Printemps des Comédiens : Marie Vauzelle présente Nuit, « un poème funèbre pour appeler la lumière »
- Écrit par : Romain Rougé
Par Romain Rougé - Lagrandeparade.com/ Formée à l’École nationale supérieure d’art dramatique (Ensad) de Montpellier et membre du Collectif Moebius, Marie Vauzelle est comédienne, metteuse en scène et auteure. Elle a écrit « Nuit » comme un appel à sa génération à réinventer le monde. Lever de rideau les 27 et 28 mai 2022, au Hangar Théâtre, à Montpellier.
Marie Vauzelle, vous qualifiez « Nuit » comme votre « non-éloge funèbre » : qu’entendez-vous par là ?
Je pense que le rapport au monde que « Nuit » dépeint - une certaine jeunesse occidentale qui fuit dans la jouissance plutôt que d’agir - ne peut plus continuer aujourd’hui. Le monde nous assigne à en changer. Il y a une responsabilité à laquelle nous devons faire face et qui implique une façon-même de vivre. Je veux parler de responsabilité face au reste du monde dont nous nous nourrissons, face à nous-mêmes puisqu’en réalité nous ne faisons pas la fête tous ensemble, et responsabilité face à la Nature que nous avons absentée. Tout ceci est subjectif et intuitif bien sûr, mais j’avais besoin d’écrire ce texte, peut-être simplement pour l’enterrer en moi. « Nuit » n’est pas un appel à la révolte, ni même à l’engagement, chacun se situera bien comme il le veut face au spectacle. C’est simplement un poème que j’espère funèbre, qui navigue dans les eaux troubles de nos nuits intérieures, pour appeler la lumière.
« Nous faisons sûrement partie de ceux qui seront passés pour déconstruire tout ce qu’il fallait faire péter »
En évoquant la perte de foi, de repères et la fin du monde ou de l’Histoire, est-ce que cela signifie que, pour vous et votre génération, « c’était mieux avant » ?
Non, je ne crois pas du tout que « c’était mieux avant ». C’est une illusion vieille comme l’Histoire non ? Je suis une femme et je suis bien contente d’être née à cette époque plutôt qu’à une autre. Mes grands- parents ont connu la guerre et vivaient dans un pays largement antisémite et colonial, la génération de mes parents a opté́ pour une idéologie unique dominante et l’a installée bien solidement, sans voir qu’une partie du monde, et la nature elle-même, en mourrait très vite... Alors non ce n’était pas mieux avant !
Néanmoins, il était certainement plus simple de penser et de s’engager parce que le champ des possibles semblait plus large et le monde moins complexe. Nous avons grandi dans un monde où rien n’était jamais simple, nous avons su très tôt qu’une belle idée peut devenir la pire des tyrannies, une histoire d’amour un poison mortel, une vie désirable un crédit sur 30 ans, un joli rêve un travail précaire, et que pourtant nous sommes parmi ceux pour qui le monde crève. Quoi faire de ça ? Comment ne pas devenir cynique et descendre une bouteille de vodka, plutôt que de tenter de se frayer un impossible chemin dans l’avalanche d’informations quotidiennes et de sophismes dont nous sommes noyés ?
Alors non, ce n’était pas mieux avant : nous faisons sûrement partie de ceux qui seront passés pour déconstruire tout ce qu’il fallait faire péter (il y a encore beaucoup de combats à mener parce que globalement, des choses très effrayantes subsistent aujourd’hui). En revanche, ce sera certainement mieux après, parce que ceux qui viennent vont se mettre à rebâtir et ce sera passionnant ! Enfin, là c’est mon acte de foi disons...
Vous avez pensé la pièce comme un rêve, comme « une errance dans la nuit de l’esprit » : qu’est-ce qui permet de créer cette atmosphère limbique et onirique sur une scène de théâtre ?
« Nuit » est écrit comme un cauchemar, celui de Jean. La réalité est sans arrêt mouvante, on ne sait plus quels personnages et quels lieux sont réels ou non, on les traverse avec une logique non rationnelle, celle de la sensation, du désir, du souvenir.
J’ai essayé́ d’en rendre compte avec les dispositifs vidéo et sonore live. La vidéo est utilisée comme matière lumineuse, graphique. Par un système d’éclairage infra-rouge, les silhouettes des comédiens sont filmées et projetées sur les corps, les déréalisant, floutant leurs contours. Les sons travaillent à créer des espaces, des correspondances, des perspectives. Le décor, fait de tubes, de lignes, crée des paysages abstraits et mouvants.
Avec « Nuit », vous avez aussi concrétisé un profond désir d’écriture ?
Oui. En réalité, j’écris depuis longtemps mais très près du plateau. Avec « Nuit », c’est différent, c’est le premier de mes textes que j’écris à ma table. Cela fait plus de dix ans que j’ai envie d’écrire pour le Collectif et, cette fois-ci, j’en ai eu le courage... Eux aussi d’ailleurs ! Chaque place, auteure, metteuse en scène et comédienne, est une façon totalement différente d’aborder ce rêve qu’est le théâtre. Écrire est comme un envol, on ne se heurte pas à la matière ni aux autres dans leur réalité, il n’y aucune limite à l’imagination et le média est si intime qu’il permet une plongée directe en soi.
« Le Collectif Moebius, c’est notre utopie politique à nous »
Quel est ce lien particulier qui vous unit avec le collectif Moebius ?
Nous avons fait l’ENSAD de Montpellier il y a quinze ans et nous sommes restés ensemble depuis. Nous essayons d’inventer ce qu’est un vrai collectif, sans hiérarchie, et je crois qu’à notre manière, contre vents et marées, même si ce n’est pas facile à tenir comme position, nous y parvenons. C’est notre petite utopie politique à nous. Chacun a ses projets de son côté, mais nous continuons de nous rassembler pour chercher ensemble, avec ce même désir d’un théâtre qui ne serait pas un produit à vendre bien ficelé́, mais une recherche polymorphe, à l’infini, qui questionne à la fois le monde et la représentation du monde.
Est-ce qu’il y a une lueur d’espoir dans cette « Nuit » ?
C’est drôle, il y a une sorte d’inquiétude, il faudrait que nous, artistes, on donne de l’espoir, je ne sais pas pourquoi ? Chacun y trouvera son propre espoir et ses propres désespoirs non ? Sans doute certains trouveront cette nuit sombre : le personnage principal, Jean, n’arrive ni à aimer ni à désirer, ni à prendre soin des autres correctement, il n’arrive pas à s’inventer dans sa révolte, et finalement il pérennise les rapports de classe, de sexe... Mais il y a tellement de vie, de joie, d’envie d’aimer chez tous les personnages de cette nuit ! Et puis il y a l’enfant qui pose son regard sur cette génération et nous promet des levers de soleil... Il y a toujours de l’espoir, la nuit ce n’est pas la mort, c’est obscur mais c’est là que tout s’invente.
Et de l’espoir pour cette génération Y à laquelle vous appartenez ?
Je ne sais pas si ce terme de « génération Y » est valable, on ne vit pas tous dans la même réalité, selon nos classes sociales, nos lieux de vie, nos histoires... Nous avons quand même certainement quelque chose comme un fonds de culture commun et l’amitié́ comme socle fondateur, peut-être plus que la famille. S’il y a une lueur d’espoir, ce serait de nous faire une place (la génération précédente ayant du mal à nous en faire et nous à nous y astreindre), de prendre nos responsabilités face à ce qui se dessine comme des urgences politiques qui ne peuvent plus supporter nos indifférences.
« Nuit »
Conception, texte et mise en scène : Marie Vauzelle
Avec les acteurs du collectif Moebius : Hélène de Bissy, Charlotte Daquet, Clélia David, Christophe Gaultier, Sophie Lequenne, Jonathan Moussalli, Frédéric Roudier, Marie Vires
Crédit photo portrait : ©Yann Etienne
Crédit photo spectacle : © Christophe Gaultier
Dates et lieux des représentations :
- Vendredi 27 mai 2022 (21 h) et samedi 28 mai (20h) - Printemps des Comédiens – Hangar Théâtre - ( 34) - https://printempsdescomediens.com/