ce que cette femme gitane du 19e siècle en Espagne pouvait être aussi libre ? J’ai interrogé des gens autour de moi, des communautés de flamenco qui m’ont dit que c’était invraisemblable : l’image de la femme libre telle que nous l’entendons en Occident étant en réalité un fantasme d’écrivain. Cela étant dit, je pense que Bizet était très en admiration du personnage de Mérimée et à mon avis, il était vraiment du côté de Carmen. Aujourd’hui, on est de plus en plus habitués à ce type de femme qui se comporte, en fait, comme un homme. S’agit-il de mal se comporter ou d’être tout simplement libre ?

François Gremaud a imaginé une Carmen plus joyeuse que tragique. Comment, dans votre interprétation, avez-vous amené une forme d’allégresse au personnage ?

L’histoire reste la même. Cependant, sans trop en dire, il y a une mise en abîme de la pièce avec un personnage qui raconte une histoire. Et cette mise en abîme permet d’éviter une fin trop douloureuse…

Quel est votre sentiment sur le fait d’interpréter Carmen en 2023 ?

On a créé la pièce en Suisse deux jours après un féminicide, ça nous a forcément conduit à ouvrir le débat sur ces atrocités… Ce qui autrefois était perçu comme un crime passionnel voire comme quelque chose de presque anodin, ne passe plus du tout aujourd’hui. Pourquoi ça arrive ? Comment se fait-il que dans une société soi-disant évoluée des féminicides existent encore ? Personnellement, j’ai eu beaucoup de questionnements féministes autour de la pièce. Par exemple, faut-il faire figurer la mort ? Parce qu’aujourd’hui, il y a toute une génération qui, à raison, souhaite qu’on arrête avec ces œuvres anciennes pour essayer de raconter autre chose. Ces œuvres sont des tragédies classiques et peut-être qu’un jour, on considèrera qu’elles ne le sont plus…

En même temps, la musique est extraordinaire dans Carmen. Est-ce que les gens de l’époque considéraient sa mort comme la punition qu’elle devait avoir ? Non, je ne pense pas que ce soit ce qui a fait le succès de l’opéra de Bizet. Sa musique libre, joyeuse et vivante, oui ! Je n’ai personnellement pas de réponses ni de jugement sur le personnage de Carmen, si ce n’est que rien n’excuse le meurtre ! C’est pourquoi nous avons essayé de mettre en abîme certaines situations...

Carmen, dans ce qu’elle raconte du rapport hommes-femmes, reste-t-elle finalement très actuelle ?

Carmen est une femme libre qui ne s’occupe absolument pas des conséquences de ses actes, qui vit au jour le jour. La Carmen de Mérimée est par exemple plus complexe parce qu’elle montre une autre culture, une autre politique, une autre façon de vivre. Les lois gitanes sont beaucoup plus compliquées qu’on ne le croit. Carmen, c’est globalement le regard des hommes du 19e qui fantasmaient sur ce qu’était une femme gitane, de ce qu’elle pouvait être pour eux. Mais Carmen ne ment pas sur ce qu’elle est, sur ce qu’elle veut, elle est entière. Des hommes pensent donc que c’est une femme dangereuse. On peut dire que c’est très actuel, oui.

Carmen
Concept et mise en scène : François Gremaud
Avec : Rosemary Standley
Musique : Luca Antignani, d’après Georges Bizet
Musicien·ne·s interprètes (en alternance) :

Accordéon : Laurène Dif et Christel Sautaux

Harpe : Tjasha Gafner et Célia Perrard
Flûte : Héléna Macherel et Irene Poma

Violon : Sandra Borges Ariosa et Anastasiia Lindeberg
Saxophone : Bera Romairone et Sara Zazo Romero

Texte : François Gremaud d’après Henri Meilhac et Ludovic Halévy

Assistanat à la mise en scène : Emeric Cheseaux

Apports dramaturgiques : Benjamin Athanase

Direction technique 2b company & création lumière :
 Stéphane Gattoni – Zinzoline
Son : Anne Laurin
Production : 2b company
Coproductions confirmées : Théâtre de Vidy-Lausanne (CH) ; ThéâtredelaCité, Toulouse (FR) ; Espace 1789, Saint-Ouen (FR) ; Espace Jean Legendre, Théâtre de Compiègne(FR), Printemps des comédiens, Montpellier (FR)
Spectacle accueilli en résidence au TNB, Rennes (FR)
Soutiens : La 2b company est au bénéfice d’un Contrat de Confiance de la Ville de Lausanne et d’une Convention de Subvention du Canton de Vaud. 

Dates et lieux des représentations: 

- Les 16 et 17 juin 2023 au Printemps des Comédiens – Domaine d’O - Montpellier