Théâtre : Au bonheur de B.B.
- Écrit par : Christian Kazandjian
Par Christian Kazandjian - Lagrandeparade.com/ Du bonheur de donner, offre, au travers des poèmes et textes, un regard sur un aspect méconnu de l’œuvre de Bertolt Brecht.
Deux chaises de bar dans une douche de lumière, deux micros. Et deux magnifiques interprètes de l’œuvre de Bertolt Brecht, dramaturge, poète engagé en art et en politique : une conscience universelle, en somme. L’accordéon de David Venitucci déroule le tapis poétique sur lequel Ariane Ascaride fait entendre -écouter- la voix de l’un des auteurs majeurs du théâtre, durant soixante-dix minutes qui passent comme un songe. Un rêve certes, mais d’une âpre réalité et d’une prégnante actualité. Brecht n’use pas de métaphores, de figures de style pour dire la brutalité du monde, la cruauté de la solitude. Ses vers et sa prose – certains textes sont extraits de pièces – sentent la sueur, les menstrues, le fric, l’angoisse et la mort. Il y est question de prostituées, de portefaix, de chômeurs, de bourgeois aussi. Mais, à chaque sale coup, répond un message de fraternité, de lutte ; d’espoir peut-être. On l’aura compris : tous ces textes puisent, profond, leurs mots dans la vie, celle des humbles, des humiliés, des méprisés, de ceux qui constituent, pour la jungle de la réaction, la « tourbe ».
Du drame de s’exiler
Ecoutons, par exemple, quelques extraits du poème : Sur le sens du mot émigrant : « J’ai toujours trouvé faux le nom que l’on nous donnait : émigrants. C’est ce que l’on appelle s’expatrier. Mais nous n’avons pas émigré et choisi un autre pays de notre plein gré. Mais nous n’avons pas non plus immigré vers une autre terre pour y rester toujours s’il se pouvait. En réalité nous avons fui. Expatriés, bannis, c’est cela que nous sommes. Le pays qui nous accueille ne saurait être un foyer, mais une terre d’exil. Nous sommes assis, inquiets, aussi près que possible de la frontière. Attendant le jour du retour, observant le moindre mouvement au-delà des frontières, interrogeant chaque nouvel arrivant avec ardeur minutieusement, n’oubliant rien et n’abandonnant rien. »
Humour et ironie
Mais Brecht, au-delà de l’austérité qu’on lui prête un peu vite, c’est aussi l’humour, une immense empathie pour les petites gens, pour le peuple travailleur. Et une cinglante ironie envers les oppresseurs, comme il le démontra lorsqu’il comparut, comme son ami Hanns Eisler, qui composa nombre de musiques pour ses pièces, devant le Comité des activités anti-américaines, présidé par McCarthy. Le florilège que propose le trio : Ariane Ascaride, David Venitucci et Patrick Bonnel, collaborateur artistique, inclut des poèmes, des extraits de pièces traduits par Antoine Vitez, Guillevic, Geneviève Serreau, ou Gilbert Badia : sacrée distribution ! La scénographie réduite laisse toute sa place au texte, au verbe. Ariane Ascaride, dont on connaît les engagements citoyens, met toute son énergie, la souplesse du phrasé, la maîtrise du geste, au service du texte. Le jeu de ses mains souligne, enrichit, magnifie le dire, en osmose avec la virtuosité, la sensibilité du toucher de David Venitucci. Un spectacle où le drame, l’appel à la solidarité et l’humour se côtoient, s’imbriquent afin de réveiller les consciences, en une époque de profonds bouleversements.
Du bonheur de donner
Textes et poèmes : Bertolt Brecht
Avec Ariane Ascaride
Musique originale : David Venitucci
Collaboration artistique : Patrick Bonnel
Dates et lieux des représentations:
- Jusqu’au 5 mars 2023 au Lucernaire - Paris (01.45.44.57.34.)