Par Guillaume Chérel - Lagrandeparade.com/ Le titre, « Contes et légendes », pourrait laisser croire que Joël Pommerat revisite un gentil conte traditionnel, comme il l’avait fait pour Le Petit Chaperon rouge, Pinocchio, ou Cendrillon.

Mais plus que le passage de l’enfance à l’adolescence, ce qui est au cÅ“ur de la nouvelle pièce de cet « écrivain du spectacle », comme il se définit lui-même, c’est la question du genre, en se servant du prisme exacerbé d’un monde futu­riste dans lequel cohabiteraient humains et robots (désexualisés ici). Plutôt que de nous alerter sur les dérives de l’intelligence artificielle (IA), l'auteur met l'accent sur l’am­biguïté entre « naturel » et « artificiel ».

Le résultat est d'abord déstabilisant, voire dérangeant, car on ne compprend pas où Pommerat veut en venir avec ces ados agressifs, malpolis, et sexistes (de la « racaille » de cité, a priori), mais bourrés de fragilités) coatchés par une sorte de manager en virilité. Ces ados qui ont tous une voix aigue et des physiques androgynes... Mais que viennent faire là ces soi-disant « robots » - de véritables humanoïdes -, qui semblent sages, et matures, en comparaison avec leurs propriétaires, adultes ou mineurs ? Le leitmotiv étant qu'ils sont là pour pallier aux manques affectifs des plus jeunes.

Peu à peu, cependant, le charme opère. On se laisse prendre par l'univers étrange qui se dégage du plateau. On s'habitue à ce monde où humains et robots cohabitent, faisant du théâtre un lieu à la fois poétique et philosophique, car une actrice vient carrément nous expliquer, lumière allumée dans la salle, de quoi il est question, comme dans une conférence TED (Technology, Entertainment and Design).

Le théâtre de Joël Pommerat se caractérise par l’acuité de son regard sur le monde contemporain et ses observations « plastiques »... Dans « Contes et légendes », il se fait anthropologue du futur et choisit de mettre en parallèle l’expérience de l’adolescence et les mythes de la créature artificielle, androïde. Soit deux expériences de recherche d’identité. La mutation à l'adolescence provoque une « reconfiguration » intime, ce qui occasionne parfois, souvent même, des troubles du « genre ».

Pommera procède par saynètes, parfois drôles, notamment grâce au comportement et aux réponses des robots non dénués d'humour et d'amour. Après l'agressivité vient le temps de la communication et des explications en famille. Voire avec de pseudo stars de la chanson, on ne peut plus artificielles, pour le coup (clin d'oeil aux réseaux sociaux et autres « influenceurs » de pacotilles).

Les tableaux s'enchaînent, de plus en plus sensibles et ironiques (l'humour grince). On rit jaune... Jusqu'au coup de théâtre final, lorsque les actrices viennent saluer. Moins nombreuses qu'on ne l'a cru, le public réalise qu'elles ont joué les rôles de garçons mais aussi de robots, voire d'ados travestis en filles ; l'illusion est totale. Le public salue l'exploit médusé d'avoir été ainsi bluffé. L'ambiguïté était totale. Joël Pommerat a réussi son pari en livrant une réflexion subtile sur l’identité à travers un spec­tacle d’anticipation mettant en scène des adolescents et des robots interpré­tés par dix comédiennes. Toutes plus remarquables les unes que les autres. La scénographie d'Eric Soyer est sobre. Tout est dans le jeu et l'écriture acérée du texte.

"Contes et légendes" est à la fois une fiction et un documentaire d’anticipation sur la construction de soi à l’adolescence et le mythe de la créature artificielle. Joël Pommerat poursuit son observation des valeurs et des identités contemporaines dans cette dystopie douce-amère. On en ressort chamboulé, troublé. Le but même d'un spectacle vivant qui entend dire le monde dans lequel nous survivons tous et toutes tant bien que « mâle ».

Contes et légendes 
Durée : 1 h 50
Texte et mise en scène :  Joël Pommerat
Avec Prescillia Amany Kouamé, Jean-Edouard Bodziak, Elsa Bouchain, Lena Dia, Angélique Flaugère, Lucie Grunstein, Lucie Guien, Marion Levesque, Angeline Pelandakis, Mélanie Prezelin
Direction technique : Emmanuel Abate
Dramaturgie : Marion Boudier, Elodie Muselle 
Habilleuses : Lise Crétiaux, Manon Denarié , Karelle Durand, Elise Leliard, Tifenn Morvan
Création costumes : Isabelle Deffin 
Regard extérieur : Daniely Francisque
Assistante dramaturgie : Roxane Isnard 
Régie plateau : Pierre-Yves Le Borgne
Création son : François Leymarie, Philippe Perrin 
Musique : Antonin Leymarie 
Régie lumière : Gwendal Malard, Jean-Pierre Michel 
Accessoires : Jean-Sébastien Merle 
Coiffure et Création Perruques et maquillage : Julie Poulain 
Scénographie et création lumière : Eric Soyer 
Documentation : Roxane Isnard
Recherches visuelles : Isabelle Deffin 
Construction des décors : Ateliers de Nanterre-Amandiers 

Dates et lieux des représentations: 

-  Du sam. 23/04/22 au dim. 24/04/22 à La Criée - Marseille - Tel. +33 (0)4 91 54 70 54
-  Du mar. 03/05/22 au sam. 07/05/22 au TnBA - Bordeaux - Tel. +33 (0)5 56 33 36 80
- Du jeu. 12/05/22 au ven. 13/05/22 au CDN Orléans / Centre-Val de Loire - Tel. +33 (0)2 38 81 01 00
- Du jeu. 19/05/22 au ven. 20/05/22 - Le Phénix Scène Nationale - Valenciennes - Tel. +33 (0)3 27 32 32 32
- Du mer. 01/06/22 au sam. 04/06/22 au Centre National des Arts d'Ottawa - Tel. +1 (613) 755 1111
- Du jeu. 09/06/22 au sam. 11/06/22 au Festival Carrefour International de Théâtre de Québec
-  Du jeu. 23/06/22 au sam. 25/06/22 au Teatros del Canal - Madrid
- Du ven. 01/07/22 au dim. 03/07/22 au Festival d'Anjou - Angers - Tel. +33 (0)2 41 88 14 14