Théâtre : Robin Renucci met en Phèdre la langue de Racine
- Écrit par : Guillaume Chérel
Par Guillaume Chérel - Lagrandeparade.com/ C’est « le « chef-d’œuvre » de Racine. Nous l’avons tous eu au programme scolaire. Le plus souvent, sans en comprendre les enjeux. Aujourd’hui encore, ça baille parfois dans les travées du Petit Théâtre de la Criée, où Robin Renucci a (re)mis en scène la tragédie. Mais que peut-on apporter de plus au texte ?
Pour rappel, Phèdre, seconde femme de Thésée, roi d'Athènes, éprouve un amour « criminel » pour Hippolyte, le fils de son époux, qu’il a eu d’une amazone... Tel est le fatal secret que lui arrache, après bien des prières, Œnone, sa nourrice (qui se sacrifie en faisant tout pour arrondir les angles). Au moment où elle vient de faire ce cruel aveu, Thésée est absent et bientôt le bruit de sa mort se répand dans Athènes.
Un jour, l’annonce de la mort du seigneur se répand dans la cité et arrive aux oreilles de Phèdre. C’est elle qui va l’annoncer à Hippolyte. Elle lui avoue aussi ses sentiments pour ce presque « fils » (d’où inceste coupable) : « J’ai dit ce que jamais on ne devait entendre. » Cette révélation plonge Hippolyte dans une rage folle. Il repousse Phèdre. Si la vérité est douloureuse à dire, il est une douleur encore plus intense à vivre : Hippolyte en aime une autre. Et c’est Aricie. Pis, encore, Thésée n’est pas mort. Il est de retour. Folle de honte, déshonorée, de rage, Phèdre rejette la « faute » (non commise, pourtant) sur Hyppolyte, qui l’a repoussée, après qu’elle lui ait pris sa dague… Elle craint plus la malédiction des hommes que celle des dieux. La souffrance n’a alors plus de limites, elle est absolue, comme l’amour… Aaaah l’amooourrr : « Phèdre n’est ni tout à fait coupable, ni tout à fait innocente, annonçait l’auteur. Elle est engagée, par sa destinée et par la colère des dieux, dans une passion illégitime, dont elle a horreur toute la première. ».
Au cœur de cette tragédie classique se joue un combat entre l’ombre et la lumière, le désir et la raison… Voire la déraison, dit-on communément, d’une femme (sinon « mûre », disons plus âgée, soit dit en passant). C’est bien connu, elles sont toutes hystériques. Or, la pièce de Racine est d’une grande modernité… La violence des sentiments qui animent Phèdre confine à la folie. Soit. Il est question de passion. Certes. Mais surtout de la liberté que s’arroge une femme d’aimer qui elle veut, quand elle veut, comme le veut. En ce sens, Phèdre n’est pas victime de l’amour, comme le veut la légende, mais du patriarcat. De la domination masculine. On y revient. C’est on ne peut plus d’actualité, vous dis-je. D’où sa colère. Sa légitime colère. Phèdre, est une féministe sans le savoir, comme monsieur Jourdain faisait de la prose. Une cougar contrariée.
L’enjeu, pour Robin Renucci, n’est même plus là. Comme si c’était une évidence : il suffit d’écouter cette femme, à la hauteur de Médée. Lui entend (re)donner la vedette au texte. A la langue. Aux sublimes alexandrins de Racine. Donc à la dictiiiiiion. Surtout lorsqu’il s’agit de passiiiiiiion. Le Béaba pour un acteur, me direz-vous. Ce que semblent oublier trop de comédiens de télévision, et de cinéma, sans oublier les ingénieurs du son… Surtout en France. Passons. Et l’on se surprend à reconnaître des passages entiers de ce classique qui fait partie de notre patrimoine culturel. Des réminiscences du collège, peut-être, ou d’autres adaptations de Phèdre, jouées et mises en scène différemment. A la Criée, Robin Renucci a choisi d’habiller les protagonistes de ce drame comme au 17e siècle. Dans la petite salle, aux allures de gymnase, sur un plateau rond, autour duquel les spectateurs sont assis comme aux abords d’un ring de boxe. D’ailleurs, un gong annonce les scènes les unes derrière les autres, jusqu’au K-O final. La mort de Phèdre. Le chant du cygne. Mourir d’amour contrarié. Le texte ! Tout le texte ! Rien que le texte. Tout est là. Il suffit d’entendre. Encore faut-il que les actrices et les acteurs soient tous excellents. C’est le cas ici. Ils disent bien. Sans en rajouter dans l’emphase et la gestuelle, nos tourments humains qui sont sans fin.
Phèdre
De : Jean Racine (1639-1699)
Mise en scène : Robin Renucci
Durée : 2h
Avec Solenn Goix, Nadine Darmon, Marilyne Fontaine, Patrick, Palmero, Eugénie Pouillot, Ulysse Robin, Chani Sabaty, Julien Tiphaine
Scénographie : Samuel Poncet
Costumes : Jean-Bernard Scotto
Création décor : Eclectik sceno
Perruquière : Maurine Baldassari
Dates et lieux des représentations:
- Jusqu’au 10 mars 2023 à 20 h - La Criée, 30, quai de Rive-Neuve – 13007 Marseille. Tel : 0491547054. Infos/réservations : www.theatre-lacriee.com
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