Un juge : crimes sans châtiment
- Écrit par : Christian Kazandjian
Par Christian Kazandjian - Lagrandeparade.com/ Un juge nous plonge dans les tentaculaires pouvoirs du crime organisé. Une réflexion sur la justice et la loi.
Vous êtes en Italie ? Vous souhaitez assassiner votre conjoint(e). Dans ce cas, il faut bien connaître la loi : un juge, selon les circonstances peut vous condamner à 21ans de prison ou à un peu plus de deux ans. Voici ce qu’explique, en préambule, un juge italien ; De l’assassinat considéré comme un des beaux-arts écrivait, lui, en 1854, l’auteur anglais Thomas de Quincey. Ce magistrat, figure les juges anti-mafia, assassinés dans la Péninsule, comme Borsellino ou Falcone. Amoureux de justice, il se dirige vers une carrière que la présence des mafias locales rend périlleuse, mortelle. Nommé en Calabre, il affronte la ‘Ndrangheta ; puis ce sera la Sicile et Cosa nostra, enfin les narcotrafiquants colombiens, au terme d’une ascension marquée par sa probité et sa foi en la justice. Adversaire résolu de la corruption endémique, il échappera à divers attentats fomentés par les mafieux, complices d’hommes politiques et de magistrats corrompus, ou, à tout le moins, peu regardant sur les méthodes et objectifs des criminels. Livré à lui-même, il survivra, au terme d’une carrière marquée par la violence, l’impéritie du système, l’incompétence et le laisser-aller des administrations. Il n’aura pas, en définitive, pu trancher entre ce qui prévaut de la loi ou de la justice. Question on ne peut plus universelle.
Années de plomb
Seul en scène Fabio Alessandrini, également auteur du texte, campe ce personnage d’une droiture quasi mythique, tenaillé, cependant, par le doute, la peur. Cette profonde humanité se lit dans les passages les plus sombres de son récit (rapports de cas d’inceste, d’attentats), comme dans les épisodes drôles, voire d’un burlesque grinçant, auquel nous a habitué le cinéma italien des Risi, Comencini, ou Scola. Le tout avec une délicieuse pointe d’accent. Le texte évoque les années de plomb qu’a connu l’Italie, de la gangrène qui corrode, aujourd’hui encore, une société que la justice, entravée par la collusion entre les pouvoirs politiques et le crime organisé, n’a jamais pu curer. Un juge interroge chacun de nous sur ce qui est juste, sur notre capacité, en tant que citoyen, en tant que société, de nous opposer à l’oppression, de surmonter nos peurs et nos hésitations à nous engager pour l’autre, pour tous les autres.
Enterrer la vérité
Le comédien est accompagné, soutenu par une bande-son (Romain Mater) créant un univers faisant office de partenaire : ah ! ces bruits de pas résonnant dans un hall qu’on devine immense et déserté : dangereux donc. La vidéo (Claudio Cavallari), prolongeant le champ, déroule des ombres de personnes, victimes, peut-être, ou bien assassins, enfermant le juge dans un labyrinthe où les questions se perdent, où la folie guette. Une énorme boîte, tantôt bureau, tantôt table de dissection, tient également du sarcophage où l’on enterre les corps, comme la vérité. Deux chaises déplacées font voyager dans l’espace et le temps. Fabio Alessandrini, tout de verve ironique durant le préambule, habite le rôle de juge, de tous les juges, avec une élégante fragilité cachant, cependant, le bouillonnement de la révolte, dans une recherche obstinée de ce qui est juste et ce qui est injuste. De la belle ouvrage.
Un juge
TEXTE + JEU : Fabio Alessandrini
COLLABORATION À LA DRAMATURGIE : Riccardo Maranzana
REGARD EXTÉRIEUR : Karelle Prugnaud
MUSIQUES : Paolo Silvestri
CRÉATION VIDÉO : Claudio Cavallari
CRÉATION LUMIÈRE ET RÉGIE GÉNÉRALE : Jérôme Bertin
UNIVERS SONORE : Romain Mater
CONSTRUCTION DÉCORS : Alexandrine Rollin
Dates et lieux des représentations:
- Jusqu’au 1er mai 2022 au Théâtre de la Reine blanche, Paris 18e (01.42.05.47.31.)