Tigran Mekhitarian : un Dom Juan de banlieue
- Écrit par : Christian Kazandjian
Par Christian Kazansdjian - Lagrandeparade.com/ Un nouvel opus de l’œuvre de Molière aux airs et perspectives ancrés dans notre époque. Salutaire.
Qui ne connait pas Don Juan, passé comme vocable dans la langue ? Si ce n’est la pièce de Molière, du moins en a-t-on, depuis des siècles, embrassé le mythe. Quant aux mises en scène théâtres, cinématographiques et lyriques, adaptations romanesques, depuis l’œuvre originelle de Tirso de Molina sur laquelle s’appuya Molière, elles ont fait florès depuis près de quatre siècle. Comment expliquer la pérennité du sujet, si ce n’est son actualité propre à chacune des époques. Jouer Dom Juan (on écrit « dom » lorsqu’il s’agit de la pièce de Molière), aujourd’hui, dans la langue du XVIIe siècle pourrait se révéler rédhibitoire ; or il n’en est rien tant le thème exposé est d’une brûlante actualité. Dom Juan est jeune ; il oppose sa volonté de vivre libre aux préceptes d’une société figée, où l’hypocrisie politique, religieuse fait foi, enfermée dans le carcan que puissants et cagots de toutes sortes entretiennent. Dès lors, il convient, pour le rebelle, d’aller au bout de ses désirs : séduction, rejet des règles sociales et morales, défi à la religion, quitte à s’en brûler les ailes et à en mourir. Toute jeunesse peut donc y adhérer en totalité ou en partie.
Survêts et baskets
La compagnie de L’illustre théâtre, après Les fourberies de Scapin et L’Avare , s’attaque au grand Molière. Y sera fait le choix de transposer la scène à l’époque moderne, quelque part dans une ville (Paris) cernée de banlieues populaires. Aussi sera-t-il glissé, ici et là , dans le texte classique, quelques saillies argotiques contemporaines. Dom Juan et Sganarelle portent, avec l’élégance seyant aux jeunes des « quartiers », le survêtement à capuche et les baskets siglés. Abandonnant le versant fantastique du personnage du Commandeur, ce Dom Juan le ramène à une dimension humaine, contemporaine. Si le châtiment du libertin demeure, il est transposé dans un contexte actuel d’où la violence n’est pas exempte. Cette mise en scène, où le texte garde sa prépondérance, affiche une volonté d’être accessible à un public que le texte classique rebuterait. Mission accomplie.
Inventivité et fidélité
Les quatre comédiens évoluent, dans un décor réduit à un plateau nu sur lequel scintillent quelques bougies (les lumières lointaines des villes), et où en fond, veille, toile peinte, un œil (celui des gardiens du bon ordre de la société - Big brother- n’est pas loin). Ils représentent la vingtaine de personnages de Molière. Le phrasé est d’aujourd’hui ; quant à la gestuelle, appuyée par le costume, elle est emprunté au rappeurs et autres slameurs. Tout comme les intermèdes musicaux et les improvisations sur le texte de Molière : ainsi Sganarelle, en ouverture, comme pour bien situer l’ambiance, vante-t-il les bienfaits du shit, du « chichon », quand son ancestral homologue, s’adressant à Gusman, parlait du tabac. Il convient, donc ici, de saluer l’inventivité et néanmoins la fidélité de cette version qui colle à notre époque, qui comme au temps de Molière, ne manque pas d’égoïsme, d’hypocrisie, d’anathèmes contre qui n’entre pas dans le moule de ceux qui confisquent le pouvoir politique, religieux, économique et culturel. Une comédie dramatique salutaire, parfaitement interprétée par un quatuor talentueux.
Dom Juan
De : Molière
Mise en scène : Tigran Mekhitarian
Avec Théo Askolovitch, Arthur Gomez, Marie Mahé et Tigran Mekhitarian
Coproduction : A&P Productions et En Scène ! Productions
Soutiens : Esad – Ecole Supérieure d’Art Dramatique et Spedidam
© Cédric Vasnier
Dates et lieux des représentations:
- Jusqu’au 4 décembre 2022 - Le Lucernaire, Parie 6e (01.45.44.57.34.)
Les fourberies de Scapin : quand les mots de Molière se mêlent à la culture jeune actuelle